Femme : un métier pénible ?
Psychiatre, addictologue, membre du think tank L'Observatoire des Futur(e)s, la tunisienne Fatma Bouvet de la Maisonneuve vient de publier au Monde une tribune libre qui dépasse le simple cadre de la France et nous interpelle tous. Elle sera fin octobre à Tunis pour dédicacer son dernier ouvrage "Les femmes face à l'Alcool. Résister et s'en sortir (Odile Jacob, 2010).
Il a fallu attendre la réforme des retraites engagée par le gouvernement actuel pour que les projecteurs soient enfin braqués sur la qualité de vie des femmes actives. Les chiffres se succédaient, les témoignages aussi, mais l'inertie était la seule réponse à cette inégalité qui frappe les femmes. Il semblait qu'elle était entrée dans le registre de la fatalité, à la fois ordinaire et indiscutable. C'est normal que tu sois fatiguée, dit-on aux femmes, tu as des enfants et un travail. Non, ce n'est pas normal.
L'état de santé des femmes actives est aujourd'hui bien préoccupant. Je ne parlerai ici que de leur santé psychique puisque c'est celle qui relève de mes compétences et qu'elle provoque de nombreuses consultations en psychiatrie. Mais il ne faut évidemment pas négliger d'autres troubles somatiques qui touchent les femmes. L'injustice s'inscrit bien avant la retraite. C'est dès le départ qu'elle s'observe et les conséquences sont d'autant plus lourdes. Les femmes se surinvestissent au travail, mais elles recueillent au mieux un manque de reconnaissance, au pire un salaire de 27 % inférieur à celui des hommes. Leurs ambitions et leur psychologie ne trouvent que peu d'écho dans les organisations professionnelles, quarante ans après leur accès massif à la vie active. Elles sont aujourd'hui 37 % contre 24 % des hommes à se plaindre d' un mal-être au travail. 20 % de salariés disent avoir besoin de se doper pour travailler, parmi eux des femmes aussi. Et le soir, c'est pour oublier, disent-elle. Rajoutez à cela 80 % des tâches familiales à assumer en plus de leur métier : le verdict est sans appel. Aujourd'hui, trois femmes pour deux hommes souffrent du syndrome de burn out. Elles sont deux fois plus nombreuses que les hommes à être victimes de harcèlement moral, souvent du fait précisément de leur féminité : un supposé manque de disponibilité puisqu'elles sont mères, leur prétendue hypersensibilité voire leur incontinence émotionnelle…
Comment reprendre confiance en soi lorsque tous les indicateurs de culpabilisation sont au rouge ? Or, il y aurait bien des solutions à cette situation qui devient de plus en plus intenable. Les issues participent à la fois du registre légal, mais aussi social pour un changement des mentalités, et enfin du médico-psychologique. Il devrait en effet être de la responsabilité de l'employeur de gérer en toute transparence et égalité la carrière d'une jeune femme qui rentre en zone de haut risque de maternité. Des épargnes d'années de travail pourraient être envisagées de concert afin de permettre aux plus jeunes de lâcher du lest lorsqu'elles ont des enfants en bas âge, et de reprendre leurs carrières sans en être pénalisées par la suite.
DEBAT SUR LA PARITE
Autrement dit, la maternité, fait normal dans la vie d'une femme et facteur de croissance d'une pays, devrait être suivie et non source de discrimination. Les retours de congés accompagnés semblent garants de plus d'épanouissement et d'une plus grande performance des femmes, comme le montrent des pratiques en Europe du Nord. Dans les entreprises où elles ne sont pas accompagnées, les jeunes mères s'absentent deux fois plus, consomment deux fois plus de médicaments et d'alcool et sont de fait moins performantes.
Une autre période de la vie des femmes, hélas trop oubliée, doit également être prise en considération en termes de prévention : c'est celle de la ménopause souvent à l'origine de troubles physiques et psychiques mal interprétés par l'encadrement, alors qu'elle relève parfois d'une réelle prise en charge médicale. Si la santé au travail est un levier de succès, celle des femmes est certainement source de performance supplémentaire compte tenu de leur implication et de leur capacité de résistance.
Pourquoi en sommes-nous encore là ? Parce que le débat sur la parité n'est pas posé dans sa globalité. Egalité veut dire partage égal. N'ayez crainte, messieurs, partager la tâche, ce n'est pas la prendre, comme le disait Hubertine Auclert, c'est se soulager mutuellement. Les femmes démarrent dans la vie pleine d'illusions d'égalité, mais elles sont progressivement rattrapées dans leur corps et leur esprit par une réalité qui les emporte dans une course effrénée vers une injustice ultime : celle de ne percevoir que 56 % de la retraite des hommes. On voudrait en plus les faire travailler deux ans supplémentaires, et dans ces mêmes conditions ? Nous les voyons épuisées, éreintées, au début, au milieu et en fin de parcours professionnel. Et il faudrait encore qu'elles finissent leur vie de plus en plus longue dans l'humiliation ?
Fatma Bouvet de la Maisonneuve