Mohamed Kasdallah: La transition démocratique et les militaires, en Tunisie et ailleurs
La transition démocratique est un processus de dissolution d’un régime politique autoritaire qui débute par le démantèlement de son legs et la mise en place progressive de systèmes politiques fondés sur de nouveaux principes : multipartisme, élargissement des libertés et des droits humains et autonomie des pouvoirs occultes, avec comme ultime objectif, l’alternance politique démocratique.
L’avènement de la démocratie demeure en principe le « terminus ad quem ».
Le dénouement d’un processus de transition peut connaître des destins divers. L’instauration d’une démocratie politique (transitions en Europe de l’est ou en Amérique latine) ou d’un type différent de régime autoritaire encore plus sévère que le précédent (Egypte) voire à un chaos généralisé menaçant l’existence de l’Etat (Lybie) ou enfin la mise en place d’un simple cadre institutionnel pluraliste (plusieurs pays africains).
C’est dire, qu’une transition ne garantit nullement la démocratie comme apothéose. Ses résultats sont imprévisibles et les risques de blocage sont réels.
Sur la scène politique nationale déjà encombrée par les spéculations, les fakenews, et le flou méprisant au sommet du système de gouvernance, une idée qui ne cesse d’être évoquée et propagée parmi la population et qui aurait l’ambition de débloquer la situation politique et économique actuelle en Tunisie, c’est celle qui consiste à la mise en place d’une transition démocratique sous la houlette des militaires. Et pour mieux convaincre interlocuteur, les adeptes de cette initiative appuient leur idée en faisant référence à des précédents historiquesétrangers.
Il s’avère donc utile, après la tournure prise par le débat dans la sphère politique et médiatique, de préciser la réalité de certaines expériences étrangères citées souvent comme exemples à méditer et de clarifier la nature du concept tunisien en la matière en attribuant un rôle éventuel à d’anciens militaires afin de contribuer au déblocage de la situation.
Le cas espagnol
Le cas espagnol est un exemple d’une transition en douceur et évolutive grâce principalement au leadership du Roi Juan Carlos, qui s’est engagé activement dans le processus d’ouverture démocratique et le courage de son chef de gouvernement Adolfo Suarez renforcé par l’allégeance de l’armée .La tentative du coup d’Etat de février 1981 du Général Del Bosch et la prise en otages des députés au sein même de leur parlement ont été le dernier coup de baroud de certains secteurs de l’armée encore résistants aux changements démocratiques.
Le cas portugais
Paradoxalement, la démocratisation portugaise était le fruit d’un coup d’Etat d’officiers contre une junte militaire, qui s’est muté en révolution militaire et populaire dans un climat de crise économique, de luttes sociales et de division au sein de la dictature. Les jeunes officiers soutenus par une société civile mobilisée ont conduit « la révolution des œillets » sans effusion de sang mettant fin à près de cinq décennies de dictature (1926 -1974).Les militaires portugais ont été une force de changement en contre sens des ambitions de leur haute hiérarchie. Ils furent des acteurs de démocratisation de leur pays et de décolonisation des autres peuples (Mozambique, Cap Vert, Sao Tomé, Angola)
Le cas chilien
Les caractéristiques fondamentales de l’expérience chilienne sont la longueur dans le temps et le rôle des militaires dans le déroulement du processus en tant que partie dominante. Trois principales étapes ont marqué cette expérience : Tout d’abord, l’exercice exclusif du pouvoir par les militaires, puis la collaboration des civils et enfin le transfert de la gouvernance aux civils mais les militaires préservent le rôle de contrôle des institutions et de la constitution.
Le cas algérien
A la différence des exemples précédents, le cas algérien est particulier. Les décideurs militaires algériens ne constituent pas une junte au sens classique du terme mais c’est une force informelle qui assure néanmoins la réalité du pouvoir par le biais de gouvernements civils parrainés. Les militaires algériens ont toujours été au centre de la gouvernance du pays en étant les inspirateurs, les superviseurs et les décideurs dans les choix du destin du pays.
Malgré ses multiples professions de foi de neutralité et d’institution républicaine non concernée par la politique, il n’en demeure pas moins vrai que l’influence de l’armée en Algérie est toujours réelle et pesante.
L’Etat algérien fait face actuellement à deux impératifs complémentaires à savoir d’une part, le désengagement des militaires du champ politique sur le plan formel et informel et de l’autre, l’avènement d’une république démocratique par un processus de dissolution d’un régime épuisé qui a atteint ses limites.
Les miliaires à la retraite en Tunisie : une solution ?
Les différents exemples de transition ont montré que les militaires ont, d’une façon ou d’une autre, un rôle à jouer. En outre, dans toute transition démocratique, des facteurs endogènes peuvent créer des moments historiques pour le changement comme la mobilisation de la société civile ou la prise de conscience collective de l’inéluctabilité du changement avec l’apparition de leaders convaincus.
Ceci étant dit et souligné et dans un contexte de moral en berne, il n’échappe à personne que notre pays traverse actuellement une étape cruciale de son histoire marquée par de graves menaces multiformes visant l’Etat, son statut, ses fonctions, son autorité et ses institutions .Cette tension est d’autant plus aiguë qu’elle est couplée d’une dégradation économique et sociale sans précédent. Le pouvoir en place a montré une incapacité de régler les conflits sociaux et ceux qui ont marqué les rapports entre partis politiques mus par des motifs plus subjectifs qu’objectifs.
Fidèles aux serments qu’ils ont faits à la patrie et au nom des chouhadas, un groupe d’officiers supérieurs à la retraite usant leur droit de citoyenneté et avec le concours d’une pléiade de personnalités civiles ont senti l’urgence de mobiliser l’ensemble des forces vives de la Nation autour d’un seul mot d’ordre, celui de défendre l’unité du peuple et réussir la transition démocratique . Ils ont décidé de troquer la langue de bois contre la langue de vérité et d’emprunter la seule voie possible et légale, celle de s’inscrire dans la lutte politique au sein d’un mouvementqui ne serait pas nécessairement un parti mais un groupement d’hommes et de femmes de toutes les tendances mais ayant les mêmes convictions et les mêmes solutions des problèmes du pays.
« AGISSONS POUR LA TUNISIE », c’est le nom donné au rassemblement en phase de constitution. Il se veut porteur d’une vision qui projette la Tunisie sur les 50 prochaines années basée sur un état des lieux objectifs et des propositions concrètes et novatrices de sortie de crise qui mettent l’humain et son bien-être au cœur du projet.
Aujourd’hui en Tunisie, il est quasiment impossible de dire qui tire vraiment les ficelles du jeu démocratique vue la nature opaque du système politique où le pouvoir est dispersé et parfois dilué dans des combinaisons improbables.
Pour cela, les militaires à la retraite veulent sortir de l’ombre pour investir massivement le champ politique et s’imposer comme une alternative possible ou du moins une force de propositions pouvant participer à la prise de décision sachant que l’opposition est déstructurée et divisée.
« Agissons pour la Tunisie » se veut être une autre vision de la Tunisie par de vrais patriotes acquis par la loyauté à la patrie et qui se tiennent fin prêts pour la relève de cette classe de ploutocrates complètement aveugles devant l’état de mendicité tous azimuts du pays.
Mohamed Kasdallah
Officier à la retraite