Le Maroc selon l’ambassadeur Salah Baccari
Relation de voyage comme au bon vieux temps ou rapport diplomatique de fin de mission ? Quel qu’en soit le genre, le livre de Salah Baccari intitulé « Ambassadeur au Maroc » est un véritable texte où le style littéraire de haute facture épouse le regard curieux et perspicace du diplomate, soucieux de connaître au mieux le pays de son accréditation, attentif aux moindres détails.
Il est le dix-septième ambassadeur de Tunisie auprès du Royaume marocain depuis l’indépendance et celui qui détient le record de longévité à poste, officiant sans discontinuité pendant 13 ans, de 1997 à 2009.autant que Hedi Mabrouk à Paris. Il profitera de cette longue période pour mieux comprendre la société marocaine, les institutions du Royaume chérifien, le système politique, le fonctionnement des partis politiques et du gouvernement et surtout le mode opératoire du Roi Hassan II, puis de son successeur Mohamed VI. Témoin des mutations profondes que connaît le Maroc et de la transition engagé par le nouveau jeune roi, l’ambassadeur Baccari promène alors un regard averti sur un pays frère, très proche mais dont les Tunisiens ne connaissent que des images certes en relief et colorées, mais guère exhaustives.
Si, d’habitude, les mémoires d’ambassadeurs grouillent de révélations et anecdotes qui l’emportent sur les questions de fond, les lecteurs risquent de rester sur leur faim. Baccari rapporte certes des détails intéressants sur les rapports de Ben Ali avec les rois successifs du Maroc, et relate sa visite officielle, avec toutes les exigences ubuesques du Protocole tunisien que le président de la République, vérification faite, n’avait jamais demandées, mentionne des à-côtés, du séjour de certaines délégations tunisiennes. Mais aussi il brosse les portraits de Habib Boularès et Habib Ben Yahya qui s’étaient succédé à la tête du secrétariat général de l’UMA, revient sur le ressenti marocain, officiel et populaire, au sujet de la destitution de Bourguiba, puis de ses funérailles ainsi que le sort réservé à Wassila. Au passage, il n’omet pas d’évoquer ces « âmes de bonne foi » qui s’agitent dans les couloirs de la Kasbah. Sans trop s’y attarder. Il préfère consacrer sa plume, élégante et précise, à l’histoire de ce pays voisin, la cartographie du Royaume, les portraits des décisionnaires et le souvenir gardé de ses collègues ambassadeurs de pays frères et amis. Trempée dans le "baghrir" et "les birouettes" d'un délice savoureux loin de tout "hrour" épicé à l'harissa, la plume est suave, diplomatique, en hommage à un peuple frère. Un livre qui fait connaître et aimer davantage le Maroc.
Le silence du Département
Le grand dénominateur commun entre les mémoires de Salah Baccari et celles de nombre d’autres ambassadeurs de Tunisie, c’est le traitement réservé par les services du ministère des Affaires étrangères aux diplomates en poste à l’étranger. Qu’il s’agisse de notes diplomatiques, de propositions, d’analyses de fond ou autres, sans espérer mieux pour les demandes budgétaires et d’effectifs additionnels, seul le silence est grand. Ceux mêmes qui au siège du Département se comportent de la sorte vis-à-vis de leurs collègues à l’étranger, partiront eux aussi un jour en poste et subiront la même désaffection, inexplicable.
En attendant la suite
Un autre grand regret qu’exprimeront les lecteurs de cet ouvrage de qualité, la «pudeur » de l’auteur, aujourd’hui âgé de 72 ans, pour évoquer son propre parcours, depuis ses années d’enfance à Sidi Bouzid, ses études à l’Ecole normale supérieure et son agrégation en Lettres arabes et civilisation islamique, sa carrière de journaliste à l’Agence Tunis-Afrique Presse, et son passage au cabinet du secrétaire général de la Ligue des Etats arabes, Chedli Klibi. La partie politique de son cursus est elle aussi passée sous discrétion. Conseiller auprès du président de la République où l’empreinte de sa plume marquera discours et correspondances, Slah Baccari sera nommé ministre de la Culture en janvier 1995, mais n’y restera que vingt mois (août 1996), avant de partir à Rabat. L’évocation de ce parcours fera-t-il l’objet d’un deuxième livre ? C’est ce qu’attendent les lecteurs.
Taoufik Habaieb
Ambassadeur au Maroc
de Salah Baccari
Editions Nadhar, 2019, 318 pages, 25 DT.