Nafissatou N’diaye Diouf - Le prix Nobel attribué au Programme alimentaire mondial est un moment décisif de notre Histoire
Voir David Beasley, dans un tweet récent, assis par terre dans le bureau du Programme alimentaire mondial (PAM) au Niger, entouré de membres du personnel de l’organisation et célébrant un prix Nobel de la paix bien mérité, a réveillé en moi des souvenirs. C’était en 2005. J’étais en mission au Niger pour l’agence Associated Press. Je couvrais une crise alimentaire aiguë dans ce vaste pays sahélien. La rencontre avec une petite fille m’a alors changée pour la vie : Nassiba Ali, âgée de vingt mois, ne pesait que 5,4 kilos. Je lui ai fait des « coucou », lui ai parlé, chanté pour elle… Cependant, ces attentions ne suscitaient aucune réaction de sa part. Je ne savais pas que ses yeux se voilaient la nuit, l’un des symptômes de sa malnutrition.
Cette mission, initialement prévue pour une semaine, s’est étirée pendant un mois entier et m’a conduite à Zinder, Maradi, Tawa et Agadez, « la porte du Sahara ». J’ai retrouvé Nassiba et sa grand-mère dans un centre d’alimentation situé à Maradi, à 540 kilomètres de Niamey, la capitale du Niger. Nassiba a eu de la chance d’arriver jusqu’au centre, portée sur le dos de sa grand-mère et après des heures de marche. L’enfant est arrivée sur place à moitié morte. Cette mission au Niger a été, pour moi, particulièrement éprouvante et chargée d’émotion, mais j’ai pu constater, sur le terrain, le remarquable travail effectué par des centaines d’êtres exceptionnels, dévoués et désintéressés, en première ligne dans le combat contre la faim. Oui, le prix Nobel de la paix 2020, attribué au PAM, est pleinement justifié ! Car il porte témoignage de l’admirable mission des humanitaires, qui se dévouent tous les jours pour aider à vaincre la faim dans le monde, souvent dans des situations d’urgence.
Aujourd’hui encore, 690 millions de personnes vont se coucher le ventre creux. Une personne sur neuf dans le monde n’a toujours pas assez à manger ! Oui, le Nobel attribué au PAM est un moment décisif de l’Histoire ! ll a hissé la question cruciale de la faim au sommet des préoccupations mondiales, déclenchant et exprimant ainsi un sens de l’urgence renouvelé. Oui, c’est un moment décisif pour l’institution ! Elle continue à améliorer la marche vers l’élimination de la faim dans le monde, sous l’impulsion de son directeur exécutif.
Le prix Nobel de la paix 2020 a donné un nouvel élan au rassemblement des énergies pour lutter contre la faim et à l’intensification des efforts pour mobiliser des fonds dont on a désespérément besoin.
Bien que huit milliards de dollars aient été recueillis en 2019, 4,1 milliards de dollars sont encore nécessaires pour combler le déficit de financement. La vie de millions d’êtres humains au bord de la famine est en jeu.
Le comité Nobel norvégien a décrit l’organisation humanitaire comme « une force motrice des efforts de prévention face à l’utilisation de la faim comme arme de guerre et de conflit ».
Tout en saluant le mérite du PAM, je peux dire aussi que ce prix est un fait marquant dans l’histoire du multilatéralisme et dans notre détermination collective à sauver des vies, à changer des existences et à améliorer les choses.
D’autres institutions multilatérales tout aussi dévouées, telles que la Banque africaine de développement, la Banque mondiale, la Banque asiatique de développement, pour ne citer que quelques-unes d’entre elles, méritent également notre considération. Car ces institutions fournissent un soutien vital à des millions d’êtres humains dans le monde entier, souvent dans des situations extrêmement tendues.
À la Banque, nous avons joué notre rôle, depuis le déclenchement de la crise, en fournissant une aide massive à nos pays membres régionaux à travers un fonds d’intervention de dix milliards de dollars destiné à la lutte contre le Covid-19. Les fonds distribués ont contribué à apporter des secours d’urgence et à renforcer nos économies face à une pandémie sans précédent.
Lorsque le virus a commencé à sévir, David Beasley a mis en garde contre une famine qui pourrait atteindre des « proportions bibliques ». La stratégie de la Banque, « Nourrir l’Afrique », est alignée sur les objectifs du PAM, dont le but ultime est de mettre un terme à la faim dans le monde. En 2019, les approbations accordées en vertu de la priorité « Nourrir l’Afrique » ont atteint 884,7 millions d’UA, ce qui a changé la vie de plus de vingt millions de personnes, dont 9,6 millions de femmes.
Dans ma mémoire de femme africaine, les souvenirs d’une épouse, les scènes d’une cabane vide recouverte de chaume dans laquelle les villageois entreposent du grain, les scènes de feuilles d’acacia bouillies pour en faire une pâte épaisse, donnée à manger le soir aux enfants pour les inciter à trouver le sommeil, sont encore vifs.
Quinze ans après ma rencontre avec la petite Nassiba, le monde est toujours soumis à une grande insécurité alimentaire. Pourtant, nous avons toutes les raisons d’être confiants. Non pas que les défis sont moins nombreux, non pas que nous avons des ressources à disposition, mais simplement parce que nous sentons en nous une motivation renouvelée à vaincre la faim. Comme le disait Nelson Mandela, « en vous préparant à prendre la route, rappelez-vous qu’il faudra célébrer les étapes qui auront été franchies. » Le prix Nobel de la paix 2020 est une étape importante sur cette route. Une occasion de célébrer alors que nous nous préparons aux défis à venir et à de nouveaux succès !
Traduit de l’anglais
Nafissatou N’diaye Diouf
Directrice par intérim de la communication et des relations extérieures auprès du Groupe de la Banque africaine de développement. Ancienne journaliste d’Associated Press pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, elle a couvert plusieurs conflits et situations d’urgence dont la crise alimentaire aiguë au Niger en 2005.