Hassen Zargouni: Tunisie otage des années 20 du siècle dernier
Par Hassen Zargouni - D’abord il y a l’affrontement de deux projets de sociétés antagonistes, l’un né en 1920 à Tunis, et renouvelé en 1934 à Ksar Hellal : le doustourisme. Il se caractérise par une vision nationaliste, patriotique, réformatrice et progressiste de la chose publique, de l’Etat tunisien, de son organisation ainsi que celle de la société. De l’autre, un mouvement né à Ismailia en Égypte en 1928, avec une vision fondée sur la référence religieuse, nostalgique des temps anciens, moralisatrice et s’octroyant le droit à l’usage de la violence, aux fins d’atteindre le rêve d’un califat perdu en 1923 avec la fin de l’empire ottoman.
Conséquence actuelle, le Parti Destourien Libre et Ennahdha sont vivaces, constituent les deux forces politiques les plus organisées du pays et les plus influentes sur la scène partisane tunisienne. Elles ont une capacité de mobilisation de leurs sympathisants assez conséquentes et des réseaux très diffus dans tout le pays et à tous les niveaux.
A côté de ces deux forces politiques en présence on compte le syndicat des travailleurs l’UGTT, qui a gardé intact sa capacité de mobiliser ses troupes sur le plan local, régional, national, sectoriel et par corps de métiers. L’UGTT est le digne descendant de la Mutuelle économique tunisienne constituée par Mohamed Ali Hammi en 1924 qui a permis la fondation de la Confédération générale des travailleurs tunisiens dont le but était de fédérer l'ensemble des syndicats tunisiens qui commençaient à émerger dans le pays dans les années 20. Le nombre pléthorique de fonctionnaires, très syndiqués, et l’émergence de fédérations syndicales bien organisées dans le secteur privé, font qu’aujourd’hui l’UGTT demeure un acteur fondamental sur l’échiquier politique, disposant d’une forte capacité de mobilisation de ses troupes à la demande, notamment dans le secteur de l’enseignement public.
Avec ces trois forces que sont le PDL, Ennahdha et l’UGTT qui puisent leurs sources dans les années 20 du siècle dernier, on note que la rue tunisienne peut être mobilisée et instrumentalisée politiquement par les clubs de football et notamment ceux qui sont nés dans les années 20. L’Espérance sportive de Tunisie est née en 1919, le Club Africain est né en 1920, l’Etoile sportive du Sahel est né en 1925 et le Club sportif sfaxien est né en 1928, le Club Athlétique de Bizerte est fondé en 1928, pour ne citer que ceux-là. Ils ont une force de mobilisation assez conséquente dont les ressorts pourraient être l’absence d’alternatives pour des jeunes en quête de sens, et qui n’ont que le vide ! Un vide qui mène à l’exacerbation d’un « régionalisme » abêtissant. Dès lors, il n’est pas étonnant que beaucoup de députés se trouvent présidents de clubs ou très proches de la gestion des clubs et de la fédération tunisienne de football.
Mais alors quelle est cette 5e force politique potentiellement mobilisatrice des foules dans notre pays ? C’est tout simplement les sympathisants du président de la République Kais Said, cette masse hétérogène de Tunisiens, épris de probité, de lutte contre la corruption, de défiance vis-à-vis des partis les considérant comme des officines ne cherchant pas l’intérêt général mais plutôt les intérêts particuliers, ceux de leurs fondateurs ou de leurs dirigeants et ceux qui les financent localement ou de l’étranger. Cette vision anarcho-populiste puise ses sources dans les mouvements anarchistes connus en Tunisie et en Algérie dans les années 20 dont on retrouve encore les réminiscences dans des mouvements écologistes, ou de pression sur les politiques, pour une moralisation stricte et rigoureuse de la vie politique.
Un siècle après, la Tunisie ne se libère pas et ne s’est pas libérée de ses vieux démons. Elle se retrouve piégée par des idéologies, des doctrines, désuètes, surannées, non adaptées au 21e siècle et ses exigences d’agilité, de conscience d’un monde qui bouge et qui va si vite que si on rate la marche de ce siècle on sera les recalés, les damnés de la terre,... une obsolescence programmée ou alors c’est le hasard qui nous a mené dans cette impasse conjoncturelle centenaire ?
Hassen Zargouni