Quand Larbi Bouguerra raconte son enfance à Bizerte, sa jeunesse entre Tunis et Paris et son combat pour la planète
Il a certainement beaucoup à dire, mais le Pr Mohamed Larbi Bouguerra ne voulait pas tomber dans le biais de « l’imbécillité biographique ». A 83 ans, quand on a vécu une enfance si animée à Bizerte, au milieu du siècle dernier, fréquenté l’Institut de Hautes Etudes de Tunis, sillonné les Etats-Unis, fin des années 1950, poursuivi ses études à Paris, contraint à enseigner un an à Sfax et a été parmi les tout premiers docteurs d’Etat ès-Sciences physiques tunisiens (1967), les « Souvenirs d’ici et d’ailleurs » sont attractifs. C’est sous ce titre qu’il nous livre, dans un agencement croisé, ses mémoires enrichis d’encadrés consacrés à des figures marquantes (Bourguiba...) ou à des évènements phares (visite au Moyen Orient...). Mais, c’est l’évocation de sa ville natale, de l’ambiance qui y régnait, des acteurs significatifs de la vie locale, de ses parents et grands-parents, des traditions et des petits secrets qui est sans doute la plus attachante. La plume devient virevoltante, le ton haletant, la description précise.
Anti système
Arrivé à l’âge adulte, Mohamed Larbi Bouguerra commencera à promener sur le pays, le pouvoir, le monde, un regard iconoclaste. Les Etats-Unis ne l’impressionnent pas, déclenchant en lui un sentiment critique. Le parti destourien, qui pourtant avait conduit la lutte pour l’indépendance, ne le séduit pas. Il s’inscrira résolument à gauche, entre le parti communiste et le mouvement Perspectives. L’UGET, ne lui paraît pas jouir de toute son indépendance, surtout que la Corporation de Paris, refusant son asservissement par le PSD, sera plus d’une fois dissoute. Reste alors l’AEMNA, cette association des Etudiants musulmans nord-africains (fondée en 1927 ar un Tunisien, le Dr Salem Chadli ) et dont le fameux siège – restaurant situé au 115, boulevard Saint-Michel, sera des décennies durant, le foyer du nationalisme arabe militant.
Bouguerra s’y investira, sans pour autant délaisser ses recherches en laboratoire et la préparation de sa thèse d’Etat. Le laboratoire du Professeur Wiemann, lui réservera cependant une belle surprise, pour la vie. Parmi les collaborateurs du labo figurait une jeune étudiante qui entamait sa thèse de troisième cycle en chimie, Annie Jacquet. « Elle deviendra Mme Bouguerra. ‘’C’est celle sans qui pour moi tout n’est que sable aride’’, comme le dit Aragon dans ‘’le fou d’Elsa’’, écrira Bouguerra. »
Un Tunisien de son époque
En plus de 370 pages, le lecteur voguera au fil d’un récit fluide et suave, d’évocations en combats, d’anecdotes en engagements, d’indignation en dénonciation. Sacré Bouguerra : il ne se lassera jamais de lutter. L’engagement militant lui est chevillé au corps : l’antiracisme, la cause palestinienne, l’usage des pesticides, la pollution atmosphérique, le réchauffement de la planète et autres nobles causes trouvent toujours en lui un défenseur irréductible. Ses mémoires, balancées entre nostalgie d’un temps révolu et militant pour un monde meilleur, trouvent alors un goût particulier. A travers le propre parcours du Pr Mohamed Larbi Bouguerra, c’est l’itinéraire, croisé, multiple, traditionnaliste et moderniste, arabophone et francophone, littéraire et scientifique, d’un Tunisien de son époque.
Souvenirs d’ici et d’ailleurs
de Mohamed Larbi Bouguerra
Editions Nirvana, décembre 2019, 370 pages, 25 DT.