Ridha Bergaoui: Pour une Tunisie propre
Des ordures ménagères dans des sacs en plastique noir lacérés et déchirés sauvagement gisent par terre, parfois des journées entières, autours de poubelles défigurées et sales dégageant des odeurs fétides et nauséabondes. Des chiens et des chats errants rodent autour à la recherche de quoi se nourrir. Des « barbechas » avec leurs brouettes et leurs gros sacs font basculer les poubelles pour fouiller dans cet amas de détritus des bouteilles en plastique et autres déchets à recycler. Des tas de débris de construction, du bois de taille, des carcasses du gros électro-ménager (frigo, TV…) et même de vieux matelats , des fauteuils et bancs hors usage viennent s’ajouter à ce paysage laid.
Les rues sont parsemées de papiers, des emballages et des sacs en plastique de différentes couleurs qui s’envolent avec le vent. Des mégots de cigarettes partout et des automobilistes qui jettent en roulant et sans aucune gêne des bouteilles vides, du papier coupé en petits morceaux et vident leurs cendriers au feu rouge. Des guichets de stations de métro abandonnés, vandalisés sentant de loin l’odeur des urines, sont devenus de vraies poubelles. Des murs décorés de graffitis moches faits par des tagueurs amateurs et des mots hideux touchant à la morale et au bon goût. Au bord des routes et es jours des marchés hebdomadaires des camions vendant des fruits et légumes repartent sans se gêner en laissant derrière eux un tas de déchets qui viennent s’ajouter aux gravats et autres déchets pour boucher les caniveaux et entraver la bonne évacuation des eaux pluviales.
Ces paysages et bien d’autres plus tristes les uns que les autres nous sont devenus de nos jours tout à fait familiers et font désormais partie de notre quotidien. Autant le tunisien accorde de l’importance à son hygiène corporelle et à la propreté de son espace privé autant il n’a aucun respect pour son environnement et l’espace public. On dirait que la propreté ne fait plus partie de notre culture.
Sur le plan esthétique, la saleté défigure nos villes déjà mal urbanisées, mal pensées et mal organisées. Sur le plan sanitaire, un environnement malsain peut être à l’origine de problèmes graves de santé du citoyen. Ces lieux d’accumulation des saletés représentent des foyers de dissémination de vecteurs de maladies comme les mouches, rongeurs, animaux errants ainsi que des microorganismes (bactéries et virus) et parasites divers. Associés à la poussière et aux gaz qui émanent de ces saletés, ces lieux pollués peuvent causer diverses maladies et entrainer de la morbidité au sein de la population. La santé des habitants passe par la salubrité de l’environnement. La propreté coûte cher à la collectivité mais la saleté revient encore plus cher car elle entraine une dégradation de la santé du citoyen qui nécessiterait des soins parfois très onéreux et entrainerait une diminution de la productivité des personnes en activité par morbidité et mortalité.
Il est certain que la situation s’est un peu améliorée, comparée à ce qu’elle l’était juste après la révolution, et les nouveaux conseils municipaux font tous leurs efforts pour améliorer la situation qui demeure encore catastrophique. Toutefois les moyens dont disposent les municipalités sont limités et elles sont incapables toutes seules de faire face à ce fléau d’autant que nombreux sont qui ne payent jamais l’impôt municipal (taxe locative ou zebla w kharrouba) et que la municipalité a bien d’autres responsabilités que celle de la propreté.
La propreté est la responsabilité de tous
Il semble que le tunisien salit en se disant qu’il y a des personnes payées pour nettoyer (allusion aux agents municipaux.) Il pense qu’il n’est pas responsable de la propreté des espaces publics. Partout ailleurs, la propreté est l’affaire de tous les partenaires (Etat, administrations, services municipaux, usagers, citoyens, commerçants, entreprises …). Des campagnes de bénévolat sont organisées de temps en temps pour nettoyer les rues, les plages ou les parcs. Ces campagnes n’ont qu’un impact très limité sur l’état de la propreté tant que l’usager garde le même comportement et les mêmes réflexes. Dans la rue, l’absence ou le manque de poubelles et bacs à ordures n’est pas forcement en cause tant que les gens continuent à jeter n’importe où sans gêne.
Pour faire changer l’habitude de nos concitoyens, il est nécessaire de les sensibiliser de l’importance de leur participation à la propreté. Une règle simple et évidente c’est que pour éviter les corvées de nettoyage, il faut arrêter de salir. La sensibilisation surtout des jeunes est très importante et le rôle de la famille et de l’école est décisif. Des campagnes de sensibilisation doivent être organisées dans tout le pays en utilisant tous les moyens de communication possibles (mass-médias, affiches, panneaux publicitaires…) pour sensibiliser le citoyen sur la nécessité de garder son environnement propre. Ces campagnes doivent s’étaler sur toute l’année afin d’inculquer aux citoyens les principes de propreté d’une façon permanente dans son inconscient pour que cela devienne un réflexe. Il est vrai que cela nécessite des fonds pour réaliser ces campagnes. Le Ministère de l’environnement avec ses différents services (Anged, Apal, ANPE…), les municipalités et les ministères concernés doivent essayer de trouver les fonds nécessaires. La création d’une caisse spéciale alimentée à partir d’un prélèvement sur des denrées ou des services en rapport peut être envisagée.
Les entreprises et les commerçants doivent être impliqués et doivent prendre en charge le nettoyage et l’embellissement de leur environnement. La société du métro léger doit entretenir et nettoyer régulièrement ses stations et même la voie empruntée par ses véhicules. A Moscou, le métro est un vrai musée d’une propreté impeccable et les stations sont d’une beauté époustouflante, de vrais chef-d’œuvres.
La plupart des pays pratiquent le tri sélectif des ordures ménagères. Il s’est avéré que le tri est très rentable et source de richesses en recyclant des métaux (aluminium, acier…), du verre, du papier, du plastique et en envoyant les déchets organiques au compostage. Il est nécessaire de passer chez nous au tri et recyclage des ordures ménagères au niveau des habitants (ces ordures représentent 2,6 millions de tonnes/an dont la fraction organique représente 63,2% avec un taux d’humidité de 65-70%, ANPE). La fraction organique peut être valorisée comme compost à vendre aux agriculteurs pour la fertilisation des cultures. Dans une deuxième étape et après sensibilisation, il faut faire participer activement l’usager à l’entretien de son environnement. Enfin il faut que le citoyen adopte et défende l’espace public qui sera considéré comme le prolongement de son espace privé. Appliquer la réglementation et sanctionner tout dépassement surtout pour les cas du flagrant délit est un moyen efficace pour lutter contre les abus.
A coté de la propreté visuelle et olfactive perceptibles il y a également la pollution non perceptible. Il s’agit de la contamination des denrées alimentaires par les micro-organismes. Dans ce cas, le contrôle des denrées alimentaire est nécessaire pour préserver la santé du consommateur. L’abattage sauvage dans les rues des animaux errants est inadmissible. Des alternatives existent : stérilisation, adoption, refuges, euthanasie …. Au centre ville et au niveau des ronds-points , l’affichage, quel qu’il soit, doit être réglementé, contrôlé et sévèrement sanctionné pour éviter l’affichage sauvage. La Tunisie dispose d’une loi anti-tabac qui interdit formellement aux fumeurs de jeter par terre leurs mégots et prévoit, afin de protéger les personnes « non fumeurs », l’aménagement de zones spécialement aménagées pour ceux qui ne résistent pas à l’envie de fumer. Cette législation prévoit de lourdes amendes à l’encontre des contrevenants. Il est nécessaire d’appliquer cette loi antitabac.
Dès le mois de novembre, la plupart des villes dans le monde sont décorées pour fêter la fin de l’année et l’arrivée de la nouvelle. Des illuminations parfois hallucinantes font le bonheur des habitants, grands et petits, et donnent à ces villes un aspect féérique. A coté, nos villes font une très mauvaise figure ce qui nuit à l’image du pays et au tourisme qui représente l’une de nos ressources les plus importantes.
Professeur Ridha Bergaoui