Samir Trabelsi: Face aux agences de notation, une mal-gouvernance «blasée» !
Par Samir Trabelsi - Le 7 octobre, l’Agence de notation Moody’s annonce qu’elle confirme une cote B2 (grade …), en dégradant les perspectives de stables à négatives alors que la Tunisie improvise et n’a pas encore vulgarisé une stratégie de gestion pour Covid-19, pandémie qui ne cesse de paralyser l’économie mondiale. Cette annonce arrive 6 semaines après l’investiture du gouvernement Mechichi, 10e gouvernement depuis 2011. Comment expliquer les dégradations successives de la cote de crédits de la Tunisie post-2011? Le pays approche-t-il du défaut de paiement? De tous les chefs de gouvernement de l’après 2011, quel est celuiqui a le plus érodé la cote de crédit ?
L’inexorable décote et la descente aux enfers!
Une dizaine de gouvernements et plus 400 ministres ont gouverné la Tunisie post-2011. Tous ont gouverné pour régner, tant pis pour les équilibres économiques et l’endettement. Des erreurs de gouvernance qui ont amené les trois plus importantes agences de notation à dégrader la cote de crédit de la Tunisie… et de façon continue!
Le tableau précédent montre les décotes imposées à la Tunisie par Fitch, Moody’s, Standard an Poor’s. Chaque décote génère son lot de risques pour les prêteurs… ce qui se traduit par des hausses exponentielles des taux d’intérêt, pour une dette qui monte de manière explosive : passant de 39% du PIB en 2010 à 85% du PIB aujourd’hui.
Face à ces dégradations successives de la note souveraine de la Tunisie, les gouvernements ayant géré le pays ont regardé ailleurs! Ils n’ont rien fait de concret pour restaurer la confiance des préteurs et bailleurs de fonds internationaux.
Bien au contraire, ils ont démultiplié les erreurs de gouvernance qui ne peuvent qu’amocher encore plus la solvabilité et la crédibilité économique du pays.
Une indifférence? Ou simple incapacité à décortiquer le message envoyé par ces Agences américaines, très influentes sur les marchés internationaux. Les agences de notation Moody’s, Fitch et S&P ont leur modèle de calcul et leurs grilles de calcul. Elles ont aussi leur éthique et charte de valeurs qui réduisent les marges d’erreur et les accointances politiques.
Aucun des chefs de gouvernements n’a pris des positions engageantes pour agir sur les causes engendrant ces décotes, aucun n’a été capable de convaincre en menant des réformes structurantes et porteuses de confiance pour les bailleurs de fonds.
Critères pour jauger
Sept critères majeurs déterminent la note souveraine d’un pays : (1) le produit intérieur brut (PIB) par habitant (2) la stabilité politique et institutionnelle (3) le niveau d’endettement (4) le respect par l’État de ses obligations financières au cours des années passées et (5) le taux d’inflation (peu important). Deux critères supplémentaires sont pris en compte par les agences lorsqu’elles ont à noter les pays émergents et en développement comme la Tunisie: (6) les réserves de change et (7) les envois de fonds effectués par les travailleurs immigrés vers leur pays d’origine.
Le PIB par habitant est très fortement corrélé à la notation souveraine. Les agences de notation considèrent qu’une population riche a une plus grande capacité à épargner et peut donc être plus facilement mise à contribution par l’État pour le remboursement de la dette publique. Force est de constater qu’avec les politiques sociales et fiscales des différents gouvernements, le PIB par habitant ne cesse de se détériorer. La stabilité politique et institutionnelleest également examinée de près. Fitch et Moody’s font explicitement référence dans leurs méthodologies aux indicateurs de gouvernance de la Banque mondiale.
Depuis la révolution et comme le montre la figure ci-dessous relativement à l’indicateur de gouvernance pour la Tunisie (Worldwide GovernanceIndicators), l’efficacité de la qualité des institutions publiques (governmenteffectiveness), le respect des normes juridiques et la préservation de l’état de droit (rule of law), enfin la stabilité politique (politicalstability) sont en chute continue, en dépit des discours et communications tenus par les chefs de gouvernements qui ont défilé au parlement tunisien et qui ont promis d’améliorer l’efficacité des institutions publiques , la préservation de l’État de droit, et le travail en harmonie pour une stabilité politique. Les courbes illustrant les tendances, ci-dessous présentées, montre que ces chefs de gouvernements ont trahi leur promesse, préférant le cheap talk aux résultats pratico-pratiques.
Force est de constater que quelle que soit la notation, dans la quasi-majorité des cas, la perspective était négative. En Tunisie post-2011, on est plutôt en présence d’une mal-gouvernance endémique qui s’est manifestée d’abord par l’instabilité politique, principalement due à une érosion de la confiance liant d’un côté les élus du pouvoir législatif avec les deux chefs du pouvoir exécutif, et de l’autre, entre ces deux pouvoirs avec leur base électorale et de manière générale avec les citoyens…et les régions éloignées. 10 gouvernements, avec 308 ministres, 108 secrétaires d’État, 10 remaniements ministériels ont bénéficié d’un vote de confiance, avant de subir un vote de défiance…et être destitués en l’espace de quelques mois. Le carrousel politique a fonctionné à fond la caisse! Il est propulsé par la cinétique de la défiance et du déficit de confiance.
La Tunisie subit de plein fouet, les effets néfastes de l’instabilité gouvernementale, des nominations basées sur des critères de sélections opaques, et sans stratégie claire chiffres à l’appui pour que la Tunisie sorte de son marasme économique. Les indicateurs de gouvernance de la banque mondiale risquent de continuer dans cette tendance négative.
Une démocratie à crédit, une démocratie au rabais!
Le niveau d’endettement public est d’une importance capitale. Les agences de notation accordent plus d’attention à la soutenabilité de la dette publique qu’a son montant global. C’est dans ce sens que les agences de notation tiennent en compte du ratio (dette publique/PIB) et du ratio (dette publique/recettes budgétaires).
Avec un taux de croissance autour de zéro, une pression fiscale de l’ordre de 35% qui reflète un système fiscal inefficace et inéquitable, et un taux de chômage qui ne cesse de s’élever, la capacité de la Tunisie à lever l’impôt est très limitée. Le respect par l’État de ses obligations financières au cours des 20 années précédentes (4) est un autre indicateur précieux, qui permet d’établir la réputation financière d’un pays. Étant donné l’importance de ce facteur, il est décevant d’entendre une partie de l’élite tunisienne plaider pour le rééchelonnement de la dette extérieure de la Tunisie.
Le taux d’inflation est un facteur relativement peu important et qui a perdu sa pertinence au cours depuis décennie 2000, pour donner suite aux politiques désinflationnistes qui ont été menées dans de nombreux pays émergents.
Deux critères supplémentaires sont pris en compte par les agences lorsqu’elles ont à noter les pays émergents et en développement : les réserves de change (générées par le Tourisme et les exportations)et les envois de fonds effectués par les travailleurs immigrés vers leur pays d’origine. Comme la Tunisie affronte COVID19, ces deux indicateurs ont connu une baisse drastique.
La Tunisie doit renverser la vapeur et se ressaisir avant qu’il ne soit trop tard.
Selon les notations actuelles de Fitch et de Moody’s, la Tunisie doit payer sa dette internationale avec des taux dépassant les 8% (4 fois plus élevés que pour le Maroc). Pour un milliard de $US empruntés, la Tunisie doit rembourser en 9 ans deux milliards $US. En 2010, et avec des cotes de crédit de BBB, le même milliard de $ US prêtés à la Tunisie n’aurait coûté que 195 millions $US en intérêt cumulé (2% d’intérêt sur 9 ans) et pas un milliard comme c’est le cas avec une cote de B.
La malgouvernance est illustrée par une addiction à la dette et à une administration pléthorique et inefficace. La dette devient toxique quand elle sert à payer des salaires… et des consommations ostentatoires et improductives.
Fitcth et Moody’s sont aux aguets et la mal-gouvernance actuelle doit se corriger pour aller vers une gouvernance responsable, reposesur une évaluation objective des politiques sociaux économiques entreprises depuis la révolution, et axée sur les résultats et favorable à la performance économique sur tous les plans.
Quand la Tunisie renoue avec la stabilité, opte de façon conséquente pour une stratégie de rupture avec la mal-gouvernance, et restaure la confiance, nous pouvons espérer voir naitre un rehaussement de la note souveraine de la Tunisie.
La malgouvernance socio-économique a un coût économique et les agences de notation contribuent à le visibiliser pour les gouvernements, les élites et les médias non-initiés et en quête du sensationnel médiatique.
Samir Trabelsi