News - 03.05.2020

Exclusif - Marouane El Abassi : Sauver nos entreprises de la faillite et préserver les emplois

Exclusif - Marouane El Abassi : Sauver nos entreprises de la faillite et de préserver les emplois

Contacts directs, appels téléphoniques et visioconférences, le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, Marouane El Abassi, est constamment sur la brèche. Depuis son bureau au 8e étage du siège de la BCT conçu en vaisseau d’amirauté, il dirige les opérations tôt le matin. Le contexte provoqué par le Covid-19 et ses impacts est exceptionnel pour cet universitaire, longtemps expert international puis haut fonctionnaire à la Banque mondiale, investi par l’ARP, il y a deux ans, le 18 février 2018, gouverneur de la BCT, pour un mandat de six ans. Avançant avec la prudence requise, et l’indépendance de l’institution qu’il dirige, sur un fil de rasoir, il n’hésite pas à faire part au gouvernement des indicateurs qu’on lui fait remonter et les analyses effectuées, tout en formulant les recommandations qu’il juge utiles.

A la barre, Marouane El Abassi se doit aussi de prendre les décisions qui s’imposent tout en élargissant les concertations avec les différents acteurs concernés. Sur le plan international, il lui appartient de conduire avec les ministres des Finances et du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale les discussions avec les institutions financières multilatérales et les autres bailleurs de fonds.

La parole du gouverneur de la Banque centrale, depuis son fondateur, il y a 62 ans, Hédi Nouira, est toujours écoutée. Face à ce choc brutal qui secoue l’économie tunisienne, les regards se tournent vers Marouane El Abassi, 12e titulaire de la charge, qui a l’oreille de tous. Son évaluation de la situation en toute sérénité et son exploration des perspectives, avec la perspicacité qui lui est reconnue, sont très utiles à connaître. Dans l’entretien qu’il a accordé à Leaders, il apporte des éclairages instructifs.

Ne versant ni dans l’optimisme excessif ni dans l’alarmisme, il estime que des différents scénarii de sortie de crise envisageables celui en « U » est le plus probable. « Il reflète un retour lent de la confiance des ménages et des entreprises », dit-il. « Ces chocs, à la fois d’offre et de demande, devraient plonger l’économie nationale dans la récession en 2020, et qui sera sans doute plus prononcée que celle de l’année 2011 », ne manque-t-il pas cependant de prévenir. « Le défi majeur sera, selon lui, de sauver nos entreprises de la faillite et de préserver les emplois. En d’autres termes, empêcher que cette crise économique ne se transforme en une crise sociale et financière. » Rassurant, il affirme que les politiques monétaire, macro-prudentielle et budgétaire vont permettre de soutenir le tissu économique, l’emploi et le citoyen, pour empêcher que la crise ne se transforme d’une crise de court terme en une crise qui affaiblit durablement le potentiel de la croissance. »

« Le déficit budgétaire au titre de l’année 2020 devrait s’aggraver, pointe du doigt le gouverneur de la BCT, et les besoins de financement, particulièrement extérieur au titre de l’appui budgétaire, vont dépasser, et de loin, les estimations de la loi de finances 2020. » Ce qui est réconfortant, selon lui, c’est  que « l’appui de la communauté internationale pour aider la Tunisie à circonscrire les effets de la crise du Covid-19 est, pour le moins que l’on puisse dire, très fort. »

Quant au marché des changes, il « va préserver un certain équilibre en termes d’offre et de demande de devises, ce qui écarte le risque de pressions particulièrement fortes sur la valeur du dinar au cours des prochains mois. » Pour ce qui est de la convertibilité du dinar, le gouverneur El Abassi réitère sans détour que la Banque centrale de Tunisie n’a jamais redouté de libéraliser ! Mieux, elle demeure convaincue que l’accès à l’international sous toutes les formes possibles relèverait plus de la survie pour l’économie nationale. La question n’est pas d’adopter ou non la convertibilité. Elle porte plutôt sur le fait de se concerter pour réviser le planning et la priorisation des futures mesures à adopter, surtout celles qui ne relèvent pas des attributions de la BCT. »

Interrogé par Leaders sur l’implication des banques dans le soutien aux entreprises, il en parle en toute franchise : «Qu’il y ait quelques hésitations, je le conçois. C’est une situation inédite et nous sommes  confrontés à l’inconnu et, par là même, en train d’apprendre. Qu’il y ait des critiques, je le comprends parfaitement et je respecte leurs auteurs. » Et amer, il déclare : « Mais le ‘’bankbashing’’ auquel nous assistons, c’est vraiment malheureux ! »

L’épargne nationale n’augmentera, selon les dernières projections du FMI, en 2020 que de 3,1% contre 10,1 % en 2019. Son message aux banques est clair : multiplier les initiatives afin d’améliorer leurs offres de produits d’épargne et ce, dans le but d’encourager les épargnants et favoriser l’inclusion financière des ménages, dont notamment ceux se fournissant auprès des circuits informels.

Au sujet des liquidités, le gouverneur relève,  « d’un côté, des sorties massives de billets équivalant à 1 839 millions de dinars pendant les mois de mars et avril 2020 et qui sont proches des sorties enregistrées pendant la période de l’Aid El Idhaa. De l’autre, les entrées des billets connaissent un niveau très faible de 694 millions de dinars pendant les mêmes mois, soit une diminution de 53 % par rapport à la même période de l’année dernière. Il est donc opportun de profiter de cette crise pour accélérer le processus de decashing déjà entamé, et ce, à travers l’encouragement des moyens de paiement digitaux et à distance. »

Avec le FMI, et après le décaissement de 745 millions de dollars à la Tunisie dans le cadre de l’Instrument de financement rapide (NDLR : IFR), la prochaine étape, nous confie le gouverneur de la BCT, consistera en la préparation des nouvelles négociations avec le Fonds d’un nouveau ‘’Extended Fund Facility’’ soutenant un programme de réformes reflétant les priorités économiques du gouvernement.

Avant de conclure, il révèle que « selon les dernières prévisions, et à condition que la normalisation s'enclenche dès le second semestre de l'année, la Tunisie devrait connaître une baisse du PIB en termes réels avoisinant les 4%. » Mais il préfère clore ses propos sur une note optimiste : « La capacité de résilience de la Tunisie, des Tunisiennes et des Tunisiens est toujours surprenante et exceptionnelle ! »

Interview.

Leaders : Comment s’annonce la sortie progressive du déconfinement pour le système financier, l’entreprise et les ménages ?

Marouane El Abassi : La crise que nous traversons actuellement est inédite ! Jamais l’économie tunisienne n’a été volontairement à l’arrêt aussi longtemps. Les conséquences seront à la fois exceptionnelles et imprévisibles tant que la durée et l’ampleur de la pandémie sont encore inconnues. On ne dispose pas encore d’une évaluation exacte de l’impact de la période passée de confinement sur l’activité économique et la confiance des opérateurs.

Actuellement, on ne connaît ni la durée ni la forme du déconfinement. Cependant, plusieurs scénarii de sortie de crise ont été évoqués par les économistes.

Le scénario le plus optimiste repose sur un rebond immédiat de la consommation et de l’investissement.

Des scénarii pessimistes tablent sur une crise longue et profonde ou avec un rebond de courte durée et une rechute liée à une panne de la demande.

Mais, à mon sens, le scénario de sortie de crise en « U » est le plus probable. Il reflète un retour lent de la confiance des ménages et des entreprises. De son côté, la BCT veillera à prendre toutes les mesures nécessaires afin de faciliter la reprise la plus rapide de l’activité économique.

De quoi dépendra cette reprise ?

La reprise de l’activité des entreprises dépendra de plusieurs facteurs. Je citerai, à ce titre, les caractéristiques du secteur d’activité, la gravité de l’impact direct de la crise ainsi que le climat d’investissement et l’aversion au risque qui sont déterminants pour les décisions d’investissement des entreprises ou de la préférence de reconstitution de leur trésorerie. Par exemple, la reprise sera plus lente dans les secteurs les plus affectés et qui sont liés à la demande extérieure. Certains secteurs aussi dépendent étroitement de la reprise de la consommation locale.

Cette consommation restera affectée par la morosité de la conjoncture qui pèsera sur les revenus et le moral des ménages. Néanmoins, elle s’améliorera lentement, mais sûrement, avec une reprise de la consommation, empêchée durant la période de confinement, et un retour de l’activité informelle, qui constitue le revenu d’une partie non négligeable des Tunisiens. Une amélioration notable de la situation avant la fin de la saison estivale serait également très bénéfique pour la demande dans certaines activités comme l’hébergement, l’hôtellerie et la restauration.

Par ailleurs, l’impact sur le secteur financier va refléter le bilan de la période de confinement, particulièrement la situation financière difficile des entreprises et des ménages mais aussi leurs décisions en termes d’investissement et de consommation.

La récession est menaçante. Quelle est l’ampleur des dégâts ? Faut-il craindre le pire ?

L’impact engendré par l’arrêt brutal de l’activité productive, le confinement de la population, la rupture des chaînes d’approvisionnement, et j’en passe, commence à être perceptible sur un bon nombre d’indicateurs économiques et monétaires.

Ces chocs, à la fois d’offre et de demande, devraient plonger l’économie nationale dans la récession en 2020, et qui sera sans doute plus prononcée que celle de l’année 2011.

Il ne faut pas omettre que cette crise est totalement inédite dans sa nature avec un choc sur l’économie mondiale combiné de l’offre et de la demande et une récession qui a touché tous les pays, mais avec des différences majeures en termes d’ampleur et de canaux de transmission, selon la structure des économies.

La Tunisie, en tant que pays ouvert sur l’extérieur, a connu un impact lourd et direct sur les secteurs fortement exposés, particulièrement le tourisme, les industries manufacturières exportatrices ainsi que les activités orientées à la consommation intérieure.

Le pire à craindre, quoique peu probable, est une propagation généralisée de l’épidémie qui pourrait avoir un caractère saisonnier. Que Dieu nous en préserve ! Car une telle situation se traduirait par une baisse accentuée de la consommation et de l’investissement combinée à une propagation de la crise du secteur réel vers le secteur financier.

Par ailleurs, l’économie va subir, avec la chute des recettes touristiques, l’impact de la crise dans la zone Euro sur les transferts des Tunisiens résidant à l’étranger et les IDE.

Mais, je n’irai pas jusqu’à utiliser l’expression « scénario catastrophe » ! Je voudrais rester optimiste et éviter de focaliser sur le pire, sans le perdre de vue bien évidemment. Regardons plutôt les challenges auxquels nous serons confrontés une fois la crise sanitaire derrière nous. Le défi majeur sera de sauver nos entreprises de la faillite et de préserver les emplois. En d’autres termes, empêcher que cette crise économique ne se transforme en une crise sociale et financière.

Soyez sûrs que les politiques monétaire, macro-prudentielle et budgétaire vont permettre de soutenir le tissu économique, l’emploi et le citoyen, pour empêcher que la crise ne se transforme d’une crise de court terme à une crise qui affaiblit durablement le potentiel de la croissance.

Dans le même sillage, il serait judicieux de tirer les enseignements de cette crise, qui présente des opportunités à saisir, à l’instar des nouvelles compétences révélées en matière médicale, robotique et les nouvelles technologies de l’information et de télécommunication, dont la Tunisie dispose déjà d’un avantage comparatif. 

Quel est l’impact de la crise sanitaire sur les finances publiques ?

Cette crise va provoquer un important manque à gagner au niveau des recettes de l’Etat. Les recettes fiscales seront affectées particulièrement par la situation de la trésorerie des entreprises, la faiblesse de la consommation et des importations ainsi que la situation financière des entreprises publiques et des revenus du secteur pétrolier, vu la chute vertigineuse des prix du pétrole. Il y a lieu de rappeler que la situation financière des entreprises publiques était assez difficile même avant la crise.

En contrepartie, les dépenses orientées vers la santé publique et le soutien de l’économie vont considérablement augmenter tout en ayant à respecter nos engagements, surtout ceux du remboursement de la dette. Ainsi, le déficit budgétaire au titre de l’année 2020 devrait s’aggraver et les besoins de financement, particulièrement extérieur au titre de l’appui budgétaire, vont dépasser, et de loin, les estimations de la loi de finances 2020.

Cette situation requiert une prudence extrême pour tenir compte des espaces budgétaires déjà limités et de l’endettement public, notamment dans un contexte de pressions sur les marchés financiers internationaux et une ruée vers les obligations des Etats les plus sûrs se traduisant par une progression des écarts de taux pour les pays jugés à risque, ce qui présentera un défi majeur au niveau du financement.

Avec un budget déficitaire et des besoins de près de 12 milliards de dinars dont plus de 8 milliards en devises, comment procédez-vous pour mobiliser ces ressources manquantes ?

La question du financement du budget de l’Etat relève au fait du ministère des Finances. Mais, aujourd’hui, il est clair que l’appui de la communauté internationale pour aider la Tunisie à circonscrire les effets de la crise du Covid-19 est, pour le moins que l’on puisse dire, très fort.

La Tunisie a déjà bénéficié d’un appui financier rapide et conséquent de la part du FMI. Nous sommes le premier pays de la zone MENA ayant bénéficié de cet appui de la part du Fonds.

Tout récemment, l’UE a également décidé de faire bénéficier la Tunisie d’un crédit de soutien portant sur un montant significatif et assorti de conditions très avantageuses comme vous le savez certainement.

Notre pays s’est également engagé dans des pourparlers avec la Banque mondiale, la BAD, le FMI et d’autres institutions financières internationales pour mobiliser des financements concessionnels tant sous forme d’appuis budgétaires que de lignes de financement d’urgence. Ces financements profiteront aux entreprises afin de les aider à faire face aux retombées de la crise du Covid-19.

A ce titre, quid de l’apport du marché local ?

Effectivement, le marché local va également apporter sa contribution en termes de financement en devises au profit du Trésor. A cet effet, grâce à une mobilisation exceptionnelle de la part des banques de la place, un crédit syndiqué en devises dédié, baptisé « Crédit syndiqué Covid-19 », sera incessamment bouclé.

Marché des changes : un certain équilibre

Le dinar tiendra-t-il le coup ?

A l’instar des autres pays, l’économie tunisienne serait fortement impactée par la crise du Covid-19.
En revanche, nous nous attendons à une évolution moins contraignante au niveau de la balance courante avec un déficit qui va marquer une baisse significative en 2020 à 7.5% du PIB contre 8.8% en 2019. En effet, la contraction prévue des importations se traduira par une baisse des importations, avec en particulier la diminution de la facture énergétique due à la chute des prix internationaux du pétrole. Elle permettra de compenser une bonne partie de la baisse projetée des recettes en devises provenant des exportations de biens, du tourisme et des transferts des travailleurs à l’étranger.

La baisse du déficit courant va être accompagnée par un afflux de capitaux importants sous forme de financements extérieurs au profit du secteur public et privé dans le sillage de la mobilisation très engagée de toutes les institutions financières internationales, comme je l’ai évoqué, pour appuyer la Tunisie et relancer l’activité économique.

Au vu de ces projections de la balance des paiements, nous estimons que le marché des changes va préserver un certain équilibre en termes d’offre et de demande de devises, ce qui écarte le risque de pressions particulièrement fortes sur la valeur du dinar au cours des prochains mois.

Le niveau du stock des réserves en devises de la BCT offre également aujourd’hui un certain confort pour amortir le choc de la crise du Covid-19.

La convertibilité totale aurait-elle été abandonnée ?

Qu’on se le dise sans détour, la Banque centrale de Tunisie n’a jamais redouté de libéraliser ! Mieux, elle demeure convaincue que l’accès à l’international sous toutes les formes possibles relèverait plus de la survie pour l’économie nationale. D’ailleurs, depuis 2018, un certain nombre de mesures d’assouplissement ont été introduites et cette démarche s’est poursuivie en 2019 et continuera en 2020.

La Banque centrale de Tunisie demeure à l’écoute des attentes, légitimes et rationnelles, des opérateurs. Elle demeure fortement engagée dans ce chantier de levée progressive des restrictions de change et ce, en parfaite concertation avec les différentes parties prenantes et en interaction avec son environnement national et international et des pratiques ancrées avec la mise en place d’une nouvelle politique de communication, caractérisée par la transparence et l’ouverture.

Cependant, la crise du coronavirus engendrera des changements profonds au niveau de chaque pays et au niveau international. Elle vient nous rappeler que les risques de la convertibilité totale demeurent élevés pour les pays émergents. En effet, une telle décision requiert au préalable des conditions macroéconomiques favorables afin de profiter de ses bénéfices et de minimiser ses risques face à la volatilité des flux de capitaux.  

Ainsi, la question n’est pas d’adopter ou non la convertibilité. Elle porte plutôt sur le fait de se concerter pour réviser le planning et la priorisation des futures mesures à adopter, surtout celles qui ne relèvent pas des attributions de la BCT. L’objectif étant de coordonner entre le timing parfait et les capacités de notre économie à interagir tout en tenant compte aussi des nouveaux défis posés aujourd’hui en matière de politique budgétaire et sociale.

Soutien et accompagnement bancaires sont cruciaux

Comment résoudre le problème des fonds propres ?

La majorité des banques disposent d’une marge confortable en fonds propres leur permettant de faire face aux retombées de cette crise sanitaire, et ce, grâce aux différentes réformes prudentielles entreprises depuis 2012.

Certes, il est prématuré de calibrer l’impact de cette crise sur les fonds propres des banques, mais la BCT suit de très près l’évolution de la situation, ainsi que ses impacts potentiels et prendra toutes les mesures nécessaires en temps opportun.

D’ailleurs, la décision de la BCT de surseoir, et non d’annuler comme ça a été colporté, toute mesure de distribution de dividendes au titre de l’exercice 2019 et de s’abstenir d’effectuer toute opération de rachat des propres actions s’inscrit dans l’objectif du renforcement de la solidité financière du secteur bancaire en vue de maintenir sa capacité à soutenir l’économie et à absorber les éventuelles pertes.

Les banques, les compagnies de leasing, d’assurances et les établissements de micro-crédits jouent-ils pleinement leur rôle ?

Le ressenti chez les Tunisiens est que ces institutions se contentent d’attendre les instructions de la BCT et des pouvoirs publics, sollicitant sans cesse la garantie de l’Etat et ne faisant aucun effort particulier.

Qu’il y ait quelques hésitations, je le conçois. C’est une situation inédite et nous sommes   confrontés à l’inconnu et, par là même, en train d’apprendre. Qu’il y ait des critiques, je le comprends parfaitement et je respecte leurs auteurs. Mais, le « bankbashing » auquel nous assistons, c’est vraiment malheureux ! D’autant plus que le secteur bancaire a perdu un de ses cadres, en l’occurrence feu Faouzi Cherif de l’Union internationale des banques.

Pour l’instant, les institutions financières continuent à jouer pleinement leur rôle même dans le contexte de confinement sanitaire. Cela a été rendu possible grâce au déploiement des Plans de continuité de l’activité (PCA) et au recours au télétravail.

Les banques et les établissements financiers qui sont sous le périmètre de contrôle de la BCT assurent depuis le début de la crise du Covid-19 la continuité des services essentiels, l’application des mesures exceptionnelles au profit des clients, particuliers et entreprises, afin de maintenir l'activité économique du pays et de répondre aux besoins essentiels des citoyens.

Faillites et licenciements risquent de s’aggraver. Quel dispositif de sauvetage est-il prévu ?

Rappelons que la Banque centrale de Tunisie ne cesse d’interagir avec les différents départements ministériels concernés, particulièrement en vue de préserver l’entreprise et l’emploi.

Aussi, la Banque centrale de Tunisie tient-elle des réunions avec les représentants des organisations nationales et sectorielles pour demeurer à leur écoute et assurer un suivi des problématiques auxquelles fait face le tissu productif, ainsi que des réunions hebdomadaires avec les premiers responsables des banques pour s’assurer d’une application concertée et rapide des mesures.

Ainsi, la BCT œuvre à travers les mesures prises à alléger les charges financières sur les entreprises par la baisse du taux directeur, fournir la liquidité nécessaire au financement, notamment pour les PME, reporter les échéances de paiement des crédits et tenir compte de l’objectif de permettre aux banques de mieux soutenir l'économie.

La Banque centrale de Tunisie continuera de suivre de près la situation et fera preuve d’une plus grande flexibilité qu’exigera cette situation particulière.

Par ailleurs, le plan de relance proposé par le gouvernement permettra aux entreprises, notamment les PME, d’accéder au financement. Les mesures qu’il englobe sont très importantes et couvrent une grande partie des besoins des entreprises.
Les dispositions en matière d’exonérations et reports d’impôt ainsi que les aides au titre du chômage partiel visent également à soutenir la situation financière de l’entreprise en difficulté et par conséquent préserver les emplois. Cela permettra d’éviter au maximum la déclaration en faillite des entreprises et d’empêcher la disparition d’entités fiables car tout simplement elles auraient manqué de liquidité !

L’évolution rapide de cette crise et les incertitudes qu’elle soulève nous amènent à continuer à suivre de très près la situation et l’impact des mesures prises.

L’épargne, une opportunité ; le decashing, un impératif

Où en est l’épargne des ménages ?

Selon les dernières projections du FMI en 2020, l’épargne nationale n’augmentera que de 3,1% contre 10,1 % en 2019.

Il est signalé que l’épargne des ménages a connu une décélération notable ces dernières années en relation avec la faiblesse de la croissance économique, les pressions inflationnistes importantes et les augmentations successives des conditions monétaires… Autant de facteurs qui ont affecté le pouvoir d’achat des ménages et par ricochet leur épargne. La crise actuelle accentuera cette tendance.

De même, l’épargne des ménages sera sûrement affectée par la baisse attendue des revenus des travailleurs à l’étranger qui subiront la récession prévue dans les pays européens.

A cet égard, mon message aux banques est clair : multiplier les initiatives afin d’améliorer leurs offres de produits d’épargne, et ce, dans le but d’encourager les épargnants et favoriser l’inclusion financière des ménages, dont notamment ceux se fournissant auprès des circuits informels.

Les paiements cash ont-ils augmenté ?

Dès l’annonce, le 20 mars 2020, du confinement sanitaire général, les ménages se sont rués vers les retraits du cash par mesure de sécurité, d’une part, et pour stocker des vivres, d’autre part.

Par ailleurs, la promulgation des mesures de soutien aux familles nécessiteuses et aux couches sociales les plus démunies, notamment l’aide de 200 dinars, a fortement contribué aux retraits massifs de cash par ces catégories sociales. 

Depuis le début du confinement, la situation se présentait ainsi : d’un côté, des sorties massives de billets équivalant à 1 839 millions de dinars pendant les mois de mars et avril 2020 et qui sont proches des sorties enregistrées pendant la période de l’Aid El Idha. De l’autre, les entrées des billets connaissent un niveau très faible de 694 millions de dinars pendant les mêmes mois, soit une diminution de 53 % par rapport à la même période de l’année dernière. De plus, comme à l’accoutumée, ce volume de cash en circulation augmente davantage avec les dépenses des ménages à l’occasion du mois de Ramadan.

Face à cette situation, la BCT a pris toutes les mesures nécessaires afin d’approvisionner tout le pays en monnaie fiduciaire en quantités suffisantes pour l’alimentation des distributeurs automatiques de billets et pour les retraits en espèces.

Il est donc opportun de profiter de cette crise pour accélérer le processus de decashing déjà entamé, et ce, à travers l’encouragement des moyens de paiement digitaux et à distance.

Les perspectives 2020 : une baisse du PIB de près de 4%

Comment s’annoncent selon vous les perspectives finales de 2020 ?

Selon les dernières prévisions, et à condition que la normalisation s'enclenche dès le second semestre de l'année, la Tunisie devrait connaître une baisse du PIB en termes réels avoisinant les 4%.

Néanmoins, les incertitudes entourant les prévisions et les perspectives finales de 2020 dépendent non seulement de la période de confinement mais aussi de la durée de la reprise totale de l’activité.

A mon sens, il y a une amélioration progressive de la situation sanitaire qui se traduirait par un déconfinement progressif. Cela dit, les semaines suivantes seront décisives et l’autodiscipline des citoyens reste primordiale pour éviter un confinement de longue durée.
Mais je voudrais finir sur une note positive,  tirer les enseignements de cette crise et appeler à saisir les opportunités qui pourraient jaillir. Nous sommes confrontés à nos problèmes, sans illusion aucune. De cette crise nous avons vu naître un formidable élan de solidarité, une créativité débordante, mais aussi la simplification des procédures et de la bureaucratie … Capitalisons sur ces réalisations pour aller de l’avant… La capacité de résilience de la Tunisie, des Tunisiennes et des Tunisiens est toujours surprenante et exceptionnelle !

Les réunions annuelles de printemps du FMI et de la Banque mondiale cette année en virtuel

Cette année, c’est depuis Tunis que vous avez participé à ces assises qui se tiennent habituellement en grande pompe à Washington DC ?

Dans les conditions exceptionnelles de la pandémie du Covid-19, les réunions de printemps des institutions de Bretton Woods ont eu lieu virtuellement. Personnellement, j’ai eu l’occasion de participer à une réunion avec la Directrice générale du FMI, Mme Kristalina Georgieva, avec les gouverneurs et les ministres des Finances de la région MENA qui a eu lieu le 22 avril 2020.

Qu’en avez-vous le plus gardé ?

Les réunions ont représenté une occasion inédite pour échanger les expériences internationales quant aux différentes mesures et politiques mises en œuvre pour faire face à la pandémie, de soutenir les entreprises et les ménages et d’assurer la continuité du fonctionnement des systèmes de paiement.

De même, les discussions furent très riches sur les défis auxquels font face les pays de notre région dans une perspective post-Covid-19 ainsi que les nouvelles priorités qui ont surgi pour assurer le redressement et la résilience de l’économie. Il s’agit, notamment, de la nécessité de l’accélération de la digitalisation de l’économie, l’orientation des dépenses d’investissement aux secteurs prioritaires comme la santé et l’éducation, le renforcement des filets de sécurité sociale, le renforcement de l’inclusion sociale et l’amélioration de la résilience de l’économie.

Des réflexions sont aussi menées sur le rôle, l’intervention et le principe d’indépendance des banques centrales lors de cette crise de récession.

Il en ressort aussi que la conception des programmes d’assistance financière par les institutions de Bretton Woods au profit des pays à revenus intermédiaires et dont les marges de manœuvre sont réduites devra être revue et rénovée afin d’assurer une meilleure adéquation avec leurs besoins croissants de financement ainsi que les différents défis auxquels ils font face.

Quels sont nos prochains RDV avec ses deux institutions ?

Après le décaissement de 745 millions de dollars par le FMI à la Tunisie dans le cadre de l’Instrument de financement rapide (NDLR : IFR), la prochaine étape consistera en la préparation des nouvelles négociations avec le Fonds d’un nouveau « Extended Fund Facility » soutenant un programme de réformes reflétant les priorités économiques du gouvernement.

La Banque mondiale, de son côté, est en train d’entreprendre un grand effort pour soutenir le pays dans les prochains mois avec d’autres bailleurs internationaux. Cette assistance financière fournie à l’économie tunisienne est également appuyée par un apport très important en coopération technique internationale.

A la BCT, nous nous félicitons de la contribution de nos principaux partenaires techniques dans le soutien de notre plan stratégique visant la transformation de l’institution que nous menons sur la période 2019-2021, notamment la Banque mondiale, la Coopération allemande, la Coopération suisse, la Berd ainsi que plusieurs banques centrales amies.

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