Taoufik Habaieb: Exigeons !
Accaparer l’Etat, s’emparer de tous ses rouages et les contrôler totalement. C’est ce que craignent le plus les Tunisiens. S’approprier les institutions, domestiquer les corps constitués et la haute administration, occulter les compétences et s’arroger tous les privilèges et tous les droits, étouffera l’élan démocratique pris. La course aux urnes n’est point fondée sur un consensus de programmes, mais un oligopole négocié d’influences, à chacun sa part. Sans garantir pour autant une majorité confortable au Bardo.
Faute de réforme politique essentielle, l’impunité et l’absence de redevabilité privent la Tunisie d’une élite de décideurs indispensables. Si la démocratie s’exerce par le vote, elle ne s’accomplit que par le droit à l’inventaire et l’obligation de rendre compte. Sans ce contrôle permanent de l’efficience et cette mesure vigilante de la tenue des promesses, le mandat délégué aux élus se vide de tout sens.
Regueb, La Rabta et autres Sabbalat Ouled Asker : dans le deuil et l’indignation, la série noire nous interpelle. Viol d’enfants, embrigadement extrémiste, mort de nourrissons par négligence et de pauvres ouvrières agricoles par désinvolture : le Tunisien ne sait plus à quel saint se vouer. La gesticulation de ceux qui sont au pouvoir et les communiqués des partis et organisations ne parviennent guère à remembrer des fractures profondes dont les stigmates resteront longtemps.
Faute de mieux, les Tunisiens risquent de voter par défaut ! Dans six mois exactement, le retour aux urnes le 6 octobre prochain n’autorise aucun rêve de lendemains meilleurs. Ni correctif de rattrapage et point de salut, sinon la consécration des dominants ! Encore cinq années bien difficiles, d’incertitudes, de dérapages et de cafouillages s’invitent sous les radars.
Les candidats qui quêtent l’obole des nantis pour financer leurs campagnes sont de plus en plus remis à leur place. Qu’avez-vous fait de votre mandat et des engagements pris ? Le questionnement trouve son plein sens. Ahuris, les quémandeurs replongent dans les justifications et les promesses.
Regroupez-vous autour de programmes et non autour de personnes pour mériter notre soutien. Cette fois-ci, en droit d’exigence, l’injonction s’érige en un contrat-programme. Le rassemblement prescrit n’est pas celui de tous : pas de place à ceux qui ont failli, qui ont trahi, qui se sont inféodés à l’étranger, ou qui ne cultivent qu’une ambition personnelle. Des patriotes compétents et une vision.
Exiger une autre offre politique est essentiel ! C’est le droit légitime de tous les Tunisiens. Déjà, le diagnostic de ces huit années qui s’écoulent, diversement conçu et perçu, n’est pas unanimement partagé et ses facteurs sont peu analysés. Les grandes questions fondamentales d’avenir sont occultées. Quel rôle pour l’Etat, pour le secteur privé ? Quelle forme de justice sociale et de répartition équitable des richesses ? Quel plan contre l’exclusion et les inégalités? Quels engagements pour préserver l’indépendance de l’administration publique et des grands corps de l’Etat ? Quels choix pour l’accès au savoir, à la santé et autres services publics ?...
Seul un nouveau pacte démocratique autour de choix stratégiques d’avenir préservera la Tunisie. Avant de se présenter aux urnes, les candidats doivent s’y résoudre. En toute harmonie, dans la diversité! Ceux, de tous bords, que nous avons récemment rencontrés dans les diverses allées du pouvoir et du contre-pouvoir à Washington DC et dans les institutions financières internationales ainsi que dans bien d’autres capitales occidentales nous le répètent : «Il ne faut pas s’attendre à des miracles, mais tenez bon, vous y arriverez. La grande opportunité pour consacrer la singularité tunisienne est de plébisciter des choix communs, porteurs, et de faire élire une nouvelle élite de décideurs, à même de faire face aux contingences et d’aller de l’avant!»
Ce qui enrage les Tunisiens, c’est de voir le pays en perdition, faute d’un ultime sauvetage... alors que toutes les voies de sortie de crise nous sont ouvertes et que toutes les solutions sont à notre portée. Rien n’est encore perdu d’avance. Tout reste possible.
Le mois de Ramadan qui commence est celui de l’abstinence, du recueillement et de la contemplation. Profitons-en pour méditer. Et pour exiger. Exiger une redevabilité, une nouvelle offre politique, un nouveau contrat avec les Tunisiens, pour la Tunisie.
Ramadan Mabrouk.
Taoufik Habaieb
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