Opinions - 25.08.2010

Retraite : La valeur travail

Au moment où s’engage en Tunisie un grand débat sur la refonte du système de protection sociale, avec notamment des propositions relatives à l’augmentation de l’âge légal du départ à la retraite et l’augmentation des cotisations, la réflexion menée sur ce même sujet en France par Jacques Attali, en juin dernier, dans notre confrère L’Express, ne manque pas d’intérêt. L’ancien conseiller de François Mitterrand en résume les enjeux et essaye de formuler d’autres choix pour contourner "la solution unique". 

 

Dans le débat actuel sur les retraites, il y a trop de caricatures pour que chacun   puisse se faire un avis. Chacun  veut  nous faire croire qu’il existe une et une seule solution,  qui passe  pour l’opposition par l’impôt et pour le gouvernement par  l’augmentation de l’âge légal du départ en retraite.  En fait,  chacune de ces  solutions n’en  sont qu’une parmi d’autres, et chacun pèse particulièrement sur certains Français. Essayons ici de résumer clairement les enjeux.


1. Le financement de la retraite  par répartition est assuré par l’impôt et par les cotisations  des  actifs,   qui  était 4 par retraité en 1960 et qui ne sont plus que 1, 7  et  ne seront plus que 1,5 en 2020.
 
2. L’espérance de vie  moyenne en retraite est passée de 8  ans en  1981,   à 13,7 ans en 1982, et  19  ans  aujourd’hui. Au rythme actuel, et sans changer la législation,  cette espérance dépassera  21  ans en 2020 ;  la durée de vie en retraite  finira par dépasser le reste de la   vie,  passée à étudier et travailler.

3. Dans ces conditions, le  déficit des retraites, qui est de 32 milliards cette année, passera à 45 milliards en 2024 et 102 Mds en 2050.

4. Le   financement de ce  coût supplémentaire  peut être assuré  par une augmentation d’impôt ou de cotisation, qui représenterait chaque année quelques dizaines d’euros par mois pour chaque citoyen.

5. Si on décide de le financer autrement que par l’impôt, pour ne pas l’alourdir, ou pour ne pas mettre à contribution le capital ou parce qu’il faudra l’utiliser pour  réduire une autre partie de la dette, on peut décider d’une  contribution en nature du travail, ce qui revient à retarder l’âge du départ en la retraite.  

6. Là, deux méthodes principales sont possibles :  augmenter l’âge légal ou  la durée de cotisation.

Selon des calculs d’un très  grand démographe français, Hervé Lebras,  un  report d’un an de  l’âge légal   permet une économie   de 7,5 milliards la première année et  1,5 milliard chaque année suivante. Alors qu’une augmentation d’une année du nombre d’années de cotisation   permet une économie   de 5,3 milliards la première année et de 1,1 milliard chaque année suivante.  De plus, augmenter l’âge légal conduit à une augmentation forte de la proportion de personnes  dit en « carrière longue «,  obligés de travailler au-delà de l’âge légal parce qu’ils ont commencé tôt (70% par génération au lieu de 50% aujourd’hui)  et  du nombre moyen d’années travaillées au delà des 40 annuités légales (1,5 années en moyenne sur l’ensemble de la population et  2,1 années pour ceux qui  travaillent au delà de  l’âge  légal). Au contraire, augmenter la durée de cotisation réduit la proportion de carrières longues qui passe à 30%, soit 0,3 année en moyenne pour l’ensemble et 1 année pour ceux qui  doivent rester au travail au delà de  l’âge légal parce qu’ils ont commencé tard.

Donc, si on augmente l’âge légal, ceux qui ont commencé à travailler très jeunes , sans étude,  paient  plus ; si on augmente la durée de cotisation, ce sont  ceux qui ont commencé tardivement, parce qu’ils ont fait  des études,  qui portent la charge. 

Entre le financement par les détenteurs du capital, les ouvriers ou les cadres, le gouvernement semble avoir choisi.  Il en a le droit. Mais il ne peut pas dire que son choix est le seul  possible. D’autant plus qu’il faudra sans doute employer tous ces moyens à la fois, vu l’ampleur du problème, dans des proportions qui révéleront les classes que chaque majorité privilégie. C’est l’honneur de la politique que de le faire clairement.

j@attali.com


in L’Express – 19 juin 2010