Nabil Naoum : L’Eclipse et autres nouvelles, De l’importance des menus plaisirs
Nabil Naoum, le nouvelliste et romancier égyptien, est né au Caire en 1944. Après des études d’ingénieur, il quitta l’Egypte pour les Etats-Unis où il a exercé son métier pendant une dizaine d'années. Il réside aujourd’hui à Paris. Il est notamment l’auteur du recueil de nouvelles Le Voyage de Râ (1988) et des romans, Corps premier (1998), Le rêve de l'esclave (1994), Les rivages de l’amour (2003), Moi, Toutankhamon, reine d’Egypte, (2005) et Amir ((2013).Son nouvel ouvrage, L’Eclipse et autres nouvelles, édité par Actes Sud, est un recueil de onze nouvelles traduites de l’arabe dans un style limpide et agréable par Luc Barbulesco, son traducteur attitré.
Six de ces nouvelles se déroulent à Paris et possèdent une même particularité : celle de se dérouler à l’intérieur ou à proximité d’une église parisienne. Ainsi, pour ne citer que quelques exemples, dans la nouvelle ‘Le miracle de Saint-Sulpice,’ le narrateur habite rue Bonaparte, « situé à deux pas de l’église Saint-Sulpice. » (p.9) Dans ‘Les reliques de Saint-Médard’, l’histoire se déroule dans une « ancienne église qui se trouve au débouché de la rue Mouffetard, dans le Ve arrondissement. » (p.18) Dans ‘Saint-Jean-L’éclipse’ le récit commence (dans un café de la Place des Abbesses, à Montmartre (p.25).
Cette particularité peut paraître étrange pour un lecteur non averti, ignorant que Nabil Naoum est l’auteur du roman ‘Emir’, un récit-monologue où le narrateur livre, une à une, les brèches de sa mémoire, du temps où, à six ans, il était en cours élémentaire dans une école copte dans le quartier du Daher, au Caire.
Excepté cette particularité, Nabil Naoum ne semble pas dans cette série de nouvelles, virer de bord. Comme la plupart des romanciers égyptiens, il puise directement, pour la peinture de ses personnages, dans le monde qui l’entoure : une secrétaire aperçue dans l’immeuble d’en face, un voyageur dans le même compartiment ou encore un curé d’une église à proximité.
Pourtant le lecteur est souvent pris au dépourvu. En effet la trame de ces nouvelles n’est pas basée sur l’habituel procédé de l’engrenage systématique et impitoyable, comme dans celles de son concitoyen Naguib Mahfouz, par exemple,où le lecteur a droit en plus à un habile coup de pinceau laissant entrevoir la trajectoire finale. Les nouvelles de Nabil Naoum ne sont pas, non plus, une fresque sociale oùsouvent tout est y suggéré en filigrane : l’attitude traditionnelle dictée par les conventions sociales et religieuses de l’époque, le contrôle des coutumes sexuelles, ou encore, et surtout, la réalité socio-politique égyptienne sous le règne du roi Farouk.
Dans ce nouveau recueil Nabil Naoum est un ‘flâneur des deux rives’ à Paris, même si cinq courts textes de son livre se déroulent en Egypte. Toutes les nouvelles frappent par leur concision. Le récit débute toujours de la même manière. Presque rien n’est révélé au départ. L’auteur se cantonne dans une prudente obscurité, une attitude ambiguë qui s’accommode de toutes les interprétations possibles et qui, bien évidemment, ne manque pas de tenir le lecteur en haleine.
Il en est ainsi de la première nouvelle intitulée ‘Le Miracle de Saint-Sulpice’. Ce titre se veut un rappel discret de l’histoire de Saint-Sulpice qui était un archevêque du Moyen âge, crédité de nombreux miracles. Le récit de l’auteur, sa rencontre avec une femme à Paris, se développe lentement jusqu’à la fin, ponctué par de brèves citations d’un style rappelant les cantiques, écrites en italique, d’un être torturé par des remords :
« Je me disais en moi-même : les années se sont vite écoulées, et si mes fautes n’ont pas été pardonnées, jusqu’à quand se succéderont mes repentirs, cependant que s’accroît ma souffrance… (p.10).
Bien entendu, nous ne révèlerons rien à propos de ce miracleà nos fidèles lecteurs,mais une chose est sûre : ils seront bien surpris quand ils le sauront.
Le même style minimaliste est adopté, de bout en bout, jusqu’à la dernière nouvelle ‘parisienne’ intitulée ‘Saint Eustache ou la prière exaucée’. Bien que l’histoire porte sur le thème favori de l’auteur, presque toujours le même, à savoir, la rencontre furtive entre l’auteur et une femme, elle se déroule à l’intérieur de l’église, cette fois. En effet, le rapport n’est pas avec le nom de l’église, mais avec le Cantique des cantiques :
« Elle murmura à mon oreille un verset du Cantique des cantiques, où il y a cette poétique description de l’objet du désir. La Sulamite, c’était elle, me confia-t-elle… » (p.63)
Faut-il s’en étonner ? Dès lors qu’il s’agit des choses de la chair, Nabil Naoum ne se cantonne pas dans une prudente obscurité ou dans des attitudes qui s’accommodent de toutes les interprétations possibles. Comme il l’a fait dans son roman ‘Moi, Toutankhamon, reine d’Egypte’, mais sans le dénouement tragique, il transforme cette étrange quête liée à l’intime, en un témoignage d’un vécu souvent touchant et très compatissant. Le court texte ‘Le chat profondément endormi’,en est un exemple très frappant. Tant et si bien que toutes les nouvelles se lisent comme un suspense et, par conséquent, si les personnages y sont parfois décrits à l’emporte-pièce, sans nuance, si les aventures sentimentales se succèdent et se ressemblent, c’est parce que pour Nabil Naoum, les soucis et les menus plaisirs de la vie quotidienne sont apparemment aussi intéressants que les rapports humains qui les sous-tendent.
Nabil Naoum : L’Eclipse et autres nouvelles, traduites de l’arabe par Luc Barbulesco, Sindbad/Actes Sud.
Rafik Darragi