L'hommage émouvant de Kamel Morjane à la mémoire de Sadako Ogata (Vidéo)
Le 22 octobre dernier, les Nations Unies perdaient en Sadako Ogata «un exemple pour le monde dans le domaine humanitaire» comme l'avait qualifiée Antonio Guterres. Touché par la disparition de son amie de longue date, Kamel Morjane replonge dans ses souvenirs et brosse pour Leaders le portrait de cette dame d’exception qui l’avait adopté depuis leur première rencontre en 1991 alors quelle venait d’être nommé Haut- commissaire de l’ONU pour les refugies et lui, directeur pour le Moyen-Orient, l'Afrique du Nord et d'Asie du sud ouest de la même institution.
Descendante d’une prestigieuse lignée de politiciens nippone-son arrière- grand-père était le premier ministre Tsuyoshi Inukai (1855-1932) assassiné lors d’une tentative de coup d’état alors que son grand père était le ministre des affaires étrangères Kenkichi Yoshizawa (1874-1965) et son père diplomate- elle avait baigné dans la diplomatie depuis sa tendre enfance, ce qui lui avait permis de développer un sens unique de la négociation. Ogata était connue pour sa capacité d’adaptation légendaire à toutes les situations. Promue à l’ONU en 1991 elle n'avait aucune idée des problèmes de réfugiés. Elle était plutôt active à l'Unicef où elle était membre du conseil d'administration et recteur de l’Université catholique de Tokyo. Quelques semaines lui avaient suffi pour se voir attribuer le surnom du «géant d’un mètre 50».
Kamel Morjane lève le voile sur cette noble amitié née entre non seulement deux nations mais surtout entre deux personnes. «Mme Ogata était une grande amie de la Tunisie». Lors de ses visites dans notre pays, elle ne manquait jamais de faire une escapade dans les rues et ruelles de la capitale», toujours accompagnée par celui qui était devenu son protégé.
Kamel Morjane la considérait un peu comme une grande sœur pour ne pas dire une mère. Ce qui impressionnait chez Mme Ogata, c'était cette intelligence et cet esprit vif qu'elle avait sans oublier sa forte personnalité. «Si je dois lui reconnaître une seule grande qualité c'est qu'elle s'est imposée aux Nations unies ce qui n'était pas évident pour une femme. Elle était la seule femme Haut-commissaire et l’unes des rares qui avait enchainé deux mandats. On aurait voulu même qu'elle restât plus que ça.»
Il revient sur sa nomination au poste directeur de l'UNHCR pour l'Afrique grâce au soutien de Sadako Ogata. «Un beau jour de printemps à Genève, nous confie-t-il, Sadako Ogata m'appelle pour qu’on déjeune ensemble. C'était un vendredi. Je me rappelle comme si c'était hier. J’aimais beaucoup ses échanges en tête-à-tête. C’était pour moi un moment de détente mais surtout de grand apprentissage. On parlait pendant des heures du Moyen-Orient d'Afrique du Nord etc... A la fin du déjeuner, elle m'a regardé droit dans les yeux et m’a dit sur un ton ferme: «you are moving!» (vous allez déménager). Avec un sourire en coin, elle ajouté: «Can You Guess where?» (est-ce que vous pouvez devinez où). La première chose qui m’ait venue à l’esprit est de lui demander si je restais à Genève ou si ’elle estimait que je serais plus utile sur terrain que ce soit en Asie, en Afrique ou en Amérique latine pour les grands programmes DHL. Elle me lança ce regard tendre mais perçant dont elle seule avait le secret et ajouta: «Vous allez rester à Genève. Si le président de la Tunisie peut être président de l'Union Africaine, un Tunisien peut bien être directeur de l'Afrique. Donc, je ne vous consulte je vous informe de ma décision».
Sadako Ogata et Kamel Morjen ont préservé ce fort lien d’amitié même après la fin de leurs mandats respectifs. Certes attristé par sa mort, c’est entre sourire et larmes que M. Morjane rendra un bel hommage à cette figure emblématique de la diplomatie Japonaise.
Fatma Hentati
Vidéo: Maroua Makni