Quand l’amateurisme gagne toute la classe politique
Par Hédi Béhi - Dix ans après la révolution, la Tunisie n’arrive pas à retrouver ses marques, affligée comme elle l’est aujourd’hui d’une classe politique incompétente. Et dire qu’elle était un véritable vivier de cadres de haut niveau que les organisations internationales s’arrachaient. Souvenez-vous de Mongi Slim, premier président africain de l’Assemblée générale de l’ONU, qui avait failli devenir secrétaire général des Nations unies n’eût été la jalousie de Bourguiba, de Mohamed Ezzedine Mili, secrétaire général de l’Union internationale des télécommunications de 1965 à 1982, de Chédli Klibi, secrétaire général de la Ligue des Etats arabes pendant une dizaine d’années, et de bien d’autres personnalités moins connues comme Moncef Belhaj Amor ou Hédi Annabi.
Depuis, la Tunisie n'arrive plus à placer ses candidats à la tête d'institutions internationales. Un haut cadre tunisien pourtant appuyé par le gouvernement avait brigué il y a quelques années le poste qu’avait occupé naguère son compatriote Med Ezzédine Mili. Il recueillera une seule voix, la sienne. Quant aux institutions arabes basées en Tunisie, elles sont désormais dirigées par des non-Tunisiens.
Entretemps, le pays s'est vidé se ses élites.Ce qui a permis à une poignée de sous doués de faire main basse sur le pays, le plongeant dans un abîme de désespoir
L’historien Fethi El Yasir a publié il y a quelques années un livre sur les deux ans de gouvernance de la Troïka au début de la révolution qui porte le titre "L’Etat des amateurs". Il compare l’équipe au pouvoir sous cette troïka à un vaisseau spatial dont le pilotage a été confié à un groupe qui, ignorant tout de cette tâche, s’est mis avec une frénésie juvénile à appuyer sur tous les boutons de commande à l’aveuglette jusqu’à la chute du vaisseau.
Cet amateurisme est particulièrement parlant dans la nouvelle classe politique.. Les Tunisiens sont témoins des frasques des députés grâce à la retransmission des séances plénières de l’Assemblée, transformée pour l’occasion en foire d’empoigne. Pour faire parler de lui, un groupuscule avatar des Ligues de protection de la révolution, El Karama s’est particulièrement distingué ces derniers temps par ses motions en veux-tu, en-voilà. Aujourd’hui, c’est la France qui est dans leur collimateur. Le texte bâclé et peu argumenté demande à la France de s’excuser auprès des Tunisiens sur un ton comminatoire pour les crimes commis contre le peuple tunisien.Heureusement que l'assemblée ne les a pas suivis.
Loin de moi l’idée de minorer les exactions commises lors de la période coloniale et même après l'indépendance comme le ratissage du Cap Bon où les troupes du général Garbay, le commandant en chef de l’armée d’occupation, ont commis des atrocités, notamment à Tazerka en 1952, mais aussi, la réaction disproportionnée de l'armée fançaise aux tentatives de récupérer la base de Sidi Ahmed à Bizerte en en juillet 1961.
Le président de République Kaïs Saïed a eu raison de dire que: «sur ces questions-là, on ne discute pas avec la France à coup de motions».Il faut tenir compte de la dictature de la géographie.Ce pays est notre voisin, notre premier partenaire économique et qui, au surplus, abrite plus d’un million de Tunisiens, sans compter les illégaux.
Quant à la colonisation de la Tunisie par la France,il faut se mettre dans le contexte de la fin du 19 siècle où il n’était nullement question des droits des pays à disposer deux-mêmes. C’était une étape de l’histoire de l’humanité où tout était permis aux puissants comme s’il relevait de l’ordre naturel des choses.
Lorsque le 12 mai 1881 la colonne du général Bréart s’est présentée devant le palais du Bardo, le pays était en pleine déliquescence. Sans se faire prier, le bey régnant Mohamed Sadok Bey signa le traité du protectorat dans l'indifférence générale.
C'est que la Tunisie était tout simplement colonisable. Le pouvoir n'était pas à prendre mais à ramasser.
Hédi Béhi