Laroui Vs. Fawaz Nessma
L’ouverture du paysage audiovisuel tunisien a eu au moins un résultat inattendu : l’intrusion d’un nombre croissant de mots français dans notre dialecte sous l’influence des chaînes et radios privées. S’il est vrai que la «dérija tunisienne » est constituée de plusieurs emprunts à des langues étrangères, la langue utilisée dans les médias publics est le résultat d’un compromis entre la langue châtiée des lettrés et celle fleurant bon le terroir tunisien, une langue qui a l’avantage d’être comprise à la fois par le Tunisien et par les autres pays arabes.
On s’est souvent gaussé de la manie des animateurs des stations publiques à couper la parole à tout invité qui utilisait un mot étranger. Ils avaient parfaitement raison. Mais il ne faut surtout pas baisser la garde. Car le service public, c’est avant tout, la voix de la Tunisie et il faut porter cette voix partout dans le monde, donc utiliser une langue accessible à tous. Dans cette société de la communication où nous vivons, rien n’est plus facile que de créer un effet de mode. Il suffit de tendre l’oreille dans la rue. On n’a jamais autant utilisé de mots étrangers et notamment français dans nos conversations que depuis l’ouverture des chaînes privées. Et, circonstance aggravante, ce sont les animateurs de ces chaînes qui donnent le la dans leurs émissions en recourant au français à tout propos, contraignant indirectement les invités à les suivre sur le même registre.
La langue de Laroui va-t-elle céder le pas à celle de Naoufel et Fawaz, une sorte de patchwork, avec les ravages que l’on imagine. Il s’agit d’une évolution porteuse de graves dangers. Car, au train où vont les choses, le dialecte tunisien serait, à long terme, plus proche du maltais que de la langue arabe. Comme les Hongrois ou les Albanais, on parlerait une langue propre à nous, (j’en connais quelques uns qui n’en seraient pas mécontents), mais qui serait incompréhensible au-delà des frontières de notre petit pays. On serait alors totalement coupé de notre environnement arabe. Une perspective certes, apocalyptique, mais qui, heureusement, est encore loin d’être inéluctable parce que le phénomène en est à ses débuts.
Entendons-nous bien. Comme l’écrasante majorité des Tunisiens, je suis pour l’ouverture du PAT, pour l’apprentissage et le maniement des langues étrangères et notamment le français, mais pas au point d’y perdre notre âme et de reléguer notre langue et avec elle tout notre patrimoine culturel, notre personnalité arabo-musulmane au magasin des accessoires.
Hédi