Lettre à un jeune tunisien
A l’orée de l’année universitaire 2010-2011, “Leaders” m’a demandé d’adresser à un jeune tunisien d’aujourd’hui quelques conseils susceptibles de l’aider à réussir dans ses études et dans sa vie. Mais s’adresser à un “jeune tunisien” n’est pas une mince affaire, tant le vocable est chargé d’histoire et d’émotions. Les “jeunes tunisiens”, souvenons nous-en, ce sont en effet ces réformateurs du début du XXème siècle qui, autour de Ali Bach Hamba et de Abdeljelil Zaouche, ont affirmé haut et fort - face à la prépondérance et à son lot de mépris - que les tunisiens pouvaient eux aussi aspirer à la dignité, à la justice et à la liberté. Et qui n’ont brandi pour le faire ni bombes ni fusils, opposant au colonialisme des armes bien plus redoutables, les seules à même de le détruire durablement : celles de l’éducation et de la culture. Sans chercher refuge dans la nostalgie d’un glorieux passé, mais en revendiquant au contraire leur part de l’héritage de la Renaissance et des Lumières, leur part de cette modernité que leur passé avait lui aussi contribué à dessiner.
Que dire de plus qui ne l’ait été il y a un siècle? Sinon que le « jeune tunisien » d’aujourd’hui, héritier abouti de ce combat sans cesse renouvelé, en est à présent l’acteur principal. Et que l’avenir de son pays, fort heureusement dépourvu des ressources naturelles qui font le malheur de ceux qui en possèdent, réside plus que jamais dans le talent et les compétences de ses citoyens et de ses citoyennes, dont Zaouche écrivait en 1901 que « nous ne pouvons espérer une évolution sérieuse de notre race tant que la femme continuera à vivre dans l'ignorance ».
Plus que jamais, certainement … Car dans l’économie mondialisée dite «de la connaissance » dont nous sommes – de bon ou mauvais gré – les protagonistes, le savoir et la science ne sont plus seulement les moyens d’une émancipation future, ils sont devenus ceux de l’intégration immédiate dans le concert des nations. La Tunisie se préparait à cette échéance depuis plus d’un demi-siècle, car elle en avait bien compris les enjeux depuis fort longtemps, en investissant l’essentiel de ses ressources dans l’éducation de ses enfants. Ce choix a été le bon, et c’est à vous qu’il échoit d’en cueillir aujourd’hui les fruits et de les faire fructifier pour demain.
Mais voilà que je m’égare et que j’en oublie les conseils qu’exigeait ma feuille de route … Sans doute parce que je ne crois pas vraiment à l’utilité des conseils de « vieux sages » pour changer le cours des choses et le comportement des plus jeunes. Et j’ajouterais « Dieu merci ! » car que resterait-il sinon aux jeunes à découvrir de la vie s’ils devaient – s’ils pouvaient – s’approprier l’expérience des milliers de vies vécues avant eux ? Sans doute aussi parce que je n’ai pas trouvé de conseil plus pertinent, et plus parfaitement inutile au demeurant –les trois siècles écoulés depuis la mort de La Fontaine en témoignent – que celui de son vieux laboureur : « Travaillez, prenez de la peine, c’est le fonds qui manque le moins » … que j’agrémenterais toutefois de ce codicille : « Et prenez-y surtout du plaisir, car on ne réussit vraiment que ce qu’on aime ».
Et pour le reste, n’ayez pas surtout pas peur de vivre vos propres expériences, au risque de vous tromper certes, mais en suivant votre cœur et vos convictions, et en y mettant votre passion. Il vous arrivera certes d’en souffrir, mais je ne connais pas d’autre moyen de se grandir et de réussir dans la vie, de réussir sa vie.
Mohamed Jaoua