Opinions - 04.09.2010

Pourquoi nos fonctionnaires voyagent-ils si peu à l'étranger?

«Sur dix invitations adressées à la Tunisie pour envoyer des participants à un séminaire intensif, nous n’avons reçu que 3 personnes seulement. Quel dommage de rater de si précieuses opportunités! » Mon interlocuteur, haut fonctionnaire (et grand ami de la Tunisie) dans un pays asiatique devenu l’une des nouvelles puissances technologiques et économiques, ne cache pas sa déception. Chaque fois qu’il essaye de faire bénéficier l’administration tunisienne d’invitations afin d’envoyer des fonctionnaires prendre part à des stages, voyages d’études et séminaires, totalement prises en charges, il n’arrive que difficilement à obtenir la réponse et, de surcroît, souvent le nombre désigné est inférieur à celui des places offertes.

Evidemment, dans sa tête de gagneur, à l’affût de la moindre bonne occasion, il n’arrive pas à concevoir ses ratages, surtout de la part d’un pays émergent qui aspire à plus de progrès et d’essor. Vérification faite auprès de certains de nos représentants à l’étranger, il s’avère que, malheureusement, la pratique est courante. Nos vaillants diplomates multiplient d’efforts pour identifier les formations appropriées, mais Tunis tarde à répondre et ne remplit pas toujours l’ensemble du quota obtenu.

Trois alibis compréhensibles, mais inadmissibles !

En creusant du côté de l’administration, on recueille, en Off bien entendu, diverses explications. D’abord, celle budgétaire : «  oui c’est vrai que les invitations sont alléchantes en terme de contenu, mais notre budget de frais de missions est très réduit. Il s’épuise vite et nous permet de répondre qu’au plus urgent. Même si les frais de voyage et de séjour sont couverts par l’invitation, nous ne pourrons pas consentir le tiers réglementaire des frais de mission. Désolé. C’est à contrecœur! »

Il y a aussi l’explication personnelle : « personne ne veut y aller ! Avec les maigres frais de mission alloués, aucun de nos cadres n’accepte de devoir ajouter de sa propre poche pour compléter ce qui lui est accordé et pouvoir accomplir décemment son séjour à l’étranger. »

Il y a enfin, rarement avouée, l’explication technique : « l’équipe est réduite au maximum. Je ne peux sacrifier personne pour l’envoyer à l’étranger, même pour une courte période, et me priver de ses services. Qui se tapera son boulot et qui m’assistera dans le mien ? »

Trois réponses, compréhensibles, mais toutes inadmissibles. Elles reposent essentiellement sur la modestie du budget mais aussi du montant des frais de missions servis aux agents de l’Etat envoyé à l’étranger (un autre problème à débattre). Mais, elles font surtout fi de l’importance de la formation, du perfectionnement et du réseautage que procurent utilement ces voyages.

Comment voulez-vous que nos fonctionnaires et notamment les hauts cadres puissent se perfectionner, s’internationaliser et accéder aux plus récentes innovations s’ils n’ont pas l’occasion de voyager, de se confronter à leurs pairs de par le monde et nouer relations avec eux ? Peut-on les blâmer, si faute de fréquenter le monde, ils en ignorent presque tout ? Pourquoi se plaindre aussi, s’ils ne connaissent pas la réalité des choses, le coût de la vie et les nouvelles pratiques à l’étranger ?

Regarder comment les entreprises privées ont non seulement démystifié les missions et formation à l’étranger mais, encore mieux, tiré meilleur bénéfice. Quitte à payer parfois même 5000 $ et plus rien qu’en frais d’inscription à un séminaire de 3 jours, ce benchmarking et ce ressourcement sont fort retables pour l’entreprise et le bénéficiaire direct.

Ni une gratification, ni un sacrifice

Partir en mission n’est guère une gratification pour récompenser les uns et les autres. C’est une obligation pour l’administration, un devoir pour le fonctionnaire et, pour les deux, une précieuse source d’enrichissement en idées novatrices et connaissances utiles. Il y a certes l’handicap financier, mais nous devons lui trouver solution. Quitte à puiser dans le soutien des organismes partenaires et les centres d’appui, il ne faut jamais lésiner à chercher le financement nécessaire.

Il faudrait également s’appliquer à n’envoyer que les meilleurs et s’assurer qu’à leur retour, non-seulement ils consignent les enseignements acquis, mais aussi qu’ils les partagent, par écrit et directement, avec leurs collègues. A cet égard, l’exemple du japon est édifiant. Premier pays bénéficiaire de l’aide publique internationale au lendemain de la deuxième guerre mondiale, il avait mis à profit chaque bourse d’études et de stage à l’étranger pour ne l’accorder qu’au plus méritant. Quarante ans seulement après, avec toute l’expertise ainsi acquise, le Japon est devenu à son tour le premier pays donateur. C’est dire la plus value technologique capitalisée à travers cette formation à l’international.

Organisons-nous pour que nos fonctionnaires puissent être plus nombreux à voyager (et plus fréquemment) à l’étranger, puiser aux sources du savoir et réinvestir dans leur propre travail ce qu’ils apprennent à cette occasion, et vous serez édifiés sur les améliorations substantielles qui en résulteront.
 

Taoufik Habaieb