H'mida Mechri
Figure de proue du tourisme tunisien et du Rotary, Ahmed (H’mida) Mechri nous a quitté mercredi, à l’âge de 82 ans. Avec sa disparition, et celle de son hôtel exceptionnel, Le Mégara, c’est tout une page de l’hôtellerie de charme dans la baie de Gammarth, de l’art de recevoir et du raffinement, qui est définitivement tournée. Une page qui fût riche aussi en amitié, en engagement solidaire en faveur des plus démunis et en don de soi. Pendant plus de 30 ans, Hmida et son épouse Rafika (que Dieu la préserve) avaient fait du Mégara le lieu huppé des soirées raffinées et incontournables où se pressait le tout Tunis des arts, des lettres, des affaires, de la diplomatie, et de la vie publique. La beauté des lieux, avec cette vue inégalée sur la baie, la chaleur de l’accueil sincère et attentionné, la saveur des mets qui restituent de vieilles traditions culinaires de toutes les composantes de la société tunisienne, et ce grand cœur avaient créée une vraie tribu, forgé une indéfectible amitié, ancré des souvenir indélébile.
Dans ce vrai petit palais néo-mauresque aux céramiques raffinées avec des compositions signées par Schemla, la grande salle et ses salons accueillaient les grands évènements. Sur les terrasses, autour de la piscine, comme sur la plage, alors au sable fin, on se retrouvait pour des moments exceptionnels.
« C'était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar » écrivait Flaubert, dans Salambô. C’était au Mégara que se faisait la fête…
Issu d’une illustre famille kairouanaise, le père de H’mida Mechri, grand négociant en tapis et produits d’artisanat fût le premier à conduire la participation tunisienne aux expositions universelles de par le monde, au début du XXème siècle. Jusqu’aux Etats-Unis, où il avait réussi à emmener une vraie caravane de chameaux chargés de « produits d’Orient ». Homme cultivé, raffiné, fin lettré, il était ouvert au monde, ouvert aux civilisations, ouvert aux grands courants de la pensée et des religions. En digne fils d’Okba Ibn Nefaa, il ira faire rayonner notre culture et notre pensée éclairée partout dans le monde, notamment en Asie, en faisant de Paris, à l’époque, son point d’attache, pour les facilités de communication.
L'endroit le plus sélect de la banlieue nord
Très jeune, Hmida est investi de la noble mission de reprendre Le Mégara et d’en faire ce qu’il sera pendant de longues années, l’endroit le plus sélect de la banlieue Nord de Tunis, avant l’implantation de La Baie des Singes et autres Abou Nawas. L’apport de Rafika lui sera précieux. Ensemble, ils en ont fait la maison de l’hospitalité généreuse. Avec leurs amis, ils avaient fondé, en 1972, le Rotary Club de Carthage, rattaché alors au District 172, du Sud de la France. Un club qui se distinguera jusqu’à ce jour, par des adhérents d’une rare qualité intellectuelle et humaine, une action sociale des plus performantes et une amitié très solide. On y retrouvait les Sadok Ben Jemaa, Raouf Sanhaji, Mahmoud Laadjimi, Hichem Mbazaia, Moncef Mouelhi, Taher Dalloua, Abdessalem Kallel, Khaled Chaabouni, Samir Marrakchi, Fayçal ben Zina, Lassaad Kilani, Hédi Békir, Slaheddine Laadjimi, Hassouna Mnara, Kamel Laabidi, Dr Lotfi Ben Abdallah, Taoufik Habaieb Mohamed Haddad, Thameur Choukair, Fadhel Ghariani, Mahmoud Bach-Hamba, Hayder Gueddas, Ahmed Lamine, Moncef Ghorbel, Taieb Ben Ghanem, Béchir Ben Othman, Taher Majoul, Mohamed Driss, Mongi Baccar, Hédi Mechri, et Chédly Ayari, etc. La liste est bien longue. Elle constitue un véritable annuaire d’amitié rotarienne.
Victime du tourisme de masse
Chaque lundi, les amis se retrouvaient dans la convivialité et la volonté de servir. En hiver dans la grande salle décorée aux fanions des clubs amis et, en été, à l’ombre des grands arbres non loin de la piscine, pour déguster, en plus, des mets savoureux, souvent préparés par Mme Mechri elle-même. Des rotariens du monde entier, de passage à Tunis et ayant noté sur l’annuaire international, les coordonnées de ces agapes hebdomadaires, tenaient à y être présents. Des invités de marque étaient sollicités pour donner des conférences instructives sur diverses questions et les débats qui s’ensuivaient étaient de haute facture.
Chaque année, avant le début de l’été, et à la faveur de la passation de collier entre présidents sortant et entrant, le dîner de gala du Rotary Club de Carthage constituait toujours le grand évènement qui faitsait drainer des amis de tout le pays, d’Afrique du Nord et d’autres clubs européens. L’Iftar et la soirée ramadanesques, étaient toujours des plus raffinés.
Tout cela n’appartient plus qu’au passé. H’mida Mechri, désarmé par le tourisme de masse, et les nouvelles mentalités dans le secteur, a préféré se désengager, progressivement. Pas facile à faire lorsqu’il faut investir sans cesse pour maintenir le standing et le confort, être présent matin et soir pour veiller à la qualité, s’occuper du moindre détail. Son épouse et leurs filles essayent de s’y investir. Le goût n’y est plus. Le Mégara finira par fermer ses portes, au grand regret de tous. H’mida se retirera dans sa maison, juste en face, d’où il continuera à promener son regard affectueux et certes nostalgique, sur son hôtel, son époque… Dans la sérénité et l’affection. Qui pourra l’oublier.