Kamel Bennaceur - La descente aux abysses des prix pétroliers : Causes, Conséquences et Opportunités
Le Lundi 20 Avril 2020, le monde est abasourdi par la nouvelle que le pétrole Américain s’échangeait à des prix négatifs, c’est-à-dire que l’acheteur, en plus d’acquérir le précieux combustible, se faisait réénumérer. Le rêve de tout consommateur! Au mois de Mars, et suite à l’échec de la réunion du groupe OPEP+ (pays exportateurs du pétrole de l’OPEP, avec d’autres pays non-membres tels que la Russie, combiné avec le choc de demande pétrolière créé par le COVID-19, j’avais indiqué que cela risquait de se produire. Comment serait-ce-possible?
Le prix du pétrole sur les marchés est fixé selon des indices. Le brut Américain utilisé comme liquide de référence le West Texas Intermediate (WTI) qui est échangé sur le marché financier de New York. Au niveau mondial, on utilise plutôt comme indice le Brent (pétrole de la Mer du Nord), et les autres bruts sont référence avec un surcoût ou une marge négative selon leur qualité. Les ventes et les achats de produits pétroliers de la Tunisie utilisent comme référence le Brent.
Le 20 Avril, sur le marché Américain, les transactions sur les volumes de pétrole WTI pour le mois de Mai 2020, avec des financiers (traders) qui avaient acheté des quantités de brut-papier, et qu’ils comptaient écouler chez les acheteurs, se sont retrouvés avec des quantités importantes qui ne trouvaient pas preneur. Ces traders n’avaient pas la possibilité de le stocker, car toutes les capacités disponibles pour l’emmagasiner étaient déjà pleines ! D’autre part les producteurs Américains ne peuvent pas réduire leur production (ou même fermer leur puits), car leur redémarrage entraine des coûts importants ! Certains de ces traders ont donc dû se résoudre à verser de l’argent pour pouvoir trouver preneur (jusqu’à 40$ par baril, d’où les prix négatifs). C’est la première fois dans l’histoire depuis la création de l’indice WTI au milieu des années 1980! Il faut noter que cela n’avait pas eu d’impact direct sur l’autre indice (le Brent) qui a continué à s’échanger aux environs de 22-25 $ par baril et que les contrats sur le WTI pour le mois de Juin 2020 se négocient entre 15 et 20$.
Sur le plan mondial, nous consommons 100 millions de baril par jour, avec 56% utilisés dans les secteurs des transports routiers, aériens et maritime. Du fait de la situation créée par le COVID-19, le confinement, et l’arrêt des voyages internationaux, la demande de pétrole a chuté de façon drastique : -30% anticipé au mois d’Avril par l’Agence Internationale de l’Energie (c’est-a-dire moins 30 millions de barils par jour en moins !) Il n’y a jamais eu une chute aussi importante en un mois dans l’histoire récente ! L’échec de la réunion de l’OPEP+ début Mars, au lieu d’entrainer une chute de la production (même si on ne parlait que de 2 millions de barils !), a au contraire résulté en un bras de fer et l’augmentation de la production par certains pays. Avec 30 millions de barils en suroffre et qu’il fallait stocker, toutes les capacités existantes (citernes, tankers, gisements souterrains) ont été réquisitionnés, même se sont vite remplis et il était à craindre des prix négatifs au niveau mondial ! Le 12 Avril. La réunion de l’OPEP+ en marge de celle du G20, a enfin abouti à un accord pour réduire la production d’au moins 9.7 millions de barils par jour. Il est donc anticipé que les prix du Brent reviennent au niveau autour de 30 $, dépendant bien sûr de la reprise économique et de celle du mouvement des personnes.
La Tunisie est dans une situation duale : En tant que producteur de 35.000 barils par jour (début 2020), elle est impactée par la baisse des cours. Mais nous consommons aussi près de 92,000 barils par jour, donc la baisse des cours est globalement positive pour la balance commerciale du pays et donc le soutien du Dinar. D’autre part, le budget de l’Etat Tunisien pour l’année 2020 a été établi sur une base prudente et conservatrice de 65 $ par baril, et donc la baisse entraine un aspect positif sur plusieurs plans (hors balance commerciale):
• Diminution des paiements pour le gaz naturel (avec des prix aussi référencés sur le Brent)
• Reduction des subventions énergétiques
• Reduction de la demande du pays en hydrocarbures
La manne ainsi créée devrait en priorité être utilisée pour l’amélioration des structures sanitaires, le soutien aux familles durement touchées par la crise du COVID-19, ainsi que les secteurs économiques fortement impactés. Le rétablissement du Ministère de l’Energie, des Mines, et des Energies Renouvelables par le CDG Elyes Fakhfakh, après la décision fortement controversée du Gouvernement précédent de le décapiter en Aout 2018, offrira aussi l’opportunité de vraies recommandations sur une politique énergétique durable et résiliente, utilisant le savoir-faire Tunisien. Cela inclut, entre autres, une vraie politique d’achat anticipés, de capacités de raffinage et de stockage, et bien sûr de support à la transition énergétique par une décarbonisation du mix énergétique.
Kamel Bennaceur