Le Faucon d’Espagne, par Rafik Darragi
Par fidélité à mes amis, les écrivains, j’ai pris l’habitude depuis belle lurette de lire, avec une attention particulière, ce qu’ils publient comme romans recueils poétiques, nouvelles, essais, ou même articles de presse. Rafik Darragi étant un camarade de promotion, puisqu’on était tous les deux étudiants à la section d’Anglais à la faculté des lettres de Tunis, je n’ai pas voulu faillir à cette louable attitude. C’est avec grand plaisir que j’ai dévoré son r roman, Le Faucon d’Espagne, publié par Noir sur Blanc Editons. La lecture m’a été très utile, très agréable, et très surprenante d’autant que Rafik est spécialiste de la littérature anglaise et particulièrement de Shakespeare qu’il a enseignée à la faculté des lettres de Tunis. Dans cet article, je me propose de présenter un bref résumé du roman, suivi par quelques remarques qui me paraissent intéressantes et utiles pour les lecteurs.
Disons tout d’abord que j’ai été aussi agréablement surpris par l’étendue des connaissances historiques acquises par l’ami Rafik, et son exemple est vraiment rare, non seulement en Tunisie, mais peut être aussi de par le monde.
Résumé du roman
Comptant 329 pages de petit format, le roman retrace l’épopée du Prince omeyade, Abderrahman, dit le Conquérant et que l’auteur a choisi d’appeler le Faucon d’Espagne au lieu de Faucon de Koreich, qui est par ailleurs le titre d’un roman déjà existant en langue arabe.
Au moment de la chute de la dynastie omeyade et de l’avènement de celle des Abbassides à Bagdad au huitième siècle, Abderrahman se trouve être le seul héritier légitime de la dynastie déchue surtout après l’assassinat en Egypte de son oncle Marwan ibn Abdelmalik Ibn Mohamed , dit Marwan II. Abderrahman est ainsi devenu la première cible à abattre visée par le premier Calife Abbasside, Abdallah Ibn Mohamed dénommé Essaffah ou le sanguinaire. Il doit donc coûte que coûte quitter sa capitale Damas pour se rendre en Andalousie où les Arabes se sont déjà installés et où il a des chances de réussir. Ce n’est que par miracle que son serviteur affranchi, Badr, parvient à l’évacuer dans un tapis enroulé du palais royal assailli par les sbires du nouveau calife. Heureusement pour notre Prince, les assaillants sont plutôt préoccupés par les butins qu’ils veulent emporter avec eux à l’issue de la bataille.
Dans une première étape, Badr décide d’emmener son maitre à Sour où le Cadi Omar, ex ami de Mouawiya est capable de les aider à s’embarquer vers Alexandrie, et de là, il leur sera possible de prendre la direction du sud ; car c’est par là que Badr pourra assurer le salut de son prestigieux protégé. Le jeune Prince, a perdu presque tous les membres de sa famille dont il ne garde que l’hématite d’argent que sa mère lui a pendu au cou le jour de sa concision en lui disant : ne t’en sépare jamais, il te protègera pendant toute ta vie. Rafik Darragi nous rappelle que le qualificatif de Sakr-faucon-a été donné au fils par son père Mouawiya, lors d’une des parties de chasse aux faucons que ce dernier organisait avec certains de ces amis et dont le Prince se souvient toujours. L’auteur nous décrit avec beaucoup de dextérité certaines scènes d’horreur commises par les nouveaux gouvernants à l’encontre des membres encore en vie de l’ancienne dynastie, notamment Yazid et Walid.
Grâce à l’aide précieuse d’un autre serviteur affranchi ami de Badr, qui connaît parfaitement la région, le jeune Prince entame son périlleux voyage à Sour, et déjà Badr commence à rêver de voir son Prince investi du pouvoir à Séville et à Cordoue. L’arrivée à Sour est bien réussie et le Prince est affectueusement reçu par le Cadi Omar. Les deux fils du Cadi, Tarek et Ali détestent les Abbassides et désirent même selon leur père accompagner le Prince en Alexandrie. Le bateau qui doit les y emmener arrive au port de Lattaquié. Le Cadi remet au Prince un parchemin cacheté qu’il doit remettre à son tour au raïs du bateau, alors que les deux frères se chargent de préparer le voyage et de prendre contact avec les gens susceptibles de les aider à l’effectuer dans de bonnes conditions.
A Damiette, le jeune Prince est chaleureusement reçu par la population. L’Imam de la mosquée lui propose la charge de prononcer la prêche du vendredi. Le Prince qui a déjà acquis une formation religieuse à Damas accepte la mission et la conduit avec délicatesse et dextérité. Bilel, un autre serviteur affranchi, lui confie un jour : Seigneur, votre sermon a été aujourd’hui émouvant, et vos fidèles sont convaincus de votre cause. Des discussions d’ordre religieux ont lieu entre le Prince et ses fidèles, et l’imam cheikh Moussa intervient de temps en temps pour apporter certains éclaircissements à propos de certains points donnés.
Le moment du départ vers Selloum arrive. Ce sera la prochaine étape vers Kairouan. Cheikh Moussa propose une aide financière au Prince. Celui-ci le remercie et lui demande seulement d’accepter de garder avec lui certains de ses hommes jusqu’à ce qu’il s’installe en Andalousie pour les faire venir. Le voyage à bord d’une felouque de pèche est paisible et le séjour à Selloum est agréable. Le Prince se voit attribuer la noble tâche d’apprendre le Coran aux enfants dans un Kouttab. Le travail accompli est bien rémunéré et permet à Badr, libéré de toute contrainte matérielle, de louer une maison qui se trouve non loin du kouttab. Il est maintenant disposé à rester le plus longtemps possible dans la ville. Un seul petit évènement a lieu Un jour le Prince se croit qu’il est la cible d’une attaque extérieure. Dieu merci, il s’avère qu’il s’agit tout simplement de simples exercices militaires entrepris par la population indigène. Le Prince et Badr prennent part aux exercices. Entre temps, le Prince fait la connaissance de Sahbi Ibn Mansour, un pieux guerrier originaire de Kairouan. Surpris par l’érudition du Prince, l’homme lui propose de l’accompagner à Kairouan où il lui sera possible d’approfondir ses connaissances et d’entrer en contact avec d’éminents professeurs tels que le célèbre Imam Ibn Tamimi.
A Kairouan le séjour s’avère fructueux, et le Prince a l’occasion de participer aux discussions qui ont lieu entre les ulémas de la ville sainte. Et si ce n’est la crainte d’être poursuivi par les sbires d’Essaffah, Abderrahman aurait accepté de passer le reste de sa vie dans cette ville. Les craintes de Badr ne sont pas sans fondements puisque les hommes du Calife sont toujours aux trousses du jeune Prince. Craignant le pire, Ibn Mansour propose à l’émir de se réfugier dans sa maison à Mornag prés de Tunis. Malgré la beauté du site, le Prince éprouve quelque tristesse. Et voila qu’une rencontre inédite va changer et pour toujours la vie du Prince. Un jour alors qu’il déambule à coté de l’oued, il entend des jeunes filles crier ; il regarde et voit une petite fille en train de se noyer. Il accourt vers elle et la sauve de justesse. La fille a une sœur aimée. Celle-ci veut remercier le sauveur de la vie de sa sœur. En la voyant, le Prince tombe amoureux d’elle, au grand étonnement de Badr. La fille, Néjia est demandée en mariage.
En signe de reconnaissance, les parents acceptent l’offre et Néjia se déclare même prête à accompagner le Prince dans son voyage. Véritable architecte de l’itinéraire à suivre, Badr explique au Prince et aux membres de la famille de la jeune mariée que le cortège doit se rendre à Kelibia pour s’embarquer dans un bateau qui devra les emmener à Nassirya. Arrivé à Kelibia Badr commence à redouter la traitrise du Rais, un ancien compatriote de Damas. La tentative échoue effectivement, car ayant connu l’identité des voyageurs, le Rais leur recommande de quitter la felouque de crainte qu’ils ne soient vendus par certains membres de l’équipage.
Quelques jours plus tard, et après mure réflexion, Badr présente à son Prince un nouveau plan. Pour échapper aux poursuivants, l’Emir doit partir le plus vite que possible et se diriger vers la ville marocaine de Fès, où certaines gens de ses connaissances pourraient l’aider à poursuivre son voyage vers le sud de l’Espagne. Néjia et son époux font leurs adieux aux membres de la famille, et se joignent à une caravane conduite par un chef appelé Sellam, véritable connaisseur de la région. Le voyage s’avère pénible pour Abderrahman et son épouse surtout que celle-ci tombe enceinte en cours de route. Arrivée à Constantine, la caravane se trouve obligée d’introduire un changement à son itinéraire en raison d’une peste qui s’est abattue sur la région. Un autre petit incident de parcours vient aussi altérer le climat tranquille régnant au sein de la caravane. Des bandits barrent la route à nos voyageurs et leur exigent de leur donner l’or et l’argent qu’ils ont avec eux. Mais l’intelligent chef, Sellam, prend le dessus sur les assaillants et les oblige à s’enfuir.
A Fès, le Prince et sa suite doivent en principe se séparer de la caravane, mais suite à une requête formulée par Badr, Sellam accepte d’accompagner le Prince jusqu’à Chouan, où Abderrahman pourra compter sur l’appui d’un chef respecté d’une tribu yéménite, Mongi, dans une région en majorité d’allégeance abbasside, malgré l’existence de certains éléments chiites et alides. Le Prince est chargé par le pieu Mongi à prononcer les prônes du vendredi à la mosquée de la ville. Au terme de l’une de ces prèrches, le père Mongi monte sur le Minbar et exhorte ses auditeurs à soutenir le jeune Prince contre les forces du mal. L’audience s’enflamme et les supporters du Prince deviennent de plus en plus nombreux. Entre temps, Abderrahman apprend, au cours d’une cérémonie de mariage que son pire ennemi Amr est mort. Ce dernier est le chef d’une tribu berbère, alliée des Abbassides. Quelques jours plus tard, Badr vient informer le Prince que le Calife Essaffah est mort à la suite d’une maladie, et que son demi frère Jàafar a pris la relève, à Kouffa, sous le nom de Jàafar Al Mansour. Subitement, le vieux Mongi vient aussi apprendre au jeune Prince que le Sultan du pays ne voulant pas avoir de démêlées avec les Abbassides en raison de l’appui de plus en plus grand dont l’Emir jouit auprès de la population, et lui propose, par conséquence, de quitter le pays sans attendre. Badr juge de son coté que le moment est propice pour prendre le chemin de l’Andalousie. La première étape sera Séville où Badr dispose d’une connaissance de taille, en l’occurrence Somaïl Ibn Hatem, chef incontesté des Qaysis en Andalousie, et qui est lui-même d’origine syrienne. Le vieux Mongi fait remarquer que Somaïl n’est pas le véritable gouverneur. Badr estime que la guerre civile qui bat son plein dans certaines régions de l’Andalousie peut jouer en faveur du Prince, et il faudra frapper aux portes des gouverneurs qui sont en guerre.
En Andalousie la tension est vive et le clivage grand entre les Arabes et les Berbères. Badr et ses collègues n’arrivent pas à conclure un traité avec Somaïl et Youssef Elfehri. Mais le cousin de l’Emir, Sayed, tranquillise le Prince en lui assurant qu’ils sont parvenus à un accord avec Abou Sabah Al Yàkoubi, chef incontesté du clan yéménite très fort en Andalousie. Après avoir remercié le père Mongi, Le Prince et ses hommes prennent la route de Ceuta où ils sont reçus par les émissaires de Abou Sabah Al Yàkoubi. Il s’embarquent vers l’Andalousie et traversent le Détroit de Gibraltar, et sont accueillis par Ibn Tofaïl, ami intime de Sellam Le voyage ne sera pas de tout repos surtout pour l’enceinte épouse, Néjia.
A Torrox, les choses sérieuses vont commencer. Badr mène avec le Gouverneur des négociations fructueuses. Avec tact, il le tranquillise et lui assure qu’il gardera son pouvoir intact et qu’il s’agit tout simplement d’accueillir le Prince pour quelques semaines afin que son épouse puisse accoucher en paix. Le Gouverneur accepte de recevoir son auguste hôte et les dignitaires de la ville viennent accueillir le Prince à l’entrée des remparts. Le séjour à Torrox durera deux ans et Néjia met au monde son premier fils Soulayman.
Abou Sabah Al Yàkoubi se déclare prêt à prêter main forte à l’Emir. Tofaïl et ses hommes se déclarent aussi disposés à venir de Béja pour le rejoindre.
L’auteur du roman s’étend longuement sur la longue guerre que le Prince va entamer pour conquérir les villes andalouses se trouvant sur son chemin, et pour se défaire des Gouverneurs connus pour leur allégeance aux Abbassides. Le parcours sera épineux et le Prince devra même faire face à la trahison de Toufaïl ; une fois, il n’arrive à se défaire de son ennemi qu’en traversant l’oued, la nuit pour arriver à le surprendre. Grâce à la lucidité et à l’intelligence de ses amis Badr, Ziad, Sayed, Sellam et d’autres, le Prince parvient ainsi à vaincre ses adversaires l’un après l’autre, dont Somaïl, Youssef El Fehri, Abdel Ghaffar et d’autres encore. Signalons aussi que le Prince a dû affronter le siège périlleux de Carmona avec beaucoup de bravoure et de courage Pour venir à bout de certains adversaires, le Prince s’est même allié au Roi Charles d’Espagne.
Après tant d’années et au terme de plusieurs guerres fratricides, Abderrahman, le Conquérant arrive finalement à Cordoue, où il décide de s’installer pour toujours pour y instaurer son règne. Il a maintenant deux enfants Soulayman et Hichem. Mais malheureusement avec l’âge et le temps les problèmes vont commencer à s’abattre sur lui. Constatant que son fils aîné, Soulayman se comporte d’une façon désinvolte et frivole, le Prince décide de désigner son deuxième fils Hichem comme son successeur, au grand désarroi de la mère Néjia qui finit ses jours accablée de tristesse. Le vieux compagnon de toujours, Badr, exténué par les guerres rend son âme à Dieu, suivi peu de temps après par la Princesse Néjia. Elle sera enterrée au pied du caroubier du jardin du Palais. Les autres vieux amis disparaissent l’un après l’autre, et le Prince est presque seul maintenant.
Les dernières pages du livre sont palpitantes. L’auteur y décrit les derniers jours du Prince jusqu’au moment où il rend lui-même son à Dieu à l’âge de 60 ans. Il sera enterré près de sa femme au pied du caroubier.
Remarques
Après ce long compte rendu, pourtant raccourci à la fin du récit pour des raisons de convenance, vu que les évènements historiques y afférents sont relatés dans les livres d’histoire, je me propose maintenant de présenter quelques remarques.
La première remarque concerne la reliure du livre dont la responsabilité n’incombe pas à l’auteur mais à l’éditeur. Les feuilles sont attachées avec de la colle et ne sont pas cousues. Par conséquent elles se détachent très vite, voire à la première utilisation, et la manipulation du livre devient désagréable et énervante. Je conseille Rafik Darragi de bien tenir compte de ce défaut lors de la publication de ses prochains livres.
La deuxième remarque concerne les fautes d’impression qui ne sont pas nombreuses mais qui auraient dû faire l’objet d’une rectification.
Pour ce qui est du texte, nous avons pu déceler quelques erreurs ; ci après quelques unes :
1) A la page 75, deuxième paragraphe nous lisons : Badr se rappelait toujours de cette joie immense. Nous savons pourtant que le verbe pronominal se rappeler est transitif et doit se conjuguer sans la préposition de. On dit se rappeler quelque chose et se souvenir de quelque chose. La construction se rappeler de quelqu’un ou de quelque chose, familière devant un nom ( je ne me rappelle pas de son visage) est obligatoire avec un pronom personnel représentant un humain : vous ne vous rappelez pas de moi. C’est ce que nous dit le dictionnaire Larousse.
2) A la page 195, dernière ligne, on lit : tu leurs diras de me répondre ; le « s » de leurs est de trop.
3) A la page 208 on lit : il dû à la place il a dû ; l’erreur est peut être due à une faute d’impression.
4) Il y’a bien sûr quelques autres fautes que nous ne signalons pas et que le lecteur averti pourra déceler tout seul. Finalement à la page 297 nous lisons : Jarir le célèbre satiriste du Calife omeyade Al Hajjej…Or nous savons que ce dernier n’était pas Calife. Le calife était Abdelmalik Ibn Marwan.
En guise de conclusion, disons simplement que le jeu vaut la chandelle et le livre mérite amplement d’être lu, parce que on y apprend beaucoup de choses. Et même s’il ne s’agit que d’un roman, on y trouve une somme importante de données historiques que notre jeunesse gagne à savoir et à méditer.
Abdelkader Maalej