News - 05.07.2020

La solidarité en santé : L’exemple du soutien tunisien à la création de l’école de médecine de Djibouti

La solidarité en santé : L’exemple du soutien tunisien à la création de L’école de médecine de Djibouti

Par Dr Belgacem Sabri. Membre du comité de veille sanitaire de l’académie nationale de Beit El Hikma- La pandémie actuelle du Covid-19 avec le nombre élevé de malades et de décès a entrainé des réactions de repli sur le national et sur l’individuel pour protéger les citoyens en priorité dans le cadre d’une compétition pour l’acquisition des équipements médicaux de réanimation et de protection individuelle et collective. Aussi des inquiétudes pointent à l’horizon sur l’équité d’accès, notamment pour les pays pauvres, aux médicaments et vaccins contre le virus une fois découverts et commercialisés.

Toutefois, la pandémie a permis le développement d’un élan de solidarité un peu partout dans le monde au niveau national, entre les pays et au niveau international. Cet élan a été dicté par le danger sanitaire de la pandémie et par ses conséquences économiques désastreuses représentées par l’arrêt de la machine économique et la perte de nombreux emplois et sources de revenus. Des franges entières sont tombées dans la précarité et les perspectives de la récession économique sont désastreuses.

Ces expériences de solidarité seront passées en revue avec un intérêt particulier pour une histoire réussie de coopération technique tunisienne dans la région OMS de la méditerranée orientale relative au soutien technique de la Tunisie pour la création de la première faculté de médecine à Djibouti, avec des moyens financiers limités et avec la coordination technique de l’OMS. Les leçons tirées de cette forme de diplomatie du savoir sont édifiantes pour mieux cadrer les initiatives de coopération technique notamment dans le domaine sanitaire.

La solidarité sanitaire au niveau national

L’augmentation rapide du nombre de malades et notamment de ceux nécessitant des soins intensifs a déstabilisé un certain nombre de systèmes sanitaires même dans les pays riches. Des initiatives citoyennes et associatives ont mobilisé les ressources financières nécessaires ainsi que les équipements techniques dont l’offre était insuffisante. De même des efforts ont été faits pour fabriquer avec les moyens disponibles les équipements de protection individuelle au profit des professionnels et des usagers.

Les actions de solidarité ont concerné également le soutien économique et social aux couches défavorisées notamment les chômeurs, les personnes âgées dépendantes et les migrants et réfugiés vivant en Tunisie avec la contribution de l’état et de la société civile. Des mairies ont également contribué à cet élan de solidarité particulièrement durant la période du confinement obligatoire et la perte de sources de revenus pour certaines franges de la société.

Des exemples de solidarité entre les pays

Des équipes médicales venues de Chine, de Cuba, de Russie, de Somalie, et d’autres pays ont prêté la main aux autorités sanitaires italiennes prises de court par l’importance de l’épidémie et par la saturation de l’infrastructure médicale. Certains pays ont fait des dons de matériel de protection individuelle et de réanimation et même d’hôpitaux de campagne pour soutenir les pays les plus touchés par la pandémie.

La Tunisie n’a pas également manqué ce rendez-vous humanitaire grâce à une équipe médicale relevant de la santé militaire qui a été dépêchée par le chef de l’état. Ce geste, de portée symbolique certes, a été bien apprécié par le peuple italien et les autorités sanitaires et s’inscrit dans la ligne de la diplomatie du savoir et de coopération technique adoptée par la Tunisie depuis son indépendance nationale.

Grace aux efforts de la diplomatie tunisienne sous l’impulsion du chef de l’état, un hôpital de campagne, don d’un pays Arabe frère le Qatar, a été récemment installé à Gbilli, gouvernorat fort touché par l’épidémie du Covid-19. Cet hôpital d’une capacité d’une centaine de lits dont une vingtaine en soins intensifs est de nature à renforcer l’infrastructure hospitalière dans la région qui demeure sous médicalisée.

La solidarité au niveau global

Le système des Nations Unies et en particulier ses organisations techniques telles que l’OMS œuvre pour la mobilisation de la volonté politique pour combattre la pandémie et ses conséquences économiques et sociales. La résolution, parrainée par la Tunisie et la France sur la pandémie qui vient d’être votée à l’unanimité par le conseil de sécurité, vise à renforcer la solidarité internationale dans la lutte contre la pandémie et à arrêter les hostilités militaires pour une certaine période pour faciliter la réponse. Des efforts sont également déployés par le secrétaire général des Nations Unies pour réduire l’impact de la dette des pays en développement touchés par la pandémie.

L’OMS a lancé une opération de mobilisation de ressources pour renforcer la solidarité suite à la pandémie avec la contribution de donateurs à hauteur de 9 Milliards de dollars US pour aider à la lutte contre ce virus émergent. Ce fonds de solidarité vise également à soutenir la recherche pour la découverte de vaccins et de médicaments et à garantir un accès équitable de tous les pays aux moyens de lutte contre la pandémie.  

Le parrainage de l’école de médecine de Djibouti par la Tunisie

L’école nationale de médecine de Djibouti a été développée en 2007 grâce à une coopération triangulaire incluant Djibouti et la Tunisie sous l’égide de l’OMS. En 2006, l’année de promotion des ressources humaines pour la santé décrétée par l’OMS, Djibouti a fait état d’un manque important de cadres médicaux et a manifesté le désir d’être soutenu pour la création de sa première école de médecine.

Djibouti, un pays arabe et africain de moins d’un million d’habitants, situé dans la corne de l’Afrique ne pouvait pas compter sur la coopération des pays voisins, économiquement défavorisés et utilisant l’anglais comme langue pour la formation médicale. La requête faite par le ministre de la santé Djiboutien de l’époque à son homologue tunisien Dr Ridha Kechrid a été favorablement accueillie ce qui a encouragé l’OMS à engager les préparatifs pour la mise en œuvre du projet.

Une étude de faisabilité pour la création d’une école nationale de médecine à Djibouti a été exécutée par l’OMS avec la contribution d’éminents professeurs tunisiens y compris le Pr A Zbidi, doyen à l’époque de la faculté de médecine de Sousse, du Pr M Beji vice doyen de la faculté de Tunis et du Pr N Achour professeur de santé publique. Cette étude a pris en considération l’analyse de la situation sanitaire du pays, des besoins identifiés et de l’infrastructure sanitaire et hospitalière nécessaires à la formation.

Le profil de l’école proposée était celui d’une institution ouverte sur son environnement et engagée à répondre aux besoins de la population dans le cadre d’une approche communautaire conformément aux recommandations de l’OMS.

Les cadres tunisiens ayant contribué à l’étude de faisabilité ont été décorés par SE le président Djiboutien qui a rendu hommage à la Tunisie et à son histoire de coopération fructueuse dans le pays depuis son indépendance.

Eu égard à la taille du pays et aux possibilités existantes de formation et d’encadrement, il a été proposé de commencer par des promotions d’étudiants ne dépassant pas 40 par année universitaire afin d’assurer un bon encadrement pédagogique. La formation était conçue comme étant intégrée et modulaire conformément au modèle utilisé par les facultés tunisiennes de médecine.

Suite à l’étude de faisabilité et à la discussion avec les autorités sanitaires et de l’enseignement universitaire de Djibouti, un plan de mise en œuvre a été développé détaillant les aspects pédagogiques et logistiques y compris un montage financier de l’opération.

Le plan de mise en œuvre prévoyait un accompagnement technique et administratif des facultés de médecine tunisiennes et une relève progressive par les cadres nationaux pour assurer l’autonomie de l’institution nouvelle. Des équipes tunisiennes sous la direction du Pr Saad ont préparé le programme modulaire de formation et ficelé le planning des visites des enseignants visiteurs en fonction des cycles de formation.

L’OMS, ayant assuré un soutien pédagogique par l’achat d’équipements et de laboratoire de formation, a pris la décision d’accompagner Djibouti dans ses efforts de mobilisation de ressources financières pour le démarrage de l’école de médecine eu égard aux difficultés financières du pays. Un plaidoyer auprès de la Banque Africaine de Développement a permis de mobiliser un don de 600000 $ destiné essentiellement aux voyages et aux frais de subsistance des enseignants visiteurs tunisiens.

A ce jour, plus d’une centaine de nouveaux médecins Djiboutiens ont été formés par cette école soutenue et parrainée par la Tunisie depuis sa création ce qui a amélioré sensiblement la densité médicale et contribué au relèvement par le haut de l’infrastructure sanitaire dans le cadre d’un plan ambitieux de développement économique et social engagé par le pays.

Aussi les stagiaires internés Djiboutiens et les futurs spécialistes qui travaillent dans les hôpitaux universitaires tunisiens, participent avec leurs collègues nationaux à la lutte contre la pandémie en Tunisie ce qui est de nature à renforcer davantage la solidarité entre les deux peuples frères.

Les évaluations pédagogiques des étudiants formés tout au long du cursus de formation, ont été très satisfaisantes conformément aux standards de qualité exigés par les facultés nationales de médecine. Un plan est envisagé pour la participation des étudiants Djiboutiens formés au concours national de résidanat tunisien afin de préparer les spécialistes Djiboutiens et de développer le corps enseignant national pour assurer la relève des facultés tunisiennes.
Tout au long de ces 14 années de partenariat pour la création de cette nouvelle école de médecine de Djibouti, les enseignants tunisiens, visiteurs et résidents ont fait preuve de motivation et de dévouement pour réussir ce défi. Cet esprit d’abnégation et de solidarité a été souligné par les responsables nationaux Djiboutiens au plus haut niveau à l’OMS. Cette dernière est fière d’avoir associé la Tunisie à une grande réussite de sa politique visant le développement de la coopération entre les pays du sud dans le domaine de la formation des ressources humaines de santé.

Les leçons apprises de la coopération et de la diplomatie du savoir

L’analyse de cette expérience de diplomatie tunisienne du savoir permet d’identifier les ingrédients essentiels de son succès :
Une vision politique de coopération basée sur des valeurs de solidarité humaine avec tous les peuples notamment ceux appartenant aux sphères Maghrébines, Arabes, Méditerranéennes et Africaines. Cette vision a impacté la diplomatie tunisienne depuis sa création et constitue une dimension de sa force douce. Ce projet a construit sur une expérience de plusieurs décennies de coopération et de solidarité dans le cadre de la diplomatie tunisienne.

Un leadership visionnaire

Dès la demande de son homologue Djiboutien, le ministre Dr Ridha Kechrid et ancien ambassadeur a bien saisi l’importance de concrétiser pareille coopération pour l’intérêt des deux peuples frères. Des instructions ont été données pour entamer les préparatifs par la faculté de médecine de Sousse en coordination avec les autres facultés et pour susciter un élan de volontariat. Le ministre n’a épargné aucun effort pour garantir le succès à cette coopération technique.

Après son départ du gouvernement, le travail a été très bien continué par son successeur Mr Monther Znaidi qui a apporté tout le soutien aux facultés de médecine de Tunisie pour gérer ce partenariat sous la coordination technique et pédagogique de la faculté de Sousse. Aussi il a facilité, en collaboration avec l’OMS, les contacts avec le ministère de l’enseignement universitaire pour l’établissement des diverses conventions de coopération et de mise en œuvre. Cette coopération est toujours soutenue par les divers ministres de la santé et de l’enseignement supérieur dans le cadre de la continuité de l’état.

Des enseignants dévoués et motivés

Conscients du défi représenté par cette initiative et de la charge additionnelle de travail, les enseignants tunisiens tout au long de cette coopération qui continue, ont fait preuve de dévouement et d’esprit d’organisation. Aucune plainte n’a été recueillie par le bureau de l’OMS à Djibouti et les rapports qui provenaient au bureau régional du Caire ont toujours été élogieux. Pendant leur présence dans le pays les enseignants, en plus de la formation théorique et pratique accordées aux étudiants, fournissent des précieux conseils pour améliorer les performances de l’institution naissante. 

Un esprit d’engagement de la partie Djiboutienne

Reconnaissant l’esprit de coopération et la motivation du personnel enseignant tunisien malgré les difficultés logistiques et la limitation des moyens, les partenaires Djiboutiens du ministère de la santé et de l’enseignement supérieur ont toujours fait marque de disponibilité pour solutionner toutes les difficultés et pour respecter la feuille de route adoptée d’un commun accord. Aussi les étudiants sélectionnés ont fait preuve d’une grande maturité et d’une assiduité exemplaire.

Une assistance technique de l’OMS

En plus de l’expertise technique fournie par l’OMS aux pays de la région, l’OMS a toujours considéré l’importance d’investir dans les ressources humaines pour la santé qui constituent le pilier de tout système de santé et la condition fondamentale pour le développement sanitaire. L’OMS a aidé la Tunisie en 1965 pour développer sa première faculté de médecine et pour renforcer la formation para médicale à travers la création du centre pédagogique grâce aux consultants venus essentiellement des pays Européens.
Usant de son capital de confiance et d’estime, l’OMS favorise la coopération entre les pays de la région dans un esprit d’entraide et de solidarité. Les centres d’excellence, qui sont souvent promus en tant que centres collaborateurs de l’OMS, dont recèle la Tunisie, contribuent au renforcement de la formation et de la recherche entre les pays de la région.

Conclusion

Cette réussite de la coopération et de la diplomatie du savoir doit nous encourager à renforcer la coopération et la solidarité entre les peuples de la région et à faire partager le savoir-faire national dans les divers domaines avec les pays qui le demandent afin d’améliorer l’image de marque de notre pays.
 Les exemples de solidarité entre les peuples, développées à l’occasion de la pandémie du Covid-19, doivent se multiplier pour renforcer la sécurité sanitaire globale et pour concrétiser le droit à la santé pour tous les humains.

Dr Belgacem Sabri
Membre du comité de veille sanitaire de l’académie nationale de Beit El Kihma
Président de l’association tunisienne de défense du droit à la santé
Ancien secrétaire d’état à l’immigration et à l’intégration sociale (2015-2016)
Ancien directeur du département du renforcement des systèmes de santé OMS EMRO, Le Caire, Égypte