Nora Essafi: De la nécessité de la constitution d'un Rassemblement National, Démocratique et Progressiste pour les Femmes de Tunisie
Sans entrer dans les détails des accidents graves causés par des véhicules destinés au 'transport rural' des ouvrières (et ouvriers) agricoles a Sabala dans le gouvernorat de Sidi Bouzid le 27 avril 2019 et, le même jour, à Kasserine et la veille à Kairouan, largement débattus dans les média, une observation objective et sans concessions des organisations, associations et coalitions ayant au cœur de leur mission la défense des droits des femmes de Tunisie révèle l'absence d'actions de solidarité et de protestation concertées à la mesure d'une tragédie se déroulant fréquemment et dans le silence dans nos campagnes.
Il y a eu des communiqués, des réactions à chaud sur les réseaux sociaux, quelques associations se sont rendues à Sidi Bouzid, une manifestation a été organisée le 30 avril 2019 à 11h devant le Ministère de la Femme par la société civile (UNFT, UGTT, Moussaouat, Collectif 20 mars 2019), le 1er mai la manifestation (ATFD et autres) au 'carré féministe' devant le même ministère n'a pas drainé les citoyen nés en masse comme on aurait pu s'y attendre compte tenu de l'ampleur et de la gravité de ces 'accidents' à répétition, révélateurs d'une réalité accablante dans les zones rurales (et ailleurs dans les zones urbaines où on peut, en voulant bien regarder, constater les risques encourus tous les jours par les 75% de 'sans voitures' ).
Afin de nous limiter dans l'identification des causes de cette désaffection nous n'en mentionnerons que deux.
La première est que, en dépit de l'implication d'un grand nombre d'associations et organisations auprès des femmes dans les zones rurales, la question des injustices et inégalités subies par les femmes rurales ne parvient pas à générer la masse critique capable de mobiliser les citoyens et les citoyennes par milliers, ni même par centaines.
La deuxième cause, pour ce qui concerne les associations, organisations et coalitions de défense des droits des femmes de Tunisie, est l'éparpillement, la nucléarisation, chacun chacune travaillant, avec toute la détermination et la bonne volonté du monde, à la réalisation d'objectifs somme toute communs (liberté, parité, égalité dont l'égalité successorale).
La dégradation des conditions socio-économiques en Tunisie aujourd'hui touche particulièrement les femmes et ce à tous les niveaux et dans tous les secteurs les rendant plus vulnérables aussi bien dans les campagnes que dans les villes (agriculture, industrie, tourisme, services...).
La dégradation des services publics, en particulier la santé publique, touche les femmes de Tunisie où on peut mourir en couche plus fréquemment et où leurs nourrissons et leurs enfants courent des risques de plus en plus grands allant jusqu'à la mort en série.
Les libertés fondamentales et élémentaires des femmes de Tunisie sont menacées, liberté d'opinion bien sûr mais liberté et contrôle sur leurs corps, comme la liberté de choisir le moment opportun de faire des enfants par l'accès à la contraception ou d'avorter quand les grossesses ne sont pas désirées.
La liste est longue et nous ne pouvons ici entrer dans l'analyse détaillée de ce que nous pouvons continuer de nommer la 'condition féminine'.
Bien que la Tunisie soit considérée pionnière et avant-gardiste du fait de l'adoption de lois favorables aux droits des femmes et ce depuis l'indépendance de la Tunisie (Code du Statut Personnel, 1956), il reste que leur application reste limitée et imparfaite; on en veut pour preuve et pour seul exemple l'application de la loi contre toute formes de violence contre les femmes (2018).
En outre, des forces dont le projet politique et sociétal s'oppose en tous points à l'émergence d'un modèle de société où les femmes jouiraient pleinement de leur liberté et de leurs droits exercent une pression afin de ralentir le processus législatif (égalité successorale) d'une part, et d'autre part contribuent (via divers mécanismes) à ralentir et empêcher dans la mesure du possible l'application des lois.
Ce sur quoi nous voulons mettre l'accent ici est que, compte tenu des enjeux et des risques propres aux circonstances que nous vivons aujourd'hui en Tunisie, un rassemblement pour les femmes de Tunisie à l'échelle nationale devient une urgence pour:
- une cohérence et une cohésion accrues et par conséquent une plus grande force du mouvement pour la défense et la promotion des droits des femmes de Tunisie,
- une visibilité, une appropriation et une adhésion au travail associatif de fond en l'intégrant dans un réseautage à l'échelle nationale (en précisant bien qu'il ne s'agit pas de fusion),
- une coordination et une conjugaison des efforts pour réaliser les objectifs spécifiques relatifs à la condition des femmes de Tunisie,
- une expression politique libre et indépendante des aspirations des femmes de Tunisie dans un contexte à risque pour elles où elles représentent au mieux un marchandage entre les partis en course pour les élections de 2019 ou un réservoir de voix à conquérir pour gagner les élections.
Les femmes de Tunisie valent plus que cela et doivent le prouver. - Le Rassemblement National, Démocratique et Progressiste pour les Femmes de Tunisie, qui pourrait émaner de l'organisation des Assises pour un Rassemblement National, Démocratique et Progressiste pour les Femmes de Tunisie, pourrait offrir le cadre organisationnel pour son fonctionnement.
Pour les femmes de Tunisie, clé de voûte du projet national, démocratique et progressiste de notre pays.
Nora Essafi
Membre Fondatrice du Front des Femmes pour l'Egalité (avril 2011)
et du réseau 'Coalition pour les Femmes de Tunisie' (2012)
4 mai 2019