Mohamed-Dahmani Fathallah : un biotechnologue tunisien d'Oxford à Harvard
C’est dans le Kairouan de la fin des années 1950 que voit le jour Mohamed-Dahmani Fathallah dans une famille conservatrice mais ouverte où les six filles de la famille font des études, où le père théologien érudit, est féru d’histoire et de généalogie. Il veille sur le respect des traditions séculaires dans cette immense maison familiale en pleine médina, que se transmettent les Fathallah depuis 800 ans.
« Ne sois jamais 2ème ! » avait été l’exigence de son père dès son entrée à l’école. Il ne le sera jamais et ira de succès en succès dans ses études jusqu’au Baccalauréat en 1975. Med-Dahmani part alors en France et plus précisément à Toulouse, à l’Université Paul Sabatier où il enchaînera deux maîtrises en Biologie moléculaire et Immunologie, suivies de deux master, l’un en génétique moléculaire et l’autre en immunologie moléculaire et deux PhD, s’ouvrant ainsi sur les Universités du Monde, Oxford et Harvard notamment, sans oublier plus tard l’Institut Pasteur.
Ces pérégrinations académiques lui font constater que les Universités anglo-saxonnes modernes sont bâties sur le même modèle que les antiques Beït El Hikma du monde arabo-musulman, cosmopolites et réunissant dans un même lieu, Arts et Sciences, ce qui leur octroie une diversité féconde d’idées et de découvertes.
Une passion sans limite pour la biologie
La biologie aura été le fil conducteur de la vie de Med-Dahmani Fathallah, un vrai sacerdoce. Cet intérêt lui vient tout simplement de sa passion et de sa curiosité pour la vie et sa complexité aussi bien sur le plan anatomique que spirituel. Depuis plus de 25 ans, il consacre ainsi sa vie aux recherches et développement dans les domaines de la biologie [Biologie intégrative, biologie synthétique] et leurs applications au développement de produits biomédicaux. Vers la fin du millénaire écoulé, il développe un intérêt pour le transfert technologique en tant qu’entrepreneur puis consultant pour le compte d’entreprises allant des Etats unis et l’Europe pour s’étendre au pays du Golfe. Il n’oublie pas néanmoins, sur le tard nous confie t-il, d’enrichir sa formation dans le domaine en validant un MBA [biotech business] au Robert Kennedy School of business. C’est ainsi qu’il se forgea l’intime conviction qui deviendra comme il dit mon « drive »
« Les technologies et particulièrement les TIC et les Biotechnologies sont en train de changer radicalement tous les aspects de notre vie. Le développement et le transfert de ces technologies est un « Must Do » si on veut survivre la globalisation »
A l’origine c’est à l’Inserm [Institut Français de la Santé et de la Recherche Médicale] puis dans le laboratoire du prix Nobel 1972, Sir Rodney Porter, que Mohamed-Dahmani, tout en travaillant sur les théories de son illustre maître, affûtera ses premières armes de chercheur à l’Université d’Oxford. Mais ce dernier meurt subitement dans un accident de voiture l’année où le jeune tunisien soutient sa thèse de Doctorat en 1984. La mort de ce père spirituel l’affecte profondément. Son passage à Oxford fut aussi marquée par la chance qu’il a eue de côtoyer d’autres illustres figures scientifiques britanniques du XXème siècle nommément Fred Sanger, Ed Southern et surtout Sir Alec Jeffreys qui lui transmet en primeur [1984] le nouvel art du profilage ADN et des empreintes génétiques.
Le rêve Américain s’ouvre a lui [un rêve scientifique nous précisa t-il] quand l’Université de Harvard lui offre un poste de chercheur à la prestigieuse école de médecine au laboratoire du célèbre Fred Rosen. Med-Dahmani saisit cette opportunité et travailla comme un forcené pour se faire sa place au soleil. Il nous confie« Quand je pense aux deux premières années, je les qualifie de service militaire scientifique surtout à cause de l’intensité du challenge intellectuel et physique qu’il a fallu relever ». Si la chance sourit aux audacieux, elle récompense surtout le travail. Après quatre années, il accède grâce à ses réalisations scientifiques au rang d’officier de l’université d’Harvard et se voit confier des fonctions de scientifique senior au Massachussetts General Hospital, le fer de lance de la recherche biomédicale à l’université d’Harvard, mais surtout une référence mondiale en la matière...
Une décennie "laborieuse, passionnante et passionnée" à l'Institut Pasteur de Tunis
Nous sommes en 1993. Mohamed-Dahmani évolue à l’étranger depuis une vingtaine d’années. « La vie est faite de cycles, nous dira-t-il ». Les psychologues appellent cela le mitan de la vie, un moment de bilan et réflexion sur soi. Le moment était venu pour lui de rentrer au bercail. Il rejoint alors l’Institut Pasteur de Tunis pour fonder un groupe de Recherche & Développent en Génétique et Biotechnologie Moléculaire. La décennie qu’il passa a l’institut Pasteur fut laborieuse, passionnante et passionnée mais surtout prolifique.
Le groupe de recherche qu’il a fondé enchaina les succès qui se matérialise sous forme de plusieurs découvertes majeures et notamment le développement de produits innovants et de procédures nouvelles dans le domaine de la santé et les soins par les biotechnologies, ce qui lui vaut plusieurs distinctions internationales et plusieurs brevets d’invention Mais pour lui sa fierté, il la doit au fait que son groupe fut le premier à initier le profilage génétique et son application à la détermination de la paternité en Afrique et dans le monde arabe et surtout au fait que la Tunisie a été le premier pays dans ces régions à assimiler la dimension sociale de cette technologie, à la promouvoir et à l’intégrer dans sa législation par des textes de lois d’avant-garde. A ce propos il déclare :
J’ai eu la chance de faire partie de l’Institut à un moment ou le dynamisme était à son paroxysme et les ressources humaines et matérielles allouées par l’Etat à l’Institut étaient excellentes voir « Outstanding »
Il travailla aussi à financer plusieurs de ses programmes de recherches par des organismes internationaux, américains et européens grâce au réseau qu’il s’est constitué.
Mais la réussite qu’il considère personnellement comme la plus importante, c’est d’avoir pu partager ses valeurs et sa conception de la recherche & développement en biotechnologie moderne avec plusieurs jeunes chercheurs qu’il a accompagnés dans leurs thèses de doctorat [10] et masters [20] et de projets de fin d’études d’ingénieurs biotechnologues.
« Ces jeunes gens font partie de ma vie, c’est ma famille étendue, J’ai veillé autant que j’ai pu à ce qu’ils bénéficient de formations postdoctorale aux Etats Unis, si pour la plupart d’entre eux, ils ont été brillants certains ont dépassé mes prévisions les plus optimistes. Rien que pour cela, si tout était à refaire je referai de même ».
Il donnera ainsi dix ans de sa vie à la recherche en Tunisie, dix années où, lui qui a quitté si tôt la terre de ses ancêtres, aura eu la chance de se retrouver à côté de ses proches, dont les plus chers, ses deux parents, Hadj Othman et Mama Jnaina, auront disparu au début du nouveau millénaire.
Quand on est tourné vers le futur, le ciel est la seule limite, et le voilà reparti pour une nouvelle étape de la vie, une nouvelle aventure marquée par le nouveau challenge qu’il s’est fixé : Le transfert de technologie. Cette aventure le mènera Jeddah et Riyadh en Arabie Saoudite et aussi aux quatre coins du monde. Là, il contribue à fonder et à diriger le premier groupe arabe privé de biotechnologie médicale, un méga projet de plus d’une centaine de millions de dollars. Ce fut l’occasion pour lui de se distinguer comme un fin stratège et de pratiquer un transfert de technologie de haut niveau entre les Etats Unis et les pays du Golfe, de développer ainsi des « Joint Venture industrielles, des start-up, un fonds d’investissement spécialisé dans les biotechnologies, des parcs scientifiques et incubateurs d’entreprises » ainsi que tout les outils du transfert de technologie dans divers domaines des biotechnologies. A ce sujet, il nous dit :
C’est très fascinant de développer des stratégies de transfert de technologies et de les implémenter. On opère à la croisée des sphères scientifique, économique, juridique et politique. On se sent plus utile et on contribue d’autant plus effectivement quand on fait du transfert de technologie à partir de sources académique et surtout quand on reste près des universités et de les conseiller comment intégrer le transfert de technologies dans leur stratégies globales.
C’est certainement pour cette raison qu’il continue à enseigner en tant que professeur à l’Université du Roi Saoud et celle du roi Abdelaziz, et comme professeur honoraire à l’université de Karachi au Pakistan et celle de Sour à Oman. Pour continuer ses activités, Il a chisi comme point d'ancrage, Manama au Royaume de Bahreïn où il poursuit ses activités d’enseignement [Université du Golfe], de recherche et de transfert technologique dans le domaine des biotechnologies.
Un vrai citoyen du monde
Au cours de cette vie riche et passionnante, Med-Dahmani Fathallah n’oubliera jamais l’érudition de ses ancêtres, continuant à lire énormément, se passionnant pour la littérature et particulièrement pour Jabrane Khalil Jabrane, cet autre Arabe qui aura vécu comme lui à Boston. Pour se détendre, il joue toujours au golf [Un super exercice d’introversion et un moyen efficace de lutter contre le soi négatif commenta t-il]. Comme musique, il écoute Sarah Brightman et Faiza Ahmed [c’est une vraie lady, c’est la première artiste « performer » à chanter du Nizar Qabani nous dit-il] du Jazz [surtout Miles Davis et Stan Getz] et de l’opéra [les grands classiques]. Il écrit aussi beaucoup. Il avouera que d’avoir la chance d’intégrer des universités aussi prestigieuses qu’Oxford et Harvard ouvre des horizons insoupçonnables.
On ne se rend pas assez compte de l’aubaine que représente le fait de pouvoir accéder et échanger librement en dehors de toutes contraintes, avec une diversité de personnes extraordinaires, en bref de devenir un vrai citoyen du monde. Il ajoute :
« L’avenir du monde s’ébauche dans les « Think tank », On espère que la sagesse du politique fera bien le reste »
Un jour, probablement à la retraite si dieu le veut, Med-Dahmani partagera avec les autres, les détails et autres anecdotes de son vécu, ses réflexions personnelles. Ses écrits, il les garde encore pour lui.
Je ne suis pas un écrivain, comme la plupart de nous tous, mais la vie de chacun est un vrai trésor qu’on ne peut partager avec les autres qu’a travers l’écriture »
Un regret ? « Je me suis retourné un jour et j’ai vu que mes enfants étaient devenus grands, je ne les ai pas vus grandir ». Omar, qui entame au Canada des études de mathématiques financières et Aïcha qui passera son Bac cette année et se passionne déjà pour la para-pharmacie, ne lui en tiennent pas rigueur. Maman était là, sacrifiant en partie sa carrière de psychologue. D’ailleurs, ils sont si fiers de leur papa … Nous aussi …
Anissa Ben Hassine
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