À vaincre par traîtrise, on triomphe sans gloire : l'Arithmétique à l’ARP, 16 > 97
Par Azza Filali - Si l’on considère les résultats du vote des députés, ayant eu lieu ce jeudi 30 Juillet, sur la motion de retrait de confiance à Rached Ghanouchi, les chiffres, pris à eux seuls, sont assez surprenants : le président du parlement est vainqueur par seize voix pour son maintien ; le parti adverse est perdant par quatre-vingt-dix-sept voix pour son éviction. En somme seize l’emportent sur quatre-vingt-dix-sept et l’arithmétique est priée de revoir sa copie. Mais les grands meneurs de cette élection ont été ceux qui se sont abstenus de voter (à savoir Ennahdha et el Karama) et ceux qui ne se sont pas présentés à l’assemblée pour cause de lâcheté ou d’Aid, ce qui donne un total de cent-quatre voix. Ainsi, pour gagner une élection à l’ARP, mieux vaut s’abstenir ou s’absenter.
Il est toutefois un chiffre qui mérite qu’on s’y attarde : dix-huit députés ont biffé les deux cases « oui » et « non », donnant des bulletins nuls. Ces dix-huit honorables élus comptent parmi eux, des individus ayant affirmé qu’ils allaient voter pour la destitution du président du parlement et qui, à la dernière minute, ayant bien pesé leurs intérêts, ou ayant reçu quelques dividendes convaincants ont viré de bord … Certaines mauvaises langues vont jusqu’à affirmer que ces élus ont alors voté la case « oui », de destitution, ont pris leur bulletin en photo, pour convaincre leur clan de leur bonne foi, puis ont discrètement ajouté une croix sur le « non », avant de glisser dans l’urne un bulletin aussi nul qu’eux.
Vous me direz : « peu importe les procédés, seul compte le résultat », en vérité ce n’est pas si simple et pour paraphraser un vers du « Cid », on pourrait dire : « à vaincre par traîtrise, on triomphe sans gloire. » L’arithmétique s’est rangée du côté des islamistes et de leurs acolytes ; la victoire ne l’a pas suivie. Cette victoire au goût amer de fin de règne, ressemble à s’y méprendre à une défaite à l’envers. Tous ces efforts, ces manigances, ces déclarations tonitruantes des dirigeants d’Ennahdha pour arracher seize petits oui et « influencer » par tous les moyens possibles les députés alliés (toujours incertains) et les indépendants (qui continuent à dépendre de l’argent)
Mais voyons séparément les deux parties : ces députés que nous avons élus sont bien au-dessous du niveau de la mer, en termes de maturité, responsabilité et morale. Retournant leur veste quand le vent tourne, se vendant au plus offrant, n’hésitant pas à frauder et trahir, ils sont indignes de leur fonction et de la confiance placée en eux par les Tunisiens. Rien ne justifie leur présence sous cette coupole qui a vu les grands moments de la Tunisie et la présence de ceux qui aimaient ce pays et ont contribué à le bâtir. Plus vite, ils dégageront les lieux, mieux cela vaudra pour tous, et là encore, l’urgence de remanier la loi électorale devient une priorité absolue.
Du côté des « gagnants » du jour, leur victoire arithmétique est nulle et non advenue, lorsqu’elle n’est pas doublée d’une victoire morale, basée sur des principes. Comment lever la tête lorsqu’on a si péniblement arraché son maintien au perchoir de l’ARP ? Comment prétendre encore à une autorité quelconque à l’égard de députés l’ayant publiquement désavoué ?
Quoiqu’on dise, l’exercice politique impose un niveau minimum de dignité ; tout n’est pas calcul, ou manigances. La victoire de Mr Ghanouchi, obtenue avec peine et par des chemins de traverse, nous paraît être le début d’une lente dégringolade, tant pour lui que pour les ténors du mouvement qui se sont rangés de son côté. Au bout d’une décennie de pouvoir, de malversations et d’enrichissement illicite, après avoir provoqué la faillite économique du pays, et obtenu l’effondrement de ses institutions, une fois ses pions placés dans tous les rouages de l’état, le mouvement Ennahdha a atteint son pic de nuisance. Que faire encore qui n’ait pas été fait ? Que détruire ou abîmer ce qui aurait encore la chance de tenir debout ?
On ne fait pas de la politique avec les chiffres, ou alors pas seulement. Il faut aux véritables hommes politiques un projet de société, une vision et une démarche. Le mouvement Ennahdha a largement démontré à la société Tunisienne que le projet qu’il défendait n’était pas adapté au pays et à ses habitants. Qui rêve encore de retrouver une « Oumma » islamique, gérée par une constitution émanant de la Chariaa, ou intégrée à un empire ottoman recomposé ? Voilà des utopies d’un autre temps.
Comme bien d’autres mouvements avant lui, le noyau créé par Hassan El Benna en 1928 est né, a grandi, a eu des adeptes mais n’a rien fait pour engager les pays musulmans sur une voie nouvelle, féconde et moderne. C’est un mouvement d’un autre temps. Il est donc légitime qu’il disparaisse comme ont disparu avant lui d’autres mouvements : monarchies, califats, communisme… Rien ne peut s’opposer à la marche de l’histoire et, pour les islamistes, l’histoire est derrière eux. Ce n’est donc pas une arithmétique de plus qui changera la donne!
Azza Filali
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