Boubaker Benkraiem : Les Rêves d’un Officier républicain
Par Boubaker Benkraiem - J’appartiens à la 1°Promotion d’officiers de la Tunisie indépendante, « la Promotion Bourguiba » et j’en suis fier. Comme mes camarades, j’ai été formé par la prestigieuse Ecole Spéciale Militaire Interarmes de St Cyr Coëtquidan (France). J’ai eu la chance d’avoir fait partie du groupe ayant suivi le cycle de la formation accélérée qui m’a permis de revenir rapidement au pays qui avait grandement besoin de cadres nécessaires à notre armée naissante, pour plusieurs raisons :
1- d’abord, en vue de faire face aux problèmes de sécurité intérieure, dus aux luttes intestines entre les deux clans du parti du Néo-Destour, celui de Bourguiba, président du Parti et celui de Ben Youssef, son secrétaire général,
2- ensuite, pour encadrer nos unités implantées à la frontière tuniso-algérienne, du fait de la guerre de libération nationale algérienne qui sévissait, depuis novembre 1954, ce qui m’a permis d’apprendre mon métier sur le terrain,
3- enfin, à cause de la présence des troupes françaises qui stationnaient encore en Tunisie.
Sans rentrer dans les détails de cette période exaltante, celle-ci ayant fait l’objet d’un livre que j’ai fait publier en 2012 « Naissance d’une Armée Nationale », je peux simplement dire que j’ai eu une carrière bien remplie et que malgré le fait que j’ai quitté l’armée prématurément en 1986, à l’âge de quarante-huit ans, pour mes idées, j’ai longtemps servi à la frontière lors de la guerre d’indépendance de l’Algérie, j’ai fait le Congo, j’ai commandé les Unités sahariennes et assumé tous les postes decommandement de l’Armée, exception faite de celui de Chef d’Etat-Major de l’Armée de Terre et j’ai connu mon pays dans tous ses coins et recoins. J’ai eu aussi la chance, grâce à Bourguiba qui, malgré le fait qu’il ne portait pas l’armée dans son cœur, n’a jamais lésiné sur la formation de ses officiers : en effet, toutes les Grandes Ecoles Militaires du monde occidental des différentes armes et de tous les niveaux (France- USA-Italie- Allemagne- Grande Bretagne) nous étaient ouvertes et la majorité des officiers des premières promotions les ont fréquentées. C’est grâce aux connaissances acquises ici et là, aux contacts enrichissants et aux échanges d’idées, d’usages et de procédés avec les stagiaires étrangers venus des quatre coins du monde et à nos diverses expériences que nous avons pu créer, en 1967, notre propre Académie Militaire qui n’a rien à envier aux prestigieuses Ecoles de St Cyr ( France), West Point( USA) et Sand Hurst (GB), et nous pouvons nous vanter du niveau exceptionnel de ses cadres, ces officiers que le peuple tunisien a pu apprécier lors de la Révolution du 14 janvier 2011. Le rôle déterminant des chefs de l’Armée, depuis le 17 décembre 2010, qui sont un pur produit de l’Académie Militaire Tunisienne, est la meilleure illustration du niveau de cette Grande Ecole. Durant ces moments historiques, ils ont fait preuve de leurs grandes qualités morales et professionnelles, de leur patriotisme, de leur sagesse et ont démontré qu’ilssont des Chefs compétents, efficaces, dignes et responsables.
Nous, leurs anciens, qui avons géré les précédentes opérations du maintien de l’ordre, et notamment la plus importante, par son intensité et par son champ d’action, celle qu’on a appelé communément *la révolte du pain*(fin décembre 1983-début janvier 1984), sommes très fiers d’eux par ce que nous connaissons, pour les avoir vécues, toutes les complexités de pareilles missions et les difficultés des options et des décisions à prendre dans ces situations très particulières.
Je remercie Dieu de m’avoir permis de vivre ces moments historiques : ceux de la Révolution du peuple tunisien et surtout de sa jeunesse qui m’ont permis… de rêver.
Notre Armée Nationale, que le peuple tunisien retrouve, dans la rue, pour la cinquième fois en cinquante-cinq ans (1967-78-80-84-et2010) est composée essentiellement des enfants du peuple. Ses cadres, officiers et sous-officiers, proviennent de toutes les couches sociales de la nation. C’est la raison pour laquelle nous nous sentons et nous nous sommes toujours sentis très proches de ce Grand peuple, le nôtre, ce merveilleux peuple tunisien. C’est pourquoi, face à lui, nous n’avons jamais eu et nous ne pourrons jamais avoir la gâchette facile car si nous avons choisi ce dur, ce difficile mais noble métier des armes, c’est surtout pour le défendre quand le pays est en danger, c’est surtout pour le protéger et pour le secourir lors des catastrophes naturelles. C’est cette Education, c’est cette Formation morale, c’est cette Culture que nous avons donnée à nos Hommes et que nous avons transmise et laissée en legs à nos Jeunes. Et c’est ce que j’ai constaté, trente ans après avoir quitté l’armée : je suis fier du comportement de nos soldats quand ils se sont trouvés, encore une fois et malgré eux, dans la rue dela mi- décembre 2010 jusqu’à fin janvier 2011. Cette nouvelle ère de Liberté et de Démocratie a permis, à tout le monde, de faire beaucoup de rêves. Le mien se rapporte à l’Armée, cette Institution à laquelle mes camarades et moi, nous avons tout donné sans jamais rien demander. Mon rêve se rapporte au Rôle et à la Place de l’Armée Tunisienne, Nationale et Républicaine.
Mon rêve, en premier lieu, est que tous les jeunes tunisiens effectuent leur devoir national, celui du service militaire. N’en seront exemptés que ceux qui ne répondent pas aux exigences de la visite médicale. Les soutiens de famille le feront par tranches et les étudiants l’effectueront, s’ils le demandent, à la fin de leurs études mais tous, ils doivent l’accomplir.
En plus de l’instruction militaire, notre armée est en mesure de donner, sérieusement, à la jeunesse tunisienne un complément de connaissances dans certains domaines très importants et qui sont, quelque peu négligés, au lycée et à la Faculté, tel que : l’éducation physique, la formation civique, morale et patriotique.
Que cette jeunesse, aux cheveux goménolés, et aux jeans rapiécés qualifiée hier de mollasse, d’insouciante et d’irresponsable, et qui nous a étonnés par sa maturité et son obstination nous surprenne encore !! que nos jeunes aient ce sursaut d’amour propre, d’orgueil et de patriotisme et viennent, nombreux, accomplir leur devoir national. L’armée verra alors ses effectifs doubler ou même tripler. Que fera-t-elle de ces sureffectifs ?
Sa mission peut être triple :- d’abord et en premier lieu, sa mission classique et traditionnelle de Défense du territoire;
• Ensuite, une mission de Développement des zones difficiles, arides et sahariennes ;
• Enfin, une mission d’encadrement, de formation professionnelle et de mise en valeur de la région du Dahar (la plaine se trouvant au versant est de la chaîne de montagne allant de Tataouine à Dhibat, d’une longueur de près de 110km et d’une profondeur de 10 à 30 km, cette région de bonne terre vierge pouvant être, grâce à la nappe d’eau saharienne, productrice, dix mois sur douze par année, de primeurs et de produits bio).
Je ne parlerai pas de la Mission Principale de Défense, mes camarades les Officiers d’active le feront mieux que moi. Par contre, il est facile d’imaginer une réflexion relative à la 2° et 3°mission, surtout pour ceux qui ont eu la chance d’avoir une petite expérience de ces régions en ayant servi dans les Unités Sahariennes. Je peux simplement affirmer qu’avec l’obligation à tous les jeunes d’accomplir la période du service national, le pays aura autant de demandeurs d’emplois en moins. D’autre part, l’armée permettra, à ceux qui n’ont pas d’emplois ou de spécialités, de recevoir une formation professionnelle telle que plombier, électricien, maçon, menuisier, conducteur, et peut-être même d’agriculteur, etc...
Les armées modernes comptent énormément, pour la défense de leur pays, sur les militaires de réserve et c’est la raison pour laquelle ces contingents sont régulièrement convoqués pour des périodes de mobilisation. Ils doivent alors participer aux exercices indispensables à leur maintien en condition d’une part, et d’autre part dans le but de leur intégration dans les manœuvres périodiques. Cette mesure est moins coûteuse que le maintien en permanence, d’une armée professionnelle, c’est-à-dire formée d’engagés, fort nombreuse en effectifs et nécessitant un très gros budget. Pour ce faire, l’armée doit former, avec chaque contingent des officiers et des sous-officiers de réserve destinés à l’encadrement en cas de mobilisation. Et c’est pourquoi, en attendant que cela rentre dans nos mœurs, des campagnes de sensibilisation permanentes et d’encouragement doivent être régulièrement menées pour inciter nos jeunes diplômés à accomplir leur devoir relatif au service militaire. C’est aussi et surtout le devoir de la Société civile et de tous les partis politiques de faire en sorte que les jeunes aient conscience de ce devoir national envers la patrie. Aussi, faut-il rappeler l’obligation de l’application de la Loi vis-à-vis des récalcitrants et il suffit de quelques exemples pour que la jeunesse respecte ce devoir et cette obligation. C’est aussi le meilleur moyen d’avoir un bilan complet sur la situation sanitaire de notre population.
Le jeune étudiant qui termine ses études universitaires aujourd’hui, ce cadre de demain, et ce gouvernant d’après-demain, gagnerait à faire un passage à l’Académie Militaire pour devenir un officier de réserve. La formation qu’il recevra dans cette prestigieuse Institution et qu’il ne trouvera nulle part ailleurs, lui fournira les ingrédients du leadership qui lui servira dans la vie civile et lui permettra d’avoir l’aisance et la confiance nécessaires à un futur responsable et peut-être à un chef politique.
Est-il besoin de rappeler aux Grands Commis de l’Etat, à nos Hommes Politiques, aux Hommes du Pouvoir d’aujourd’hui et de demain que le Colonel Commandant un régiment de 600 à 800 Hommes selon les armes est un PDG * all inclusive* : en effet, quand il reçoit ses jeunes conscrits, il les habille, il les loge, il les nourrit, il les instruit, il les équipe, il les soigne, il les paie et il les entraîne à faire… la guerre et à maintenir, au besoin, … l’ordre et la sécurité. Pour cela, il doit aussi savoir gérer et administrer. La formation qu’il a acquise à l’Académie Militaire est, au fur et à mesure de sa progression dans le grade et dans le commandement, améliorée, fignolée et complétée, par les différents stages qu’il effectue tout au long de sa carrière (cours de capitaine + cours d’Etat-Major + cours de l’Ecole Supérieure de Guerre + Institut de Défense), ce qui lui donne un cursus de Bac + 6 à + 9. Ainsi, il reçoit, outre la tactique, la stratégie et les spécificités de son arme, une formation de gestionnaire, d’administrateur, d’ingénieur ainsi que des connaissances sur les questions économiques et financières. Il a l’ouverture d’esprit lui permettant d’être polyvalent et certains d’entre eux ont eu l’occasion de le prouver.
Mon rêve est que nos Gouvernants ainsi que la classe politique d’aujourd’hui comme celle de demain exploitent cet exceptionnel potentiel que représente le corps des Officiers des trois Armées. La période post révolutionnaire immédiate, très délicate par ailleurs, nous a démontré que, ne l’ayant pas souhaité au début ou n’y ayant pas pensé, nous avons perdu des semaines précieuses pour voir désigner, parmi les officiers, des responsables à la tête de certaines régions, en l’occurrence des Gouverneurs, donnant, par la même, satisfaction à la population et mettant fin à cette pratique, jamais vue dans notre pays, celle du dégagement, par les citoyens, des « Gouverneurs » des régions, le symbole de l’Etat , bafouant ainsi leur prestige.
Durant cette Révolution du Peuple et de sa Jeunesse, notre Armée a démontré de la manière la plus éclatante qu’elle est:
1- garante de la Constitution et de la Stabilité du pays,
2- dévouée à la Nation et
3- fidèle au Régime Républicain.
Aussi, je pense que l’occasion est propice pour rompre avec le passé récent qui excluait l’Armée et surtout ses cadres de tout contact, participation ou coopération avec les programmes ou projets de la Société Civile et ses composantes en vue de les enrichir, par leur important potentiel. Le moment est tout indiqué pour que nos gouvernants et nos politiques réfutent définitivement toute réserve vis-à-vis de l’Armée qui a toujours été loyale et républicaine.
J’ai personnellement vécu trois opérations de maintien de l’ordre (ainsi que l’affaire de Gafsa de 1980), qu’a connues notre pays, celle de juin 1967, de janvier 1978, et celles de la *révolte du pain* de décembre 1983 - janvier 1984. A chaque fois, l’armée a fait son devoir. C’est pourquoi, je veux rassurer la classe politique et la société civile que notre Armée a démontré, à plusieurs reprises, qu’elle est une Armée authentiquement Nationale et Républicaine. Elle n’a jamais été tentée par le Pouvoir malgré les nombreuses fois qu’elle s’était trouvée dans la rue, prouvant ainsi et de la meilleure manière son respect indéfectible de la Constitution. Je souhaite seulement qu’elle trouve, grâce à cette nouvelle ère de Liberté et de Démocratie, la place qu’elle mérite, au sein de la société. Je formule le vœu qu’elle ne soit, comme au temps des deux régimes précédents, celui de Bourguiba comme celui de Ben Ali, mise à l’écart du paysage social et politique et que l’on ne souvienne d’elle que lors des périodes de crises ou de situations critiques.
Notre Armée est composée de citoyens honnêtes, sincères, et loyaux. Ses Officiers ont choisi ce métier par vocation et par amour pour la patrie pour laquelle ils sont disposés au sacrifice suprême, le cas échéant. C’est pourquoi, je pense que, dans l’intérêt suprême du pays, son Commandement doit être associé aux Grands Choix Stratégiques du Gouvernement pour que d’une part, il soit impliqué dans la planification et d’autre part, pour qu’il puisse déterminer vers où son axe d’effort doit être orienté.
Les militaires sont des citoyens à part entière et ils paient leurs impôts. Ils répondent toujours présents quand le pays court les dangers de toutes sortes. Aussi, devons-nous accorder à l’Armée la place qui doit être la sienne dans la société ? Compte tenu du niveau et de la valeur de ses cadres, il est recommandé, et comme cela se passe dans les nations développées, de l’impliquer dans les réflexions fondamentales relatives à l’avenir et au devenir de notre pays. Etant la première à faire face à tous les dangers, qu’ils soient d’origine interne ou externe, elle doit être partie prenante des Grandes Décisions car son avis peut être, dans certains cas, déterminant. Nous ne devons plus revivre ce qui s’est passé en 1984 ou 85 lorsqu’un pays voisin a proposé le financement du percement d’un canal reliant Chott el jerid à la mer, dans le but, paraît-il, de désenclaver la région et de lui permettre un meilleur développement. L’armée n’a été ni associée à l’étude de cette proposition ni informée de cette offre. Ayant eu écho de ce projet, elle s’est fermement opposée à cette idée qui tendait à couper le pays en deux. Les autorités politiques ont vite compris, grâce aux explications que nous avons fournies, les intentions sournoises de cette proposition, le canal pouvant devenir, en cas de besoin, et pour nos troupes, un obstacle difficilement franchissable.
La condition militaire n’est pas bien comprise par nos concitoyens, par nos Politiques et même par la plupart de nos Gouvernants d’hier et d’aujourd’hui parce que, parmi eux, très rares sont ceux qui l’ont vécue : en effet, le militaire, quelque-soit son grade est assujetti à plusieurs sacrifices:
1- Il est à la disposition de l’armée 24 heures sur 24, sept jours sur sept, et douze mois sur douze ;
2- Son statut le prive de certaines libertés dont la plus importante est le fait qu’il accepte de faire abstraction de ses droits politiques puisque, contrairement à beaucoup d’autres pays, il ne vote pas bien qu’il paie ses impôts ;
3- Il ne peut se marier qu’après que sa future épouse fasse l’objet d’une enquête de police ;
4- Il n’a pas de droit de grève et son Syndicat n’est autre que sa hiérarchie ;
5- Il ne peut quitter sa garnison qu’avec une permission écrite même après les heures de travail ou durant le week-end et les jours fériés.
Faut-il signaler que toutes ces restrictions ne sont pas matériellement compensées et il est temps d’y penser sérieusement.
A ceux qui veulent aligner la fonction militaire avec la fonction et l’administration publiques, je veux attirer leur attention sur le fait que nous ne pouvons jamais comparer l’incomparable car l’officier est le seul être au monde autorisé à mener ses semblables … à la mort et cela n’existe dans aucun autre corps de métier.
Dans le but de gonfler à bloc et rehausser le moral de leurs hommes, consolider et affermir leur détermination, toutes les armées du monde cherchent dans l’histoire militaire de leur pays ou des vétérans de leurs armées, des Actes de Hauts Faits d’armes et de bravoure destinés à en faire des symboles et des exemples, leur permettant ainsi de cultiver et créer des Traditions qu’ils transmettent aux jeunes parmi les cadres et la troupe. L’Histoire de notre armée, vieille de cinquante-cinq ans, en renferme plusieurs : je commencerai par le premier accrochage sérieux de notre très jeune armée, créée seulement depuis onze mois et qui eut lieu à El Meridj, tout près d’Ain Draham, le 31 mai 1957 avec l’armée française stationnée en Algérie qui poursuivait, en territoire tunisien, des citoyens algériens qui voulaient se réfugier en Tunisie et qui eut pour résultat la mort de neuf militaires et gardes nationaux et la blessure mortelle de Monsieur Khemais El Hajri, Secrétaire Général du ministère des Affaires Etrangères, qui se rendait ainsi que Monsieur Beji Caied Essebsi, alors Directeur Général de la Sûreté Nationale, inspecter l’état des réfugiés algériens arrivés depuis peu en Tunisie. Jamais ce haut fait d’armes n’a fait l’objet d’une communication, d’une cérémonie du souvenir, ou même d’un rappel, même au sein de l’armée, que ce soit à l’échelle nationale ou régionale. Beaucoup d’autres opérations ou combats dans lesquels nos Hommes se sont distingués ou y ont laissé leur vie étaient passés sous silence tels que Sakiet Sidi Youssef du 8 février 1958, la Bataille de Remada du 25 mai 1958, la guerre de Bizerte du 19 juillet 1961, et l’affaire de Gafsa du 27 janvier 1980. Faut-il se rappeler des Héros de la Bataille de Bizerte, les onze jeunes officiers dont seulement trois sont encore vivants (Lieutenants à l’époque, les Ferchichi, Ben Aissa, Boujellabia, Escheikh, Lajoued, Kheriji, Benzarti, Bouhelal, Abbes, Abderahmane, Naji qui ont sauvé l’Honneur de la Tunisie en interdisant à la toute puissante armée française de conquérir et d’occuper toute la ville de Bizerte. Ils avaient ainsi permis à feu Mongi Slim, notre représentant aux Nations Unies, de traiter d’égal à égal avec le représentant de la France, au Conseil de Sécurité. Ces officiers n’étaient même pas, régulièrement, invités, pour la plupart, aux festivités de Commémoration de la Fête de l’Evacuation le 15 octobre et de celle de l’Armée le 24 juin de chaque année. Peut-on expliquer les raisons de pareils omissions, oublis ou négligences ? en a-t-on essayé d’apprécier l’importance de l’effet démoralisant sur les jeunes cadres d’aujourd’hui, les Chefs de demain?
Je suis persuadé que la 2° République rompra avec ces pratiques, peu glorieuses, et que l’Armée Nationale, avec toutes ses composantes, retrouvera, au sein du paysage social et politique, et suite à la Révolution du 14 janvier, la place qui est la sienne.
J’estime qu’il est de notre devoir, nous les anciens, de soulever pareilles questions que nous estimons de la plus haute importance pour l’avenir et le devenir de notre pays car nos camarades, les officiers d’active, les responsables du Haut Commandement de l’Armée, tenus par une certaine obligation de réserve, et par modestie, discrétion ou pudeur, évitent d’en parler.
Mon rêve est que la Révolution du 14 Janvier, cette Révolution du Peuple et de sa Jeunesse, cette Révolution qui a été protégée et soutenue par son Armée, son Armée Nationale et Républicaine, cette nouvelle forme de Révolution sans Parti politique, sans Chef et sans Idéologie, cette Révolution *à la Tunisienne* qui a fait boule de neige, marque l’Histoire de l’Humanité, stigmatise toutes les formes de dictature, incarne la Liberté et la Démocratie et soit un exemple et un modèle.
A cette grande Institution qui nous a vus naître et que nous avons vue grandir, à cette Ecole « Exceptionnelle » de l’ordre et de la discipline, du sacrifice et du don de soi, du militantisme et du patriotisme, à notre Armée Nationale, qui est aussi muette qu’efficace, aussi discrète que présente, nous, les Officiers des premières Promotions retraités qui l’avons quittée depuis près de trente ans, nous lui adressons un message de considération, de gratitude, de fierté, et d’estime. A ses Chefs remarquables, nos vives félicitations pour l’excellent comportement de leurs Hommes et nos vifs remerciements pour avoir maintenu et développé les Grandes Valeurs que leur ont léguées leurs anciens «Dévouement à la Patrie & Fidélité au Régime Républicain».
Cependant, faut-il rappeler , avec fierté, que notre pays, à l’histoire trois fois millénaire, a, malgré ses moyens très limités mais grâce à la clairvoyance, à la lucidité, à la perspicacité, à la sagesse, à la sagacité, au flair du Leader qui l’a gouverné durant les trois décennies post indépendance et malgré certaines graves erreurs commises, acquis une place très enviable dans le concert des nations et a été, pendant très longtemps, l’exemple et le modèle de nombreux paysarabes et surtout de pays africains.Il s’agit bien sûr du Président Habib Bourguiba, l’immortel et l’inoubliable parmi les humains. Je tiens à mentionner cela parce que notre pays qui a fait une révolution pour améliorer les conditions de vie de la population,pour permettre à nos concitoyens de vivre mieux, et à notre jeunesse, diplômée ou non, qui ne voit aucune perspective quant à son avenir puisque tous les horizons lui semblent fermés, de ne pas perdre espoir en prenant le risque d’émigrer clandestinement avec le péril de sombrer, malencontreusement, au fond de la mer Méditerranée et de perdre la vie. Cette situation malheureuse et pitoyable me fend le cœur et me rend très triste parce que d’une part, c’est le désespoir qui pousse ces jeunes à risquer leur vie et d’autre part, c’est la preuve irréfutable que la génération, actuellement, aux commandes des affaires n’a pas, malheureusement, réussi puisque les jeunes ne voient , encore et durant la dernière décennie, aucune lueur d’espoiret notre pays, l’héritière de Kairouan et de Carthage, ne mérite pas du tout cela.Je pense que si notre élite, aveuglée et intéressée, depuis 2011 et essentiellement, par l’arrivée au pouvoir, voudrait mettre de côté son égoïsme, son égocentrisme, son indifférence et sa vanité, ellepourrait et elle peut encore trouver la solution à tous ces problèmes d’emploi comme ce fut le cas, en 2014, lorsque le quartette a pris les choses en mains et remis toutes les composantes nationales sur le droit chemin, ce qui a permis à notre pays sa consécration prestigieuse au Prix Nobel de la paix en 2015. De même, il n’est pas permis de croiser les bras et de laisser-faire et laisser-aller lorsque certains jeunes, mécontents ou insatisfaits, bloquent les routes, empêchent les gens de travailler, ferment les vannes, et posent leurs conditions pour lever ces sit-in. Cela est inadmissible et inacceptable car, autrement, l’Etat perd de son autorité et de son prestige. On ne doit, en aucune manière, accepter qu’on fasse plier l’échine à l’Etat. L’intérêt national primant sur l’intérêt régional et encore plus sur l’intérêt personnel, tous les moyens doivent être mis en œuvre pour que le Pouvoir de l’Etat soit respecté sans hésitation ni murmure. Si des citoyens croient que l’Etat n’a pas tenu ses engagements, ils peuvent s’adresser à la justice qui est la seule habilitée à régler leurs problèmes mais ils ne doivent, en aucune manière, entraver la bonne marche des services. Ce qui se passe, actuellement à El Kamour, est une honte pour tout le monde dont la jeunesse qui, en fermant la vanne, gêne et embarrasse le pays et le gouvernement et donne, au monde entier, la plus mauvaise image sur notre pays et tout cela sans aucune garantie quant à la satisfaction de ses demandes.
Ces élucubrations couvrent une période de soixante ans, un éclair dans l’Histoire d’un pays mais une longue durée dans la vie d’un être humain : de l’épopée bourguibienne qui permit à notre pays d’être, aux moindres frais, indépendant, à la période de grandeur de Bourguiba qui, malgré les erreurs politiques commises, marquera l’Histoire de notre pays : il fut un véritable leader charismatique qui a été le Fondateur de l’Etat tunisien moderne avec la promulgation du Code du statut personnel ( unique au monde musulman), l’obligation de l’enseignement pour les garçons comme pour les filles et sa gratuité pour tous, à la décadence du vieux*Lion* dans les années 1980, due à l’âge et à la maladie. Cette période a été suivie et marquée par les folles espérances nées avec la Déclaration du 7 novembre 1987 qui se sont, aussitôt,révélées fausses et trompeuses, par le double langage de Ben Ali à partir de 1992, par sa dictature totalitaire depuis 1999 et par sa perte depuis son mariage avec Leila Trabelsi jusqu’à sa fuite honteuse du 14 janvier 2011 provoquée par la Révolution du Peuple et de sa Jeunesse.
Avec l’immense espoir que la Tunisie Eternelle ne baisse pas les bras et grâce à ses femmes et ses hommes remarquables et courageux, elle se relève, très rapidement, et reprend la place qui est la sienne parmi les Nations en développement et continue, comme elle l’a toujours fait, de marquer l’Histoire.
Que Dieu veille et protège notre pays qui mérite mieux et plus.
Colonel(r) Boubaker Benkraiem
Ancien Sous-chef d’Etat- Major de l’Armée de Terre
Ancien Gouverneur