C'est bien de parler de la Palestine, c'est bien mieux de s'attaquer aux vrais problèmes des Tunisiens
Jamais le Tunisien n'aura eu aussi peur qu'en cet automne. Peur pour sa famille, ses enfants, son salaire ou sa pension de retraite et son pays. Peur aussi de cette ambiance oppressante de fin du monde dans laquelle il vivait depuis la mort de Béji Caïd Essebsi. Il est vrai que dans la grisaille des mauvaises nouvelles, il était bien difficile de puiser des raisons de se rassurer depuis qu'il avait perdu cette figure tutélaire que représentait pour lui l'ancien président.
Avec le temps, on a fini par en faire son deuil, d’autant plus que les élections pointaient à l’horizon. Trois consultations à la file pour décider de l’avenir de notre pays, scrutées par des milliers d’observateurs et trois cents millions d’Arabes envieux, sevrés de démocratie depuis des générations pour se retrouver avec une chambre introuvable, émiettée, où le premier parti n'a recueilli que 20% des sièges d'où l'impossibilité de former un gouvernement à moins d'un sursaut patriotique et un président atypique. On aurait voulu se compliquer l'existence, on n'aurait pas réagi différemment.
Inconnu au bataillon il y a quelques mois, le nouveau président Kaïs Saïed l'emporta largement avec 72, 71% des voix pratiquement sans avoir mené campagne et sans««ceinture politique». Juriste, Saïed est entré en politique sur le tard. Très vite, il s'est taillé une belle réputation grâce à ses analyses, sa force de conviction, mais aussi sa diction, sa voix de stentor et son vocabulaire châtié qui nous rappellent les tribuns orientaux qui enflammaient les foules dans les années 60.
De toute évidence, Saïed croit à la magie du verbe et entend en user autant que possible. Puisse-t-il en faire bon usage. Car on préfère qu'il s'adresse à notre intelligence et non à nos sentiments, de prendre exemple sur Bourguiba plutôt que sur Nasser. Malheureusement, ses débuts n'incitent pas à l'optimisme.
C'est bien de se mêler à la population, d'aller au café du coin, de refuser de s'installer au palais de Carthage et de prononcer de beaux discours pour défendre les causes justes, notamment la question palestinienne. Ce serait bien mieux de donner la priorité à nos problèmes économiques totalement absents dans les deux interventions de Kaïs Saïed, de revigorer les Tunisiens et de les sensibiliser à la citoyenneté et à la valeur travail. Après tout la Palestine peut compter sur les pays arabes et tous les peuples épris de liberté et de justice et ce n'est pas l'apport de Tunisie qui va faire pencher la balance en sa faveur
Avec ses fragilités, notre pays ne peut pas lutter contre toutes les injustices du monde. Soulever aujourd'hui cette affaire en ce moment relève du donquichottisme.
Hédi Béhi