Pourquoi la résolution 2532 du Conseil de Sécurité « initiée par la Tunisie » a contribué à un début d’une paix au Yémen et pas en Libye et en Syrie?
Par Taoufik Ayadi - L’appel d’Antonio Guterres secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU) lancé le 23 du mois de mars dernier et entériné par la résolution 2532 (2020) du Conseil de Sécurité (CS), relatif à un cessez-le-feu partout dans le monde pendant la pandémie de Covid-19, aa permis de jeter les bases d’une paix durable au Yémen pas en Libye et en Syrie. En effet, les parties au conflit au Yémen, épuisées par les combats, ont rapidement appuyé l’appel de Guterres. Ce facteur a facilité au mois d’avril, l’annonce par la coalition conduite par l’Arabie Saoudite au Yémen d’une trêve des hostilités de 2 semaines qu’elle a allongée par la suite.
La situation est complètement différente en Libye et en Syrie, aucune réactivité positive avec cette résolution n'a été constatée et la situation conflictuelle perdure alors que le virus Covid-19 continuede se propager.
La Tunisie, étant membre non-permanent du Conseil de Sécurité depuis le 1er janvier dernier, avait demandé (vers mi-mars 2020) officiellement au secrétaire général de l’ONU et au Conseil de Sécurité l’organisation d’une réunion urgente pour une action commune s'agissant de la lutte contre la pandémie Covid-19. Cette démarche a abouti plus tard le 1er juillet 2020 à l’adoption à l’unanimité de ladite résolution 2532 dont le texte a été co-rédigé et présenté par la représentation de la Tunisie et celle de la France, c’est ce qui place la Tunisie comme « initiatrice de la résolution ».
L’initiative de la Tunisie est en harmonie avec les principes qui ont guidé sa politique étrangère surtout depuis l’indépendance jusqu’à la révolution de 2011 : la primauté de l’intérêt du pays, la neutralité vis-à-vis des conflits, la non-ingérence dans les affaires des autres pays, la participation aux opérations de maintien de la paix, …etc
Dès lors des questions se posent : Quelles sont les principales étapes qui ont marqué la genèse de cette résolution ? Comment est arrivée la crise Yéménite à ce début d’une paix ? Pourquoi y a-il aucune réactivité favorable à une paix dans les cas de la crise en Libye et celle en Syrie n'a été enregistrée ?
1/ Les principales étapes de la genèse de la résolution 2532 (2020) ; une lenteur de passage de l’appel de Tunis au vote du Conseil de Sécurité
La Tunisie a accédé de façon officielle, depuis le 1er janvier 2020 à son statut de membre non-permanent du Conseil de Sécurité pour la période (2020-2021). Vers mi-mars 2020, le président Kais Saied adresse une lettre au secrétaire général de l’ONU, tout en informant le président du Conseil de Sécurité, l’appelant à l’organisation d’une réunion en urgence pour une action commune à l’échelle mondiale en vue de faire face à la pandémie Covid-19.
Le 23 mars 2020 le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres lance un appel en faveur d’un cessez-le-feu dans le monde vu le contexte de la pandémie Covid-19.
Le texte de la résolution préparé par la Tunisie et la France a fait l’objet de plusieurs négociations au sein du Conseil de Sécurité en raison des divergences entre la Chine et les USA. Ces derniers se sont opposés à l'inclusion dans le texte de toute référence à l’Organisation Mondiale de la Santé (OMI), qu’ils accusent de ne pas avoir réagi efficacement face à la pandémie Covid-19.
Le 1er juillet 2020 le Conseil de Sécurité des NU vote à l’unanimité une résolution (la résolution 2532 (2020)) pour un cessez-le-feu dans le monde pour mieux contrer la pandémie. Le texte a été rédigé et présenté conjointement par la représentation de la Tunisie et celle de la France et appelle « toutes les parties prenantes à des conflits armés à débuter immédiatement une pause humanitaire durable pendant au moins 90 jours consécutifs » afin de permettre la livraison d’aides pour lutter contre la pandémie Covid-19.
La résolution en question a ainsi mis plus de 3 mois, depuis la date de l’initiative de la Tunisie, pour voir le jour. Pendant ce temps-là le nombre des cas contaminés par le virus Covid-19 dans le monde est passé de près de 166 000 à plus de 11 millions. Cependant durant cette période les parties au conflit au Yémen ont franchi des étapes significatives vers la conclusion d’une paix durable au moins à moyen terme.
2/L’évolution de la crise Yéménite depuis l’appel de Tunis : rapidité et harmonie avec l’esprit de la résolution 2532 (2020)
La crise yéménite a commencé depuis 5 ans entre le gouvernement du Yémen reconnu à l’échelle internationale et soutenu par une alliance menée par l’Arabie saoudite, et les rebelles Houthis appuyés par l’Iran. A ce conflit est venu s’ajouter un deuxième entre le Gouvernement et les Séparatistes du Sud qui sont eux aussi contre les Houthis. Ces conflits totalisent des dizaines de milliers de morts, et ont entrainé la pire crise humanitaire que connait le monde actuellement.
Au mois de novembre 2019, un accord appelé « de Riadh » a été conclu et prévoit un partage du pouvoir dans le Sud du pays entre le Gouvernement et les Séparatistes. Les arrangements objet de cet accord n’ont pas été appliqués dans son sillage.
Les belligérants au sud du Yémen (particulièrement les Séparatistes contre les forces du Gouvernement) ont manifesté rapidement beaucoup d’intérêt à l’appel du secrétaire général de l’ONU du 23 mars 2020 en faveur d’un cessez-le-feu dans le monde pendant la pandémie Covid-19.
Le 9 avril 2020 a débuté le cessez-le-feu et une pause des hostilités de deux semaines décrétés de façon unilatérale par la coalition conduite au Yémen par l’Arabie Saoudite pour lutter contre les rebelles Houthis. Ryadh a déclaré à cette occasion qu’elle espère voir cette pause, justifiée par la nécessité de faire face à la pandémie Covid-19, aboutir à la fin de la crise du Yémen qui dure depuis 5 années.
Les Emirats arabes unis (EAU) qui font partie de la coalition et qui avait retiré ses troupes en avril 2019 a salué l’initiative saoudienne la qualifiant de mesure adéquate pour protéger les yéménites contre le virus Covid-19, tout en exhortant les Houthis d’être à la hauteur de la situation. Ces derniers, soutenus par l’Iran, n’ont pas réagi à la trêve de 2 semaines ci-dessus citée.
Vers la fin du mois d’avril la trêve de 2 semaines a été prolongée.
En juin 2020, le conseil de transition du Sud (des Séparatistes) accepte la reprise des négociations avec le gouvernement yéménite soutenu par les Saoudiens et à mettre fin aux combats dans les provinces de Socotra, de Shabwah et d’Abyan.
Vers la fin du mois de juin 2020, la coalition a déployé des observateurs pour superviser le cessez-le-feu arrangé entre les forces du gouvernement et les Séparatistes du Sud.
Ensuite les deux belligérants, le Gouvernement et le conseil des Séparatistes du Sud sont devenus d’accord pour l’application des arrangements objet de l’accord « de Riadh » et le partage du pouvoir. Si cet accord est scellé, la coalition se concentrerait sur la lutte contre les Houthis. Sauf si ces derniers manifestent une volonté de négocier une solution aux questions qui sous-tendent leur opposition au gouvernement Yéménite, chose qui n’est pas écartée par certains observateurs compte tenu de la propagation du virus Covid-19 et l’insécurité alimentaire dans le pays.
Ainsi tous les ingrédients sont réunis pour une paix durable au Yémen, mais il y a ce risque que la conjoncture actuelle est de courte durée. D’où la nécessité et l’obligation aux Yéménites de saisir l’occasion et d’enclencher un véritable processus de paix et une solution politique, autrement le pays pourrait basculer dans le chaos et le désespoir total que connait d’autre pays comme la Libye.
3/ Spécificités de la crise de la Libye et celle de la Syrie ; que des obstacles à la paix
Les crises en Libye et en Syrie se caractérisent par plusieurs spécificités qui rendent difficile la réalisation de progrès à court termes vers l’instauration d’une paix dans l’esprit de la résolution 2532 (2020) du Conseil de Sécurité, à l’instar de ce qui s’est passé au Yémen :
• La crise en Libye et celle en Syrie ont éclaté avec des manifestations de la population dans chaque pays en 2011 et se sont vite transformées en guerres par procuration complexes,
• Les initiatives de médiations n’ont pas abouti et ont toujours échoué,
• Les crises en Libye et en Syrie persistent depuis près de 10 ans d’où leurs complexités,
• La multiplicité des acteurs et des intervenants de l’extérieur et de l’intérieur qui ne semblent pas vouloir se mettre d’accord pour une solution de paix surtout dans le cas de la crise en Libye à cause de la divergence des intérêts. Ce facteur est beaucoup moins important dans le cas de la crise au Yémen.
D’après les analystes, les acteurs extérieurs ne manifesteraient pas une opposition dure vis-à-vis d’une trêve qui pourrait aboutir à un accord de paix durable au Yémen. Les positions des principaux acteurs se présentent comme suit :
• L’Iran, l’allié des rebelles Houthis, n’a aucune raison à s’opposer à un accord de paix durable au Yémen surtout dans le contexte actuel caractérisé par le danger que constitue le manque de moyens de lutte contre la pandémie Covid-19 et ses répercussions locales et en dehors des frontières du Yémen.
• Pour le reste des puissances susceptibles d’intérêts apparents ou non dans la crise au Yémen comme les USA, la Russie, la Chine, l’Inde et l’Union Européenne, le risque de voir l’une d’elles s’opposer à la conclusion d’une paix au Yémen est très faible.
En conclusion
Le conflit au Yémen a de fortes chances de trouver une solution de paix principalement à cause du nombre d’intervenants qui reste très faible par rapport à la crise en Libye et en Syrie, et la réactivité positive des belligérants vis-à-vis de la résolution 2532. L’occasion est courte dans le temps mais elle reste propice à la conclusion d’un accord politique durable et accepté par tous, si on agit vite. Cet accord est plus que jamais indispensable et urgent vu l’insécurité alimentaire aiguë, la multiplication des cas de Covid-19 et le manque de moyens sanitaires pour endiguer la pandémie au Yémen.
Les progrès enregistrés dans la crise au Yémen sont un véritable espoir pour mettre fin aux souffrances de la population. Des occasions pareilles ne se présentent pas toujours. En cas d’aboutissement d’une paix durable dans ce pays, elle servirait d’exemple pour d’autres pays comme la Libye et la Syrie.
Enfin concernant l’initiative de la Tunisie qui a contribué à la résolution 2532 (2020), c’est une action à saluer et à encourager, elle sera certainement considérée à sa juste valeur. Pour le moment elle a au moins contribué indirectement à un début d’une paix au Yémen en espérant que d’autres crises et conflits trouveront une issue comparable ou meilleure, particulièrement en Libye dont l’instabilité a des incidences négatives sur la situation sécuritaire et économique en Tunisie.
En tout cas, la Tunisie doit rester fidèle aux principes qui ont caractérisé sa politique étrangère depuis son indépendance jusqu’à la révolution de 2011
La Tunisie doit éviter les dérives et les prises de position en matière des relations internationales qui ne servent pas les intérêts du pays, comme celles qu’on a vu se répéter à maintes reprises depuis la révolution de 2011 en particulier dans la gestion du dossier de la crise en Syrie et celui de la crise en Libye.
Taoufik Ayadi
Consultant et formateur
Capitaine de vaisseau major (r)