News - 03.03.2020

Ridha Tlili: à la quête des Carthage du Monde

Qu’importe, je laisse libre cours au temps pour qu’il puisse un jour continuer ce récit, pour le moment je vais traverser Bâb Cartagenna qui s’est éloignée de la mer au fil des années sans espoir de retour, le destin est souvent ainsi fait. Ce jour-là des couleurs de lumières échappent de tout part de la Médina pour rejoindre Cartagena de Murcia quelque part en Espagne, son port laisse entrevoir l’ombre géante d’Asdrubal, l’embarquement furtif des républicains qui annonçait le glas, la défaite du Front Populaire et le triomphe de Franco. Sans savoir comment, le jour même je me suis trouvé encerclé par la sueur des champs de cannes à sucre à Cartagena de Cuba dans la province de Cienfuegos et pour m’en sortir j’ai foncé sur la Havane.

Au café, Lola raconte, dehors un ciel gris noir étouffé par une poussière maligne annonçait l’arrivée de son maître l’ouragan El Nino, qu’importe, «le père de Lola avait bien connu Hemingway, elle assure même que Guevara aimait la taquiner en la surnommant le nombril du monde, il était asthmatique ce garçon» … Après quelques banalités d’usage, Alberto, le roi de la météo, un vieil homme dont il est impossible de deviner la couleur de la peau, sortit flairer l’odeur du monstre, quelques minutes plus tard trois ou quatre, il retourna au café, s’installa lentement au bar, alluma une cigarette, puis avec un air savant, nous informa que l’ouragan vient de changer de direction, la Havane est sauvée.

Au Panama, l’Atlantique et le pacifique se croisent dans un bleu infini suspendu à une verdure magique, une petite Cartagena au bord du lac Gatum se tient à l’écart du monde, c’est une île patrimoine pour ceux à qui, le rêve est encore possible, écrivait Don Manuel Burgos.

Reprenant les Routes de Carthage à la rencontre des identités hybrides, métisses, mulâtres, conversos moriscos, mozarabes, tercerones, créoles…, allons vers ce que Carlos Fuentes appela «La Culture de la vie, après la douleur» pour rejoindre l’utopie Bolivarienne «d’une race, de races et de cultures pour aboutir enfin à une Maison Commune de l’homme».

Mais auparavant, j’ai l’incroyable chance de survoler la rivière Cartagena de Totaliche dans l’Etat de Jalisco au Mexique, territoire ou l’odeur du maïs assoiffé par le soleil triomphant s’évapore dans l’amplitude d’un ciel invisible…, El Rio Negro se faufile lentement vers l’Ontario, c’est Cartago de l’Etat de New York qui se réveille en 1803 sur une terre appartenant à deux tribus indiennes Oneidas et Iroquoises, une terre promise aux indiens et aux castors, «que les colonisateurs s’en aillent en silence et avant l’aube».

Que les Routes de Carthage du Monde se prononcent pour un temps métissé à jamais inscrit dans une série de couleurs millénaires.

Etrange destin de ce toponyme qui à travers de multiple Carthage dans une diversité infinie d’histoires et de légendes, continue à semer des imaginaires mus par le rêve d’appartenir à l’humanité.

Extrait du livre " Les Carthage du Monde " page 67

Ridha Tlili