Hamadi Agrebi: Le Huit de cœur...
Par Habib Ben Salha - Heureux qui, comme le huit de cœur, joue au passeur de l’eau de source. Les angles et les rondeurs s’offrent au charme de la course. Le juste milieu, l’équilibre, la balance du mouvement, c’est l’aire qu’il aime le mieux au monde. Entre la ligne du centre et les vingt ou trente mètres, c’est son univers, sa mer et ses vagues, sa terre et sa pâture, son ciel et ses plaines. Rien d’autre que le point de départ d’une belle attaque (rassurez-vous, elle n’estni véhémente ni sauvage, mais douce et généreuse). Une seule touche suffit pour transformer la balle en ballet, la boue en diamant, le tir en flamme, comme si le temps et l’espace avaient choisi de se rencontrer.
Le huit, on ne l’a pas choisi pour lui. Il est né doublement émouvant, il ne l’est pas devenu. Parce qu’il est tout à fait lui-même, souriant, généreux si secret, si doué, qu’aucun adversaire ne pouvait deviner ses raccourcis, son plan d’action, ses sorties. Comme une hirondelle libre, noire et blanche, accrochée à sa surface, fidèle, discrète, tacticienne, agile qui semble tout inventer en quelques secondes. Jamais le pied marin n’a troublé la musique despieds. Quand le huit glisse entre les colonnes, traverse le haut des murs, avance pas à pas, il remplit le matchde clarté.
Souvenez-vous bien : ses feintes qui mettent le stade en fête, c’est son exploit. Le voilà. Sa technique. La voici. Il joue souriant, toujours digne, toujours imprévu. Le huit ne fait pas le guet, ne bouscule jamais le six ou le sept et même le neuf ; il ne marche pas sur les pieds, comprend les maladresses des arbitres, admire le courage des juges de touche, courant après un départ précipité, signalant un geste brut ou une phrase hors-sujet. Tout peut s’effacer à n’importe quel moment. Le but n’est pas le but pour lui-même, c’est de jouer et de convaincre, de rayonner et de vaincre, de se placer et d’attendre. Tout cela, c’est lui, l’artisan des derbys. C'est comme d’être au-dessus des truquages, au-dessus des marquages (on ne bloque jamais un aigle), du centre vers la cage et de la cage au centre, par-dessus le jeu fermé ou le score nul.
-Hamadi ! Hamadi !
-Il a dit et redit oui de la tête, oui avec les jambes, en conjuguant les modes et les aspects, jusqu’à ce qu’apparaissele sourire beau sourire. C'est son style : une école de modestie, une démarche,un esprit. C'est le noir et le blanc plus les couleurs du pays. Hamadi, aujourd'hui, le repos de l’homme commence, l’œuvre comme une touffe de thym, comme un papillon doué flotte dans les esprits et tissela même constance. Alors on neva pas dire rideau, on dira plutôt : Adieu, mille et une fois merci.
Habib Ben Salha