«Hannibal ad portas» (Hannibal est à nos portes)
La légende dit qu’une fois aux portes de Rome après une énième esquive, Hannibal lança un javelot en direction de la ville comme pour narguer ses ennemis avant de se retirer avec son armée sous le regard terrifié des Romains…
Comment donc Hannibal est-il arrivé à Rome, et par quel chemin était-il passé ?
La deuxième guerre punique, entre Rome et Carthage, communément appelée Guerre d’Hannibal n'a cessé de susciter des controverses…car entre autre, l’Histoire est toujours racontée par les vainqueurs.
Pour l’anecdote, un récent micro-trottoir à Rome, a donné qu’une majorité d’italiens croient que Hannibal (Annibale) est un personnage romain à l’origine, ce qui explique aussi le succès qu’a ce prénom de nos jours en Italie.
Cette guerre commence à Sagonte en Espagne en 218 avant J.C. et Fini à Zama en 202 avant J.C. (endroit controversé aussi, mais on retiendra Jama, à huit kilomètres à l'Ouest de la ville de Siliana, Tunisie)
On a notera beaucoup de choses sur cette guerre d’Hannibal, le génie militaire extraordinaire de ce général carthaginois, la stratégie du terrain punique contre l’organisation carrée à la romaine, la transformation radicale de la culture romaine suite à ce conflit, l’échec des petites manœuvres politiciennes carthaginoises au profit de l’obstination et détermination populaire romaine, etc…
Mais ce qui est certainement resté figé dans le subconscient du monde, c’est la traversée d’Hannibal et son armée des Alpes, chaîne de montagnes qui recouvre la frontière nord de l'Italie, une barrière naturelle qui protège Rome contre tout envahisseur venant du Nord. Une armée longue de plusieurs « kilomètres » et faite de plus de 50.000 soldats et mercenaires, 20.000 cavaliers et 37 éléphants.
Hannibal, la traversée des Alpes. Dessin Jacques Martin, 1980
Comment diable ils l’ont fait ? On va trouver un chemin, ou on va en créer un disait Hannibal à ses soldats (Viam inveniam aut faciam).
Ce fut une entreprise si grandiose, que même pour célébrer un héros national français, Napoléon Bonaparte, et son succès à traverser un col des Alpes lors de sa compagne italienne en 1799-1800, le peintre français Jacques-Louis David a inséré une petite référence à Hannibal dans son chef d’œuvre Bonaparte franchissant le Grand-Saint-Bernard(Château de Malmaison, Rueil-Malmaison, France),comme pour rappeler l’origine de l’exploit face à la copie (en bas du tableau à gauche). Cette référence « timide » et encore plus visible dans une adaptation moderne du tableau par l’artiste américain Kehinde Wiley : Napoleon Leading the Army over the Alps (Brooklyn Museum, New York, Etat Unis).
Les archéologues et autres historiens, randonneurs et montagnards ont proposé plusieurs routes possibles à travers les cols des Alpes, et c’est devenu quasiment un enjeu touristique de nos jours, comme le raconte Paolo Rumiz dans son excellent livre L’ombre d’Hannibal, et comment les communes du Sud-Est en France se disputent la vraie route d’Hannibal comme attrait touristique majeur. Mais sur les différentes routes possibles, notre général et son armée, n’ont emprunté qu’une seule. Laquelle ?
Différents trajets possibles proposés pour la traversée des Alpes par Hannibal
Et puis vient la science et ses miracles…
Récemment, un consortium a été mené par le professeur en biologie et bactériologie William C. Mahaney et les universités de York, de Laurentian, du Québec, de Toronto, de McMaster, de Lethbridge au Canada, ainsi que l’Université de Northern Arizona et le groupe GeoScience Consulting au Etat Unis, les Queens University Belfast et la Queen Mary University of London de Grande Bretagne, La Dublin City University en Ireland, l’Université de Tartu en Estonie, l’ Universidade de Lisboa, Portugal et enfin l’Université Joseph Fourier-Grenoble en France (La Tunisie ? Peut être une autre fois).
Les chercheurs se sont posé une question fondamentale : une armée aussi grande et composée d’animaux qui ne sont pas supposés être là (des chevaux en si grand nombre et surtout des éléphants), ça laisse des traces biologiques (des excréments et autres manifestations liées au broutages et besoins en eau notamment).
D’abord ils se sont focalisés sur l’aspect géologique de la chose en comparant les écrits de Polype et de Tite-Live (les 2 historiens, notamment Polype, un contemporain de la guerre, ont raconté et biographié les guerres puniques) et les données topographiques des cols possibles de traversé. Puis vient la Biologie
Une des avancées technologiques modernes est ce qu’on appelle l’ADN ancien (aDNA). En effet, des molécules d’ADN peuvent rester intacts pour des centaines voir milliers d’années sous certaines conditions environnementales. On peut les utiliser et les séquencer (étudier leur arrangements et prédire elles appartiennent à quoi et à qui).
Une autre donnée importante ici est que l’ADN des bactéries est totalement différents de l’ADN des autres organismes et de nos jours on connaît beaucoup de choses par rapport aux microbes qu’on trouve dans les intestins des animaux et des humains, on appelle ça le microbiota.
Il faut savoir qu’un type particulier de microbe, les Firmicutes appartenant à la classe des Clostridia, constituent à eux seules 70 % du microbiota des chevaux (et donc on peut les retrouver dans les crottes de ces animaux), on peut trouver aussi des Clostridia dans le sol, mais en petite proportion ne dépassant pas les 2 %. La différence est donc très grande entre des bactéries présentes normalement dans le sol et d’autres qui sont plutôt mis là a cause des crottes de chevaux. C’est fut la clef de voute de la découverte majeure de l’équipe du Professeur William C. Mahaney.
Les Clostridia produisent ce qu’on appelle des spores, genre de capsules quand l’environnement n’est pas trop accueillant (ici le froid des Alpes) et peuvent rester comme ça pendant des millénaires, a attendre des jours meilleurs. Les chercheurs on recueillit plusieurs et larges échantillons, appelés carottes, par foragedans différents endroits des chemins supposés d’Hannibal. Ils ont passé tout ça au crible grâce aux nouvelles technologies de séquençage qui permettent d’analyser des « billions » (oui billions) d’échantillons en un temps record et à des couts de plus en plus réduits.
Deux découvertes qui s’unissent parfaitement, d’abord ils ont trouvé que les échantillons recueillis dans un col dit Col de Traversette concentrent une très grande quantité d’ADN de Firmicutes (les bactéries qui poussent dans les intestins des chevaux donc, et se retrouvent dans leurs crottes). Ensuite, l’analyse au Carbonne 14 de ces échantillons en particulier date d'il y a 218 avant JC. c’est à dire exactement lors du passage d’Hannibal et son armée par les Alpes…une découverte fantastique qui prouve que Hannibal est bel eu bien passé par le Col de Traversette il y a 2200 ans ! Cette découverte a été publiée scientifiquement dans le journal Archaeometry en 2016.
Décidément, Hannibal nous réserve toujours des surprises et restera à jamais une source d’inspiration pour les illuminés dans ce monde
L’auteur Mohamed Jemaa contemplant la fresque de Jacopo Ripanda, Hannibal en Italie, au Musée Capitolini de Rome, Italie
Mohamed Jemaa
Chercheur en cancérologie à l’université de Lund en Suède et Fondateur et Coordinateur du Réseau des Jeunes
Chercheurs Tunisiens en Biologie YTRB Network.
Mais surtout grand amoureux de l’Antiquité Tunisienne et son porte drapeaux Hannibal Barca.
Références :
1-Serge Lancel: Hannibal. Fayard Edition, Collection Histoire. 1995
2-Paolo Rumiz : L’ombre d’Hannibal (Annibale - Un viaggio). Folio Ediion, Collection Voyage. 2013
3-W. C. Mahaney, et al. Biostratigraphic Evidence Relating to the Age‐Old Question of Hannibal's Invasion of Italy, I: History and Geological Reconstruction.
Archaeometry, 8 Mars 2016
4-W. C. Mahaney, et al. Biostratigraphic Evidence Relating to the Age‐Old Question of Hannibal's Invasion of Italy, II: Chemical Biomarkers and Microbial Signatures.
Archaeometry, 15 Mars 2016