Où est passé Habib Belaid ?
Cela faisait déjà quelques mois que l’on ne l’entendait plus sur RTCI en direct. Ses passages récents, mais il y en aura sûrement d’autres, ne sont que des rediffusions. Sans tambours ni trompettes, Habib Belaïd a donc pris sa retraite (administrative) de RTCI, sa radio, sur la pointe des pieds, le 1er juillet dernier.
La fonction publique n’a pas d’états d’âmes a dit un jour l’un de mes anciens patrons à l’ERTT, feu Si Moncef Ben Mahmoud, et il savait de quoi il parlait. Mais c’est un comble pour un média réputé chaud comme la radio, d’être à ce point froid. Cela confine à l’ingratitude. La discrétion est certes l’une des qualités dominantes de Habib, mais là il ne s’agit pas de sa propre discrétion que l’on connait si pudique, mais de celle des autres.
En choisissant la voie de l’art engagé, notre ami savait ce qu’il faisait. Et l’on ne se refait pas, n’est-ce pas ? A sa manière et avec sincérité, Habib militait. Pour les nobles causes, la poésie authentique, la chanson porteuse de valeurs et de messages, mais surtout contre la médiocrité, le mauvais goût, la servilité, la compromission... A l’aise dans la langue de Voltaire et s’évertuant à imposer, toutes les fois où il en avait l’occasion, une langue arabe correcte, sans artifices ni fioritures, Habib a su imposer son cachet propre. Sa voix, douce et régulière, semble être le reflet fidèle de sa personnalité. Quant à la musique engagée qu’il se permettait de diffuser subrepticement, elle constituait en son temps une conquête ardue de nouveaux espaces de liberté.
Habib Belaïd se définit comme l’homme de personne, d’aucun parti politique en tout cas. Est-ce que cette indépendance proclamée expliquerait un tant soit peu le silence qui a entouré son départ ? La question se pose car que de fois n’a-t-on vu les faits et gestes d’hommes appartenant à la même sphère que lui, celle de la culture, entourés par un tapage disproportionné eu égard à leur apport réel. Mais, positivons…
Le positif nous est heureusement venu de la Marsa dont le festival « Layali Safsaf » a, quelque peu, sauvé l’honneur. Bénéficiant de la complicité de l’ami et ancien collègue de Habib, l’animateur de RTCI, Adel, les organisateurs de « Layali Safsaf » ont consacré à notre illustre « retraité » une bonne partie de la soirée du 1er septembre. Du temps a été réservé à écouter Habib ainsi que certains témoignages-clés de ses amis. De toute évidence, cela n’était une formalité qu’ils voulaient expédier.
Si la plupart des orateurs ont évoqué Habib Belaïd l’animateur de radio, un représentant de la société civile et ami des personnes à besoins spécifiques a consacré son témoignage à Habib, le militant associatif engagé dans la lutte contre la myopathie et pour la sensibilisation au VIH/SIDA. Quant au réalisateur Moncef Lemkacher, il a pris sur lui de témoigner de l’expérience télé de l’intéressé, moins connue du public.
Mais le clou de cette si sympathique soirée aura été, comme de bien entendu, le bref discours dont il a lui-même gratifié l’audience, un public tout ouïe, totalement acquis et conquis.
Alors que l’on pouvait s’attendre à des propos polémiques ou velléitaires, le message de Habib était tout de reconnaissance et d’espoir. Reconnaissant à RTCI où il a beaucoup appris et où il s’est tout de même épanoui. Reconnaissant aussi à ceux qui lui ont fait confiance : les responsables qui lui ont accordé une marge de liberté non négligeable ainsi que les auditeurs qui lui sont toujours restés fidèles et qui ont régulièrement contribué à enrichir ses émissions. Reconnaissant à certains amis leur apport inestimable (Hechmi Ben Fraj, militant des droits de l’homme qui lui a offert la majeure partie de l’œuvre de Cheikh Imam, Fraj Chouchane qui lui a ouvert sa généreuse bibliothèque, l’incontournable animateur culturel Raja Farhat pour sa complicité, etc.), ainsi qu’aux intellectuels, hommes de science et de culture, qui se sont prêtés au jeu de l’interview sans complaisance, l’aidant ainsi à réaliser quelques percées pour une « culture alternative ».
Des regrets ? Oui, quelques uns : ne pas avoir pu faire bouger les mentalités autant qu’il l’aurait souhaité, ne pas avoir vu sinon disparaître, du moins s’estomper un tant soit peu, la censure, l’autocensure, l’exclusion et les tabous et, enfin, ne pas avoir vu « une radio de service public », au service de tous les citoyens, remplacer la « radio d’Etat ».
Habib forme, avec optimisme, le vœu de voir ceux qui seront appelés à reprendre le flambeau faire plus et mieux ; qu’ils accomplissent ce que lui-même n’a pas eu le temps ou l’opportunité de réaliser.
Enfin, sa pensée la plus émue, il l’a dédiée aux gens ordinaires, aux auditeurs anonymes dont l’amitié ne lui a jamais fait défaut et dont le soutien l’a certainement aidé à « survivre » à une carrière de trente-sept ans dans le monde des médias, un monde moins facile qu’il n’y paraît.
Anouar Moalla