Azza Filali - Passeport diplomatique: la dernière lubie de nos élus!
Ces derniers jours, l’actualité foisonne. Parmi les centres d’intérêt, le seul qui ait le mérite de faire rire, est, sans conteste, la demande forcenée de passeport diplomatique de la part des députés. Demande refusée par le président Kais Saied, ce qui a beaucoup vexé nos élus. Comme on les comprend ! Dépités, blessés dans leur amour-propre, les voici qui, de manière très diplomatique, décident d’obtenir tous seuls le précieux passeport, comme des grands ! Voté par la commission parlementaire des droits et libertés, le projet doit être incessamment proposé en plénière, pour discussion et vote. Là aussi, même voté à l’unanimité, le projet finira par atterrir sur le bureau de Kais Saied, qui n’aura aucune raison d’approuver un projet qu’il avait rejeté. Gageons tout de même qu’à la plénière, les députés de tous bords voteront « oui » au précieux document. Par la grâce du passeport diplomatique, nous aurons, pour une journée, une assemblée « d’union nationale » !
La situation de nos chers élus est délicate. Après tout, que représentent ces passeports diplomatiques, sinon une banale formalité que notre président aurait dû avaliser sans commentaires ? Pourquoi tout ce chambardement alors que le pays traverse une période critique? Avions-nous besoin de tout cela ? En vérité, la question pourrait être formulée autrement : nos députés ont-ils besoin de passeport diplomatique ? Ils vous rétorquent que cela facilite les démarches, que cela confère un statut équivalent à celui de l’homologue qui les reçoit lorsqu’ils se déplacent à l’étranger. C’est en somme une question de « dignité professionnelle » ! Curieux que la dignité d’un individu tienne à la couleur de son passeport !
Mais, supposons un instant que ce précieux passeport échappe à nos élus! Vous imaginez un auguste membre de l’ARP qui fait la queue, avec le peuple, dans les labyrinthes tordus de l’aéroport, pour tamponner son passeport, ou ce même « auguste » qui attend de déposer son bagage, mêlé à la cohue de ses compatriotes, devant les guichets d’enregistrement. Un tel spectacle est vraiment indigne de la stature de nos chers élus. Mais, là où la chose devient strictement inacceptable c’est lorsque l’élu est, par mégarde, interpellé par un douanier désirant voir le contenu de sa mallette, ou de sa valise…Comme si notre député avait quelque chose à se reprocher, comme s’il transportait quelques babioles « confidentielles », voire « interdites », à faire passer en douce ! Un peu de sérieux, voyons, ce genre de choses est inconcevable ! N’est-ce pas ?
A l’inverse, muni de son beau passeport bleu nuit, voici notre cher élu qui passe, tête haute, telle une flèche, par le comptoir réservé aux personnalités (noblesse oblige !) Le voici qui s’installe dans les fauteuils moelleux de la salle VIP, loin des sièges métalliques, réservés au peuple tunisien. Des sièges durs et froids en toute saison. En attendant, notre élu, dans sa salle VIP, s’offre un petit « en cas » pour se caler l’estomac, lui que ses charges professionnelles et sa constante présence à l’assemblée, empêchent souvent de s’alimenter….
Tout cela peut faire sourire, ou rire, mais le sourire est ironique et le rire amer! Quand on se souvient que le député, lors de sa campagne électorale, se frottait au peuple, ramassant ses électeurs à la loupe, n’hésitant pas à aller au-devant des citoyens, sur les places, aux marchés hebdomadaires, partout où les gens s’assemblent. Curieux que le même personnage, une fois élu, essaie de limiter les contacts avec ses compatriotes, surtout dans les aéroports ! Le titre de député provoquerait-il une allergie aux aéroports et à ses voyageurs ?
Autre chose : cette histoire de passeports diplomatiques vient à un moment particulièrement peu diplomatique ! Alors que tous les regards sont tournés vers le nouveau gouvernement,lequel attend le vote de confiance du parlement. Alors que les tunisiens retiennent leur souffle, espérant disposer d’un gouvernement quelle qu’en soit la qualité, afin que les services de l’Etat reprennent. Alors que d’innombrables problèmes attendent les futurs ministres, dès le premier jour de leur investiture. Voilà la période que nos élus choisissent pour penser à leur confort et exiger des passeports diplomatiques, leur évitant de se mêler au peuple et de faire inspecter leurs bagages. Le moment est mal choisi, ils auraient pu patienter quelques semaines, par respect pour la situation critique que traverse le pays. A défaut de militantisme, ils auraient pu faire preuve de diplomatie…
Autre chose : cet acharnement à obtenir le fameux passeport, semble suggérer que les députés sont de grands voyageurs. Sans prétendre disposer de données chiffrées, le simple bon sens veut que ces fonctionnaires de l’Etat, soient soumis à un rythme de travail et de présence, rendant difficiles des déplacements fréquents. Dans ce cas, s’ils veulent être traités en privilégiés, et ne pas se fondre à la populace, ils pourraient demander le passeport rouge qui ne vaut que pour un seul voyage et leur confère les avantages qu’ils appellent de leurs vœux.
Mais, nos députés font une fixation sur le bleu-nuit qui colore si élégamment le passeport des diplomates. Il va de soi que ce passeport tant convoité serviraaussi à leurs déplacements personnels et privés, facilitant leur propre passage, et à leur suite celui de leurs proches.
Cette histoire, minuscule et plutôt sordide, passerait inaperçue si elle ne projetait pas un éclairage cru sur les priorités de nos élus. La hargne qu’ils déploient pour obtenir ce passeport, témoigne, hélas, d’un opportunisme avéré. Plus grave, elle atteste d’une indifférence à l’égard du pays, des problèmes dans lesquels il se débat, de ce gouvernement dont les Tunisiens espèrent tant. Un pays qui a élu ses députés pour le représenter et le défendre, partout où il y a des Tunisiens, même dans les files d’attente des aéroports…
Azza Filali