Dr Amir Boukhris, lorsque l'avenir du cerveau est dans ses gènes
Amir Boukhris a fait de la lutte contre les maladies héréditaires du système nerveux génétiquement déterminées, ces maladies rares qui intéressent peu les grandes firmes pharmaceutiques, le combat de sa vie de Neurologue et de chercheur en médecine. Ses récentes découvertes sur des gènes responsables d’une forme héréditaire de paraplégie spastique, publiées et brevetées à l’échelle internationale, en font l’un des neuroscientifiques les plus en vue dans ce domaine. Retour sur le parcours, les réalisations, les rêves et les ambitions de ce jeune chercheur.
C’est dans sa ville natale de Sfax que le jeune Amir Boukhris entreprend ses études d’abord à l’école El Bochra puis au lycée Mongi Slim à Sakiet Ezzit où il décroche avec brio son Bac en 1995. Il aura trouvé en sa mère, enseignante, et son père, peintre plasticien, un soutien de taille dans sa passion de toujours, le cerveau. C’est donc tout naturellement qu’il s’oriente vers des études de médecine et se spécialise en Neurologie, mais la voie clinique le satisfait peu du fait de la pauvreté des possibilités thérapeutiques existantes dans ce domaine.
En effet, la plupart des maladies héréditaires du système nerveux sont encore incurables. Qualifiées d’orphelines, parce que rares, elles suscitent peu l’intérêt des grands laboratoires pharmaceutiques internationaux. Dans le pourtour méditerranéen, et notamment en Tunisie, ces maladies sont plus fréquentes que dans d’autres régions du monde et elles peuvent prendre des formes héréditaires récessives complexes où des troubles mentaux se rajoutent aux troubles moteurs habituels de la maladie. En outre, elles touchent parfois des familles entières.
Ces maladies étant en relation avec des anomalies génétiques, c’est à travers une meilleure connaissance de ces anomalies, et des gènes qui en sont responsables, que se trouve l’espoir de guérison.
Le jeune chercheur s’emploie alors à la recherche de nouvelles pistes dans ces maladies, et au soutien des parents biologiques se rajoute celui des pères spirituels. C’est tout d’abord le Professeur Chokri Mhiri qui lui offre une première opportunité de travailler sur une maladie génétique, la paraplégie spastique familiale ou maladie de Strümpell-Lorrain. Un travail qui sera dirigé par le Professeur Imed Feki et couronné par une thèse de doctorat qui sera proposée au prix présidentiel. Ce qui permet au Dr Amir Boukhris de bénéficier d’une bourse d’Etat et lui ouvre les portes de l’Université Pierre et Marie Curie à Paris où il se sous-spécialise dans les neurosciences et la neurogénétique, dans le sillage du grand pionnier tunisien de ce domaine, le Professeur Mongi Ben Hamida.
Il côtoiera alors les plus grands scientifiques de la Neurologie dans ce qui est considéré comme le fief de la Neurologie mondiale, le groupe Hospitalier Salpêtrière, où il travaillera à l’Institut du Cerveau et de la Moelle aux côtés, notamment, du Professeur Alexis Brice et du Docteur Giovanni Stevanin. Deux années d’une formation intensive et d’un apprentissage fructueux au bout desquelles il rentre en Tunisie et réussit le concours d’Assistant Hospitalo-Universitaire en Neurologie en 2007.
L’aventure ne fait que commencer et aux côtés de son activité clinique de Neurologue et de son enseignement, le Dr Amir Boukhris engage alors des recherches, avec ses collègues du laboratoire de Neurogénétique du service de Neurologie de Sfax et en collaboration avec des équipes françaises, sur certaines maladies héréditaires génétiquement déterminées du système nerveux. Ces travaux permettent à son équipe de retrouver les fréquences et les spécificités tunisiennes de différentes maladies héréditaires et d’isoler un nouveau gène (SPG15) et tout récemment un nouveau locus (SPG46) responsable d’une forme héréditaire de paraplégie spastique. Sur les deux dernières années, ce ne sont pas moins de 13 articles qui auront été publiés par le Dr Boukhris et ses collègues dans des revues scientifiques internationales prestigieuses. Ces recherches présentent un intérêt majeur pour les patients et leurs familles.
En effet, elles aident à poser un diagnostic génétique hospitalier des paraplégies spastiques et à proposer un conseil génétique adapté aux familles à risque. Des familles qui vivent souvent mal ces maladies qu’elles ignorent et que certaines considèrent, encore, comme honteuses, cachant parfois les enfants malades, les privant ainsi des possibilités thérapeutiques existantes et à venir. Parallèlement à la recherche thérapeutique, un travail de communication et de sensibilisation doit, ainsi, être mené afin de faire évoluer les mentalités.
Des recherches pour parvenir à des diagnostics plus clairs, plus fiables et plus précoces
L’urgence est là pour toutes ces familles en attente. C’est pour eux que le Dr Amir Boukhris et son équipes continuent un combat, certes de longue haleine mais nécessaire. Les histoires de ces familles atteintes sont marquantes et le jeune médecin s’en rappelle une, particulièrement poignante de ces parents qui sont venus en consultation avec leurs trois jeunes enfants. Les deux plus grands étaient déjà gravement atteints par la maladie et les parents s’inquiétaient de voir les mêmes symptômes, qu’ils avaient déjà connu chez leurs deux premiers, apparaître progressivement chez le petit dernier… Le verdict du médecin était sans appel, maladie héréditaire incurable dégénérative entraînant de lourds handicaps. Impuissance et frustration sont le lot de ces médecins qui ont très peu de consolation à apporter à des familles qui voient leurs enfants succomber inéluctablement dans la dégénérescence.
Les recherches actuelles permettraient d’éviter de pareils drames avec des diagnostics plus clairs, plus fiables et plus précoces, qui pourraient être entrepris même à un stade prénatal. C’est dans ce cadre que le Dr Boukhris a contribué, depuis 2005, à la création d’un laboratoire de Neurogénétique et d’une banque d’ADN au service de Neurologie de Sfax où est stocké, à partir d’échantillons sanguins, l’ADN des patients et de leurs familles. Cette banque contient actuellement plusieurs milliers de prélèvements qui ont servi et serviront aux besoins des recherches ultérieures.
Cette banque de l’espoir devrait contribuer à améliorer la connaissance des mécanismes cérébraux, qui est encore très parcellaire, comme le rappelle le Dr Boukhris, et à résoudre ce paradoxe existentiel: le cerveau de l’homme, qui lui a permis de conquérir le monde, continue à être l’un des plus grands mystères de l’univers.
Anissa Ben Hassine