Rentrée judiciaire et Covid 19: demain il sera trop tard
Par Dr. Mahmoud Anis Bettaieb
1. Les vacances judiciaires ont lieu chaque année en Tunisie entre le 15 juillet et le 15 septembre. Durant deux mois tous les tribunaux tunisiens fonctionnent au ralenti et l’écrasante majorité des audiences sont suspendues. Seul le référé et quelques audiences pénales tiennent lieux.
Chaque année, la justice prend des vacances au rythme estival. La justice aussi semble vouloir profiter de la plage, des soirées, des mariages et du rythme festif et joyeux de l’été.
Si par le passé, ce rythme pouvait être toléré, accepté et parfois compris. L’état économique dans lequel se trouve la Tunisie ainsi que la présence d’alternatives technologiques à cette « paralysie », ne permette aucune compréhension de ce phénomène.
2. Les vacances judiciaires de l’année 2020 sont plus que spéciales. L’année judiciaire n’a connu en effet que quelques mois de fonctionnement normal du fait du confinement général qu’a connu la Tunisie entre le 22 mars et le 04 mai. Et contrairement aux projections des experts le virus est encore parmi nous, plus fort, plus fringant. La deuxième vague (ou peut être la vraie première vague) risque fort de nous atteindre en pleine rentrée. Jamais les chiffres des contaminations n’avaient atteint de tels sommets. En plein pic (mars, avril) les chiffres des personnes atteintes n’avaient pas dépassé la cinquantaine de cas par jour. Mi août, ses chiffres atteignent la centaine par jour et le fameux R0, c'est-à-dire le nombre de personnes qu’une personne contamine, risque de faire envoler les chiffres.
3. Face à ses risques qu’avons-nous entrepris pour continuer à faire fonctionner le secteur de la justice. Quelles mesures ont-elles été prises pour assurer un fonctionnement normal et « safe » du service public de la justice.
4. A moins d’un mois de la rentrée judiciaire, la léthargie semble générale. Tous les intervenants dans le fonctionnement de la justice semblent vagués à leurs occupations estivales. Il faudrait juste rappeler que la justice c’est les magistrats et les greffiers, mais aussi les avocats, les huissiers de justice, les notaires, traducteurs, experts, les fonctionnaires de la police judiciaire, …
5. Dans quelques jours, nos tribunaux seront comme d’habitude pris d’assaut par les justiciables, les curieux, les professionnels. Leur architecture et l’exigüité des locaux risqueraient fort de ne pas permettre une distanciation sociale.
6. les risques sont nombreux, le fonctionnement de la justice tunisienne est encore très présentiel. Les contacts sont nombreux. Les avocats par exemple doivent se déplacer quotidiennement aux tribunaux, non pas pour des audiences dont le nombre est souvent disproportionné à la nécessité du dossier, mais souvent pour prendre connaissance du dossier et en prendre copie en faisant la queue et en photocopiant toutes les pages à la photocopie ultra bondée située dans ou en face du tribunal.
7. les contacts sont aussi nombreux avec les notaires et les huissiers de justice qui ne travaillent quasiment pas à distance et qu’il est très difficile de joindre par les moyens de communication modernes.
8. Les justiciables sont dans l’obligation de se déplacer au tribunal d’instance pour obtenir un certificat décès (حجة وفاة), aux audiences pénales pour assister car ils sont dans l’obligation de se présenter devant les juges, aux audiences de conciliation qui n’en sont pas de vraies conciliations…
9. Le risque est énorme, le contact est permanent et les alternatives ne semblent pas être la priorité. Et pourtant il est d’urgence de penser et d’agir dans ce sens. Je pourrai peut-être me permettre de dire que les avocats devaient être rappelés à l’ordre par leur conseil de l’ordre de respecter l’obligation non seulement déontologique mais aussi légale de joindre à leurs conclusions les pièces du dossier, permettant ainsi d’éviter un déplacement au tribunal et un embouteillage aux photocopies en plus d’un contact inutile avec le greffe.
Les tribunaux sous l’égide du ministère de la justice, devraient prévoir un accueil téléphonique de renseignement. Cela contribuera à avoir moins de déplacements inutiles au tribunal. Les magistrats peuvent aussi « réfactionner » les dispositions du code de procédure permettant la désignation d’un juge de la mise en état.
10. Toutes ces pistes de réflexions ne sont que quelques idées pour agir dans l’urgence, dans le courant terme. A moyen terme (le long terme ne devrait pas exister), une digitalisation complète de la justice est plus que nécessaire. A cela on peut ajouter l’introduction de certains modes alternatifs de règlement des différends et la consolidation de ceux existants.
11. Aux maux anciens de la justice tunisienne, nous ne pouvons pas rajouter d’autres.
Pour finir je citerai Alain qui disait que « Justice ne peut attendre. ». Demain, il sera encore plus tard qu’aujourd’hui.
Dr. Mahmoud Anis Bettaieb