Suffit-il de reculer l'âge de la retraite à 62 ans et d'augmenter les cotisations pour pérenniser la sécurité sociale ?
Ni grave déficit alarmant, ni opulence rassurante des régimes de sécurité sociale, mais un impératif fort d’anticipation de la refonte concertée et progressive du système de protection sociale, dans son ensemble, en harmonie avec le modèle de développement et des choix sociétaux. Telle est la conclusion d’un fécond débat initié mercredi soir par l’Association Tunisie de Droit Social et des Relations professionnelles, présidée par M. Mohamed Ennaceur. Autour du ministre des Affaires Sociales et des Tunisiens à l’Etranger, M. Naceur Gharbi, invité d’honneur, se sont regroupés d’illustres spécialistes des questions de sécurité sociale, parmi les hauts commis de l’Etat, les universitaires, les représentants des organisations nationales.
Les enjeux sont importants : plus tôt on engage cette refonte, et moins lourde sera l’ardoise. Le cap est mis sur l’horizon 2030 et les projections qui tiennent compte de la restructuration démographique avec un vieillissement prononcé de la population, l’augmentation de l’espérance de vie (actuellement 74.5 ans), le ralentissement des recrutements et la sous-déclaration, rendent nos régimes actuels, bien généreux, fort fragilisés. Moins d’actifs, plus de retraités, qui financera les pensions. Aujourd’hui déjà, 56% des Tunisiens âgés de 60 ans et plus bénéficient d’une pension. En 2030, ce taux sera élevé à 85%.
Les choix de la Tunisie, rappelés par M. Naceur Gharbi, sont clairs : un mode de répartition solidaire, sur la base de l’équité entre les catégories et la solidarité entre les générations qui se partagent les charges et les bénéfices et une modulation progressive à travers le recul de l’âge de la retraite à 62 ans et l’augmentation des taux de cotisations. Ce qui est certain, c’est que les droits acquis seront bien respectés et que la démarche finale qui sera adoptée ne peut être que bénéficiant d’un consensus général et profitable aux salariés, aux employeurs, au développement économique et à la prospérité du pays et des Tunisiens. Le cadre est bien tracé et, avec la participation de tant de spécialistes, les débats s’annoncent instructifs.
Une rare concentration d’expertises
Nombre d’entre eux avait, en effet, accompagné à l’aube de l’Indépendance, la naissance de la loi 60-30, et, pour les moins jeunes, l’institution en 1974 des régimes de retraite pour les salariés du secteur privé et les différents élargissements du parapluie de la protection et l’approfondissement des prestations. A voir les Mohamed Chaabène, Sayed Blel, Mohamed Kechaou, Khaireddine Ben Soltane, El Aid Trabelsi, Mohamed Hedi Ben Abdallah, Lassaad Zarrouk, Mongi El Ayeb et autres figures administratives, syndicales (Ridha Bouzriba, Mohamed Shimi, Abid Briki, Hassen Abbassi, Mohamed Chendoul…) et universitaires (Hassine Dimassi, Hafedh El Amouri…), en plus de MM. Ennaceur et Gharbi, on découvre avec bonheur une rare concentration d’expertise de haut niveau que très peu de pays au sud de la méditerranée peuvent aligner.
La Tunisie qui a forgé un véritable modèle de droit social et de protection sociale, se doit aujourd’hui d’enrichir la réflexion du Bureau International du Travail et de nombreux pays émergeants, par les mises à jour rendues indispensables et salutaires.
Quatre solutions, mais aucune ne peut fonctionner toute seule
Introduisant les débats, le Pr Hafedh El Amouri a rappelé que pour consolider les régimes de sécurité sociale et éviter tout risque de perte d’équilibre, 4 solutions classiques sont envisageables à savoir le recul de l’âge de la retraite, l’augmentation des cotisations, la révision de la durée des périodes de cotisations nécessaires et l’accroissement des emplois. La fiscalité et la contribution de l’Etat peuvent s’y ajouter. Il explique cependant que prises une à une aucune de ses quatre solutions ne peut se révéler à elle seule efficace, ce qui nécessite des dosages intelligents, mais aussi des modulations sectorielles, par régime, et dans la durée, voire une fiscalisation et une capitalisation appropriée. Le débat peut alors commencer.
«Le temps est venu, déclare M. Ridha Bouzriba, Secrétaire général adjoint de la centrale syndicale, sur un ton calme et serein, de repenser avec clairvoyance et lucidité, l’ensemble du système de protection sociale, sans le dissocier des autres aspects du développement économique et de l’évolution de la société. Un grand débat national doit s’instaurer, associant tous les Tunisiens dans à cette question de si grande importance pour tout un chacun et tous. Depuis au moins 1994, l’UGTT n’a cessé d’appeler de tous ses vœux cette refonte qui devient aujourd’hui urgente et ne saurait cependant se concevoir en dehors de l’intérêt des forces laborieuses et du consensus. »
Anticipation sans précipitation et dans le consensus
Le ton est donné. Hassine Dimassi recommande d’agir avec discernement et sans précipitation, en tenant compte de toutes les dimensions. Mohamed Chendoul souligne l’importance de la sensibilisation de l’opinion publique aux enjeux. Lassaad Zarrouk rappelle le lien fondamental avec le choix sociétal et les appels à la réflexion approfondie se multiplient.
Le forum ouvert par l’Association Tunisienne de Droit Social se transforme en précieux think tank exceptionnel. Ni négociations déguisées, ni volonté de tester des positions officielles, et encore moins de les faire passer, mais un réel débat, fécond et profond.
Le Président de l’association, M. Mohamed Ennaceur, en véritable modérateur, et fort de sa longue expérience dans le domaine, sait offrir à chacun, l’occasion de s’exprimer, concilie les points de vue et fait progresser les débats. Voilà une belle illustration du rôle de la société civile dans sa contribution utile aux grandes réformes.