Abdelaziz Kacem: Abu al-ʿAlaʾ al-Maʿarri libéré
Ma‘arrat al-Nu‘mân, prestigieuse ville de la province d’Idlib,sur la route Alep-Hama. Après six ans d’occupation par les jihadistes barbares de Jabhat al-Nosra,puissamment soutenus par la Turquie d’Erdogan, l’Arabie,le Qatar et l’armée américaine,la ville est, depuis mercredi, 29 janvier 2020, rendue à la civilisation par la vaillante armée syrienne et ses alliés. Six ans d’horreur. Venus du Caucase, du Golfe, mais aussi d’une Tunisie lugubrement «ikhwanisée», toutes sortes de gueux et de coupe-jarrets s’y sont rués, pour tuer, voler et violer.
Ma‘arrat al-Nu‘mân est la ville natale d’un célèbre poète aveugle, homme des Lumières s’il en fût, le Milton des Arabes, le superbe précurseur de Dante, en matière d’eschatologie: Abu al-ʿAlaʾ al-Maʿarri (973-1057). Chantre de la rationalité, il l’a été au moment où l’Occident arrogant et amnésique gadouillait dans les miasmes du Moyen-âge.
Dès que la meute islamiste s’empara de la ville, le buste du grand lettré a été décapité et son mausolée profané. Et pour cause. Le poète, dans ses incomparables «Luzûmiyat», s’est employé à pourfendre le fanatisme religieux en tant que criminogène superstition.La canaille savait que son œuvre était interdite par le wahhabisme.
Pour les gens de mon espèce, la reconquête de Ma‘arrat al-Nu‘mân est plus qu’une victoire militaire. Elle libère, symboliquement, un esprit exceptionnel, réhabilite une pensée émancipatrice où l’on se réfugiait, chaque fois que les corbeaux obscurcissaient nos cieux. M’adressant à un public plus francophone qu’arabophone, voici, au hasard, des vers on ne peut plus évidents, livrés dans leur langue originale avec une traduction en alexandrins.
Révélant, il y a milleans, ce qu’il y a d’aberrant dans la démarche religieuse, il en tire un irréfutable apophtegme:
هَفَتِ الحنيفةُ والنّصارى مااهْتَدَتْ *** ويهودُ حارتْ والمجوسُ مُضَلَّلَهْ
Le musulman se goure et le chrétien s'égare *** Le Juif se perd, le Mazdéen n'a plus de phare
اثنــانِ أهْــلُ الأرضِ ذو عقْلٍ *** بلا ديـــنٍ وآخــرُ دَيِّــنٌ لا عقْــلَ لَـهْ
Deux sortes de Terriens: un impie qui raisonne *** Et un adorateur crédule et sans neurone
Dans d’autres vers, il dénonce l’hypocrisie imposée au croyant, celle de crier sur tous les toits les sornettes et de murmurer les vérités :
إذا قُلتُ المُحالَ رفعْتُ صوْتي *** وإنْ قلتُ اليقينَ أطلْتُ هَمْسي
L’absurde, à haute voix, je le dis fermement *** J’ose la certitude, en long chuchotement
Hérétique, il rejette la chimérique tradition abrahamique qui pollue le credo mais dans laquelle ont puisé les exégètes du Coran et de la Sunna, ce dont les Sionistes tirent les conclusions les plus favorables à leurs thèses :
كلُّ الذي تحْكونَ عنْ موْلاكُمُ *** كذِبٌ أتاكمْ عنْ يهودَيُحَبَّرُ
Ce que vous débitez à propos du Seigneur *** Vous le tenez d’un livre hébreu bonimenteur
كذبٌ يُقالُ على المنابرِ دائمًا *** أفَلاَ يَميدُ لِمَـا يُقالُ المِنْبَرُ
Sur le minbar la fable à loisir se ressasse *** Pour autant le minbar point ne plie et ne casse
L’œuvre tout entière d’Abu al- ‘Alâ’ al-Ma‘arrî constitue le meilleur antidote contre le poison intégriste. Nous irons en pèlerinage à la ville libérée et lire la fatiha sur la tombe de son Poète patron, notre parangon, notre mentor.
Abdelaziz Kacem