L'édito de Taoufik Habaieb: Saied, Ghhanouchi, Mechichi et Taboubi pourront-ils converger
Pourquoi s’était-il porté à la présidence de la République ? Servir un idéal suffit-il ? Conscient de son inexpérience dans l’action politique et la gestion des affaires de l’Etat, sans parti qui le porte, sans objectif mesurable à atteindre, et sans programme précis qu’il entend réaliser, Kaïs Saïed ne pouvait être que dans l’idéalisme. Si le spectre politique, en déconfiture, a été incapable de faire émerger une figure de type classique mais incarnant le renouveau, il a laissé s’installer à Carthage un président atypique.
Le bilan de la première année Saïed n’est guère glorieux. Aucun projet de loi déposé à l’ARP, alors que c’est par l’initiative partagée de la législation que le président de la République agit le plus. Forte consommation de personnel politique : s’est-il assuré du plein soutien d’Ennahdha et de ses alliés auprès de Habib Jemli lorsqu’il le lui avait présenté comme candidat à la Kasbah ? Gouvernement avorté. Le choix d’Elyès Fakhfakh et la composition de son attelage politique étaient-ils les meilleurs ? Viables ? On connaît le résultat.
Les changements successifs à la présidence du gouvernement n’ont pas épargné les ministères régaliens, bien sensibles. Nommer pour rapidement dégommer, désigner pour publiquement humilier, n’est pas un style de chef d’Etat.
Le bras de fer en sourdine avec le chef du gouvernement et le président de l’ARP est préjudiciable pour tous. Elu à la magistrature suprême, Kaïs Saïed ne s’appartient plus. Sa mission première est de rassembler. Transcender les clivages et unir les Tunisiens relève de la sécurité nationale. Encore plus, en ces temps de pandémie ravageuse et de crise économique et sociale dévastatrice.
Tout s’accélère, redoutablement. La déstructuration de l’Etat, la décomposition du politique et la spirale du discrédit risquent de mettre la Tunisie en roue libre. Droit dans le mur.
Kaïs Saïed s’illustre en porte-voix du discrédit du politique, des partis et des institutions. Par son style, ses injonctions, et ses prises de position, il revendique l’antisystème. Sans pour autant proposer l’alternative salvatrice. Ses contempteurs s’en indignent. Mais, ses fidèles électeurs qui l’ont plébiscité se retrouvent en lui. En seront-ils désenchantés ? Pas de sitôt.
Il restera lui-même. A la majesté du pouvoir, il a préféré imposer son caractère personnel, ses propres convictions irréductibles. Ceux qui le connaissent de près savent que rien ne l’obligera à changer de style au cours des quatre prochaines années de son mandat présidentiel. Et nul n’entamera la confiance de ses électeurs.
Que faire alors face au blocage qui persiste au sommet de l’Etat ? Chaque jour de perdu est préjudiciable au pays. Affronter ? Contester ? Composer? Mais, de quelle manière et comment éviter à la Tunisie une déstabilisation institutionnelle et une contre-révolution rampante ?
Le risque est grand. Le retranchement derrière le respect absolu des attributions constitutionnelles mènera à la confrontation et fragilisera les fondements de l’Etat. Un laisser-aller encouragera tous les extrémistes à faire leur deuil de la modernité et de la démocratie. Sans oublier surtout que l’ennemi guette partout : terrorisme, radicalisation, populisme, malversation et précarité sur fond de coronavirus.
Une seule issue : converger
La responsabilité première dans le désamorçage de la crise politique revient à l’Ugtt bien en cour à Carthage. Aussi, son capital-confiance est-il estimé un peu partout. La responsabilité de la centrale syndicale sera historique pour œuvrer à la concorde politique, au rassemblement national et au redressement économique. Les partis politiques se doivent de mettre fin à leurs querelles stériles, destructrices, pour convenir d’une plateforme commune d’un programme de gouvernement.
Dans sa variété, sa richesse et son patriotisme, la société civile sera d’un apport précieux. Porter la voix de la jeunesse en quête d’un quotidien moins pénible, dans l’espoir d’un avenir meilleur, défendre la modernité, et ancrer la solidarité en levier d’entraide et de liant sociétal.
La démocratie est encore fragile, balbutiante. Laisser la crise politique s’attiser, la montée du populisme s’accélérer et les clivages se creuser, c’est baliser la voie à la remise en question du plus précieux des acquis : la démocratie. Jusque-là elle n’a pas encore livré ses dividendes les plus profitables.
Du système politique, les Tunisiens attendent beaucoup plus. Sécurité, dignité, libertés, emploi, revenu, soins, éducation et services publics sont légitimes.
Taoufik Habaieb
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Un diagnostic complet et sans complaisance. Malheureusement, on ne peut s'attendre à aucune réforme de sa part. ce serait contraire à toute sa philosophie. Il l'a toujours déclaré et réaffirmé: toute initiative doit venir de la base, j'attends des projets de votre part. C'est un grand idéaliste qui attend des solutions miracles des jeunes, des sans-emploi, des laissés-pour-compte. Comment solutionner des problèmes complexes qui impliquent non seulement des forces nationale mais internationale sans l'apport des spécialistes et des compétences nécessaires dans chaque domaine.