Abdelkader Maalej: L ’information entre hier et aujourd’hui
Il était dans mon intention , comme je l’ai promis dans un précédent article intitulé quid de la révolution et publié sur les colonnes de cette revue, de consacrer un autre article à l’avènement de la deuxième république tunisienne (d’aucuns disent que c’est la troisième) , mais depuis lors, des développements se sont produits et notamment le bond en avant (de 97 à 72 sur 161), de la Tunisie qui a gagné 25 places dans le classement de Reporters sans frontières concernant les libertés de la presse, classement pourtant remis en cause par le syndicat des journalistes tunisiens qui évoque «la politique d’atermoiements » encore suivie selon ses dires par le gouvernement tunisien. C’est surtout cette auto flagellation qui m’a poussé à reporter mon projet initial à une autre date ultérieure et consacrer le présent propos au très important chapitre de l’information et particulièrement la liberté de la presse en Tunisie. Au demeurant, ayant passé toute ma carrière administrative au ministère de l’information, je me suis toujours intéressé à ce secteur primordial dans la vie des peuples et dont j’ai été un témoin oculaire pendant une longue période. Pour preuve, si besoin est, j’ai publié jusqu’à présent pas moins de 7 livres sur l’histoire de la presse et du journalisme en Tunisie et notamment à Sfax’(dont un publié à Paris par Edilivre sous le titre ‘L’information au féminin’ et ce en sus des dizaines d’articles publiés par des journaux et revues tunisiens dont Assabah, La Gazette du sud, la Revue de la communication publiée par l’IPSI, Tunian highligts et Tunisian digest etc.
L’information à l’époque de Bourguiba
Dans ce papier, je me propose particulièrement d’établir une comparaison aussi précise que possible, entre les trois ères de notre histoire moderne, à savoir l’époque de Bourguiba, celle de Ben Ali et celle de l’après-révolution.
Bourguiba était certes un personnage exceptionnel dans l’histoire moderne de la Tunisie. C’est lui qui a jeté les bases de l’Etat tunisien, qui a répandu l’enseignement devenu gratuit et obligatoire pour tous, qui a réformé et modernisé le secteur de la santé (planning familial entre autres) qui a libéré la femme en promulguant le CSP unique loi en son genre dans le monde arabo-musulman et première loi à être promulguée en Tunisie au lendemain de l’indépendance obtenue en 1956 et j’en passe.
Mais en dépit de tous ces exploits Bourguiba était un despote qualifié à tort ou à raison de despote éclairé. Pour lui, la fin justifiait les moyens. Se fixant comme premier objectif la réalisation du développement économique et fort de son charisme, il accaparait entre ses mains tous les pouvoirs car selon lui les Tunisiens n’étaient pas encore mûrs pour pouvoir jouir adéquatement de la démocratie et d’en faire un bon usage. Par voie de conséquence Il n’acceptait aucun partage du pouvoir, ni aucune opposition à ses décisions. Ce faisant, Bourguiba avait une mainmise totale sur le secteur de l’information. Tout reproche à lui adressé était inadmissible et parfois même châtiable. Il était aussi un lecteur assidu des journaux et un auditeur ponctuel de la radio nationale. A chaque fois qu’il lisait quelque chose qu’il n’aimait pas ou entendait ce qui ne lui plaisait pas, il n’hésitait pas à prendre le téléphone pour tancer l’auteur de l’acte incriminé. Il ne cessait jamais de dire à tous ceux qui voulaient l’entendre, que la radio télévision tunisienne et les journaux Al Amal et l’Action lui appartenaient personnellement et que par conséquent on ne pouvait y proférer aucun reproche ni à lui ni à sa politique.
Néanmoins tout n’était pas sombre dans ce registre. Sous Bourguiba, le secteur de l’information avait connu deux périodes dorées. Dirigée vers l’extérieur, la première avait coïncidé avec le passage de feu Mustapha Masmoudi au secrétariat d’Etat à l’information (1974- 1978) A cette époque la Tunisie fut appelée à jouer un rôle prépondérant dans le secteur de l’information dans le cadre du mouvement des pays non alignés. Elle fut élue Président du Conseil de coordination de l’information des pays non alignés. Un tunisien Béchir Twal fut désigné PDG de l’agence de presse Tanyoug. La Tunisie était devenue une véritable ruche de travail en pleine activité. Les conférences et les colloques internationaux consacrés au secteur de l’information se succédaient sans relâche. Des invités étrangers affluaient de partout vers la Tunisie pour participer ou assister à ces conférences. Les hauts fonctionnaires du Secrétariat d’Etat à l’information, devaient être de la partie et étaient appelés à apporter leurs contributions afin d’assurer la bonne organisation et le succès des conférences tenues en Tunisie pendant toute la durée du mandat.
Outre ces activités dirigées vers l’extérieur, Mustapha Masmoudi fit promulguer en 1975 le premier code de la presse de la Tunisie indépendante. En 1973 fut aussi fondé Le Conseil supérieur de l’information qui avait pu tenir cinq cessions consacrées chacune à un thème précis ayant trait à l’information. A l’issue de chaque cession les participants adoptaient une motion comportant les recommandations adressées aux autorités compétentes du pays. Plus tard ce conseil fut aboli et remplacé à l’époque de Ben Ali par un autre conseil fantoche, le Conseil supérieur de la communication dont les membres étaient tous désignés par le chef de l’Etat.
La deuxième époque dorée du secteur de l’information coïncida avec la désignation de M Tahar Belkhodja à la tête du Ministère de l’information au début des années 80 du vingtième siècle. Cet homme fort et soutenu par la première dame de Tunisie, Wassila Bourguiba put faire quelque peu sortir le secteur de l’information de son inertie. Malgré l’opposition du Premier ministre Mohamed Mzali, Tahar Belkhodja avait réussi à introduire la diffusion en Tunisie des programmes de la deuxième chaine de télévision française, Antenne 2, baptisée plus tard France 2. Sous Tahar Belkhodja la chaine de télévision tunisienne entama la diffusion de certains programmes auxquels il était permis aux opposants de participer. Enfin une quarantaine de revues et de journaux indépendants furent fondés tels que Le Maghreb Al Anwar Achourouq et j’en passe.
L’information à l’époque de Ben Ali
Sous le règne Ben Ali tout allait changer en matière de libertés publiques et de droits de l’homme. Ex général de l'armée, l’instigateur du 7 novembre 1987 était un homme outrancièrement strict et rigoureux qui ne tolérait ni dialogue ni participation. Il donnait des ordres et les soldats devaient obéir sans discussion aucune. Personne n’avait le droit de lever la main pour donner un avis ou présenter une proposition hormis bien sûr quelques conseillers acquis à sa cause. La liberté d’expression était jugulée et les journaux ne pouvaient pas sortir du rang. Les journalistes et les chroniqueurs devaient illico presto appliquer les instructions du palais sans mot dire. Celui qui osait agir autrement était automatiquement sanctionné. Un mien ami, ex rédacteur en chef d’un important journal fut limogé de son poste parce qu’il refusait de publier tous les jours et en haut de la première page la photo du maitre de Carthage même s’il n’avait effectué la veille aucune activité digne d’être rapportée ou rendue publique. Outre cela tous les opposants étaient non seulement tenus au respect mais carrément matés et la répression battait son plein. Les islamistes étaient réprimés sans pitié. Bref c’était un régime policier par excellence. Néanmoins dans l’espoir de s’attirer la complaisance de l’opinion internationale et le soutien de certains pays occidentaux Ben Ali avait autorisé l’existence de trois ou quatre partis d’opposition, genre de marionnettes et leur octroyait même une subvention annuelle substantielle pour les tenir coïts. Pour mieux meubler la vitrine il permettait à ces partis d’opposition d’avoir leurs propres journaux supposés d’opposition tels que Array, Almawkef et Attariq Aljadid. Mais ces journaux étaient aussi obligés d’appliquer les instructions du palais, et s’ils ne le faisaient pas ils encouraient le risque de la saisie ou même la suspension.
Cette étreinte fut bouclée par une pratique bigrement machiavélique. Un groupe de journalistes thuriféraires était chargé de confectionner des articles de presse panégyriques destinés à être «vendus» à prix fort à certains journaux et revues arabes et africains. Un ex pseudo journaliste à la RTT(niveau troisième année de l’enseignement secondaire) se faisait voir au moins 2 fois par mois à l’aéroport de Tunis Carthage en direction de l’une des capitales du Moyen Orient ou de l’Afrique tenant une valise pleine de dollars destinés à être offerts à tous ceux qui acceptaient de publier l’un des articles en sa possession. Pour confirmer l’authenticité de cette information je peux dire que j’ai été moi-même sollicité de participer à ce genre d’activité et que j’avais naturellement décliné l’offre, prétextant que je n’étais pas un journaliste professionnel. Outre ces journalistes d’autres personnes avaient leur part de l’obole en publiant des livres faisant l’éloge de Ben Ali; je citerais simplement le cas d’un ex ministre encore en vie et un feu cinéaste se voulant aussi être un historien qui avaient eu leur rançon en publiant chacun un livre élogieux sur Ben Ali.
Les laudateurs n’étaient pas uniquement tunisiens. Certaines plumes moyen-orientales obtenaient également une part du gâteau en participant par leurs publications à l’éloge de Ben Ali, Je me limite à citer les deux cas les plus flagrants, celui de la syrienne Hamida Na’na’ qui fut gracieusement récompensée pour son livre sur Ben Ali, et le libanais Nabil Baradï qui fut autorisé à fonder en Tunisie la revue Ala’hd (qui signifie ère ou engagement). Tous les ministères étaient tenus de s’abonner à la revue (50 exemplaires) et une voiture du ministère était utilisée pour assurer la distribution de la revue.
La liberté d’expression et d’organisation au lendemain du 14 janvier 2011
Au lendemain de la chute de Ben Ali et l’avènement de ce qu’on a appelé à tort ou à raison la deuxième république les choses vont complètement changer. Tout le monde s’accorde à dire que le seul acquis jusqu’ici obtenu par les Tunisiens n’est autre que la liberté d’expression et d’organisation de partis politiques ou d’associations. Avons-nous su profiter utilement de cette aubaine? Au plan de l’information on pourrait répondre oui. Mais la liberté de la presse a été grosso modo bigrement exploitée par les moyens d’information, ce qui a malheureusement abouti à certains abus. Même la HAICA, l’institution constitutionnelle audio visuelle fondée aux fins de faire, respecter la loi, n’a pas réussi à exercer ses compétences convenablement, notamment en ce qui concerne la chaine de télévision Nessma. La HAICA a dù recourir à la force publique pour obliger Nessma à fermer ses portes ce qui n’a pas manqué de provoquer un tollé général contre cette décision. Par contre elle n’a pas pu appliquer la même loi à l’encontre d’une autre chaine qui se trouve dans une même condition en l’occurrence la chaine Zitouna Interrogé sur cette position de deux poids deux mesure, le président de la HAICA a fait savoir que son organisation n’a pas été capable d’appliquer la loi contre la chaine Zitouna car celle ci est soutenue, dit il honteusement, par un parti politique au pouvoir, en l’occurrence Ennahdha. Les cas d’abus sont multiples et il serait fastidieux de les énumérer tous. Néanmoins on ne peut pas omettre de signaler que molto incidents se sont produits et des dizaines de journalistes tunisiens furent agressés, tabassés et parfois grièvement blessés lors de l’accomplissement de leur besogne Est ce le prix de la liberté. Peut être.
On ne saurait maintenant clore ce chapitre sans évoquer la liberté de fonder des partis politiques et des associations civiles. La pléthore de telles instituions ne peut être que néfaste. Le nombre des partis a atteint 218 et le nombre des associations a dépassé les 20 milles. Pour ce qui est des partis la déchirure est manifeste. Et les descensions n’épargnent pratiquement aucun d’eux et en premier lieu Nida Tounes qui avait pourtant remporté, haut la main, les élections présidentielles et législatives de 2014. Quant aux associations des dizaines sinon des centaines se sont avérées en rapport étroit ave le terrorisme tout en percevant d’énormes sommes d’argent dispensées par certains pays étrangers qui se fixent pour objectif la déstabilisation du pays concerné pour y fonder un Etat islamique soumis à leur volonté. Des dizaines d’associations furent déjà dissoutes mais le mal persiste toujours puisqu’un grand nombre parmi elles sont soutenues par des partis politiques puissants. La fameuse affaire de l'école fallacieusement dite coranique est un exemple manifeste de cette débandade.
Pour conclure sur une note optimiste, je continue de nourrir l’espoir d’un avenir meilleur.
Abdelkader Maalej
Ecrivain et ancien communicateur