Vers un nouveau projet de société : Fin du moi ou fin du monde
De plus en plus, depuis le début des années 1960, est apparue l’idée selon laquelle l’air, la mer et l’atmosphère font partie du patrimoine universel, que l’on doit protéger. Chaque individu doit en avoir la responsabilité, jusqu’à sacrifier une partie de son bien-être, pour selon une formule consacrée, «sauver la planète».
Dans l’application pratique, la plupart des états en restent cependant à des déclarations d’intention. Pour leur part, les Etats unis d’Amérique, parfois avec certaines nuances selon les présidents, ont assumé ouvertement leur opposition à tout ce qui était susceptible de porter atteinte au libéralisme, seul vecteur selon eux de développement économique et de progrès.
En 1971, alors que j’étais jeune stagiaire aux Nations Unies à New York, j’ai eu l’opportunité de discuter avec Georges H.Wbush, alors ambassadeur des Etats Unis auprès de cette organisation internationale. Je lui avais demandé ce qu’il pensait de cette nouvelle idéologie qui qui paraissait séduire de plus en plus de gens. Je fus frappé par sa réponse sans nuance, qui ne laissait aucune place, à ce courant de pensée.
Celui qui deviendra en 1989 le 41eme président des Etats Unis d’Amérique, posait en principe intangible la suprématie des USA, avec le libéralisme comme principe exclusif. Une fermeté que j’avais pensé pouvoir expliquer à l’époque par le combat que son pays conduisait contre l’admission de la République Populaire de Chine au sein des Nations Unies, «afin qu’elle ne contamine pas le capitalisme».*
Pour les Etats Unis d’Amérique, c’est l’intérêt individuel qui assure l’intérêt général, par le jeu de la libre entreprise, de la libre concurrence et de la liberté des échanges. **
Sauf quelques exceptions, tous les pays du monde se sont ralliés au libéralisme et en 1976, année de l’accession au pouvoir de Deng Xiaoping, la Chine communiste elle-même a développé ce qu’elle a appelé «l’économie socialiste de marché», qui eut pour effet de lui faire adopter le libéralisme économique, avec le succès que l’on connait.
Face aux deux plus grandes puissances économiques, les adeptes d’une société dirigiste, pour être plus humaine, plus solidaire, plus partageuse, d’une société protectrice de l’environnement au détriment du progrès économique, sont apparues comme des idéalistes se nourrissant de chimères et d’illusions, vivant en dehors de toute réalité.
Le Covid-19 qui secoue la planète avec ses dizaines de milliers de morts et le tsunami économique qui se profile à l’horizon, va-t-il changer la donne, par une prise de conscience collective, susceptible de faire évoluer nos sociétés individualistes et égoïstes, livrées au seul profit?
Sans aller jusqu’à remettre en cause les structures économiques du monde d’aujourd’hui, le Covid-19 nous donnera-t-il l’occasion de réfléchir sur des thèmes majeurs tels que l’aménagement, l’environnement et le fonctionnement, susceptibles d’être pris en compte par ceux qui détiennent le pouvoir.
Aménagement
Tout indique que l'aménagement urbain sous forme de grandes villes, avec des grattes ciels, des métros et des réseaux souterrains comme New York n'est pas le meilleur schéma pour au moins nous épargner de la contagion. Bien au contraire, il favorise, l'autoproduction, le sport, la santé le télétravail avec des villes moyennes et distancées qui permet de vivre en paix et en sécurité, villes qui couvrent l'ensemble du territoire utilisant des énergies propres. Ce qu'on a tendance à appeler aujourd'hui "Smart Small City " où tout est interconnecté et dimensionné à l'optimum.
Environnement
Depuis le début des années 1960 ou tout au moins depuis la conférence de la terre au BRESIL et jusqu’à celle de PARIS, la communauté internationale n’est pas parvenue à définir une politique commune de protection de l’environnement, pour la préservation de l’être humain et la protection des ressources de la terre, de la mer et de l’atmosphère.
Les USA s’y opposent pour des raisons idéologiques et « bassement » matérielles ; alors même que les spécialistes imputent les fléaux des maladies et des pandémies au non respect des règles d’hygiène et à la pollution hydrique, tellurique et atmosphérique.
Fonctionnement
Le monde a changé. Il est devenu un village interconnecté, non seulement par les moyens de transport souvent trop rapides et de masse, mais aussi par les nouveaux moyens de communication qui favorisent les échanges. Il en est résulté des facilitations de transmission, de contamination et de propagation des maladies aux niveaux, local, national et international, comme c’est le cas aujourd’hui
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La pandémie que nous vivons pourrait avoir pour effet de prendre en compte des réformes qui s’imposent.
Mais peut-on aller au-delà de réformes ciblées,telles que celles que nous préconisons ?
Des voix se sont élevées à l’occasion de cette pandémie qui a secoué la planète, y compris en Tunisie, pour un changement radical de vie, dans un monde nouveau avec des ressorts autres que le profit à tout prix et le développement économique débridé.
Profiter de l’effet pandémie pour changer de paradigme, avec comme objectifs, plus d’altruisme, de générosité, de partage et de respect d’autrui.
Certes, l’objectif est louable, mais il est à craindre que la pandémie due au Covid-19, une fois disparue, soit vite oubliée, pour pouvoir mettre en œuvre des réformes fondamentales. Les peuples ont la mémoire courte.
On peut raisonnablement penser que les politiques qui gèrent nos sociétés, continueront d’avoir pour seule boussole le bien être « immédiat » de leurs mandants, qui correspond à une demande matérielle toujours plus pressante, qui passe par le progrès économique, avec au mieux un état providence comme amortisseur social.
Il est hasardeux de se projeter dans le long terme sur un projet de vie. Les décideurs d’aujourd’hui ne verront sûrement pas les effets d’une politique rigoureuse, impliquant des sacrifices pour des peuples qui sont déjà dans la difficulté du lendemain, une politique qui demanderait aux capitalistes de rogner sur leurs profits.
Ceux qui détiennent la richesse et donc en fait la réalité du pouvoir, ne sont pas prêts au partage, le pays où ils deviendraient persona non grata, serait privé de leurs capitaux tout simplement.
Et ce ne sont pas les imprécations de la jeune militante écologiste suédoise Greta Thunberg qui pourra les impressionner, pas plus que les grands séminaires comme la conférence de Paris de 2015 où l’on s’est ingénié à refaire un monde plus beau, plus juste, plus pur, sans assortir ces vœux pieux de mesures coercitives, ce qui permettra aux décideurs,une fois rentrés chez eux et confrontés à la réalité du quotidien, d’abandonner toutes les belles résolutions adoptées dans l’allégresse.
Le Covid-19 n’y changera rien. On est déjà un peu partout dans le déconfinement et on nous dit que la transmission du virus décroit pour bientôt disparaître.
Demain, ce sera le retour à la vie ordinaire. Les mieux pourvus retrouveront pour la plupart leur place d’avant virus, pour les autres, ils poursuivront l’éternel combat de leur survie au quotidien, même si c’est au détriment de leur santé et de la planète.
On met le citoyen devant un dilemme vite tranché, dans lequel l’immédiateté prend –comme toujours- le pas sur un avenir par nature incertain,que l’on dit meilleur.
C’est en définitive un slogan utilisé de nos jours dans de nombreuses manifestations qui résume le mieux la situation: « fin du moi ou fin du monde ».
Abdelmajid Sahnoun
* Opposition vaine puisque la Chine intégra l’ONU le 25 octobre 1971
** Ecole de pensée théorisée par Adam Smith dans son célèbre ouvrage « Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations. » qui ne sera susceptible d’aucune atteinte.