Exclusif: La lettre de Messali Hadj à Bourguiba (Documents)
Au moment où le peuple algérien frère célèbre, le 1er novembre, l’anniversaire du déclenchement de sa révolution en 1954, avec en point d’orgue, cette année, la tenue du référendum sur la nouvelle constitution, un document exclusif est révélé par Leaders. Il s’agit d’une lettre datée du 16 Chaoual 1380 de l’hégire (2 avril 1961), adressée à Bourguiba par le chef du Mouvement national algérien Messali Hadj, depuis le Manoir Toutevoie, Gouvieux, dans l’Oise. Les deux leaders se connaissent de longue date, depuis que Bourguiba, jeune étudiant à la Sorbonne, avait été célébré en 1926, avec d’autres camarades nord-africains, par l’association l’Etoile-Nord-Africaine, dont Messali Haj était l’un des principaux animateurs, avant de la présider par la suite. Leurs relations n’ont jamais cessé tout au long des années de lutte pour l’indépendance de chacun des deux pays, puis au-delà.
Cette lettre, obtenue grâce au Pr Hédi Jalleb, directeur général des Archives nationales, est fort significative. Elle illustre les liens scellés par les leaders nationalistes tunisiens et algériens, leur confiance mutuelle, mais aussi toute l’estime et la considération dont jouissait Habib Bourguiba auprès des chefs nationalistes algériens.
Sans jamais s’immiscer dans les affaires internes, accueillant sur le sol tunisien les troupes du FLN ainsi que le quartier général des instances politiques algériennes, quitte à en payer les frais comme en témoigne le bombardement, le 8 février 1958 par l’armée française, du village de Sakiet Sidi Youssef, Bourguiba était de tout soutien. C’est vers lui que dans les moments difficiles, des dirigeants nationalistes se tournent pour demander conseil, voire médiation. Comme ce fut le cas, en 1961, alors que des pourparlers entre la France et le FLN allaient s’engager à Evian pour paver la voie aux accords d’indépendance (du 7 mars au 18 mars 1962).
Le dernier quart d’heure était particulièrement difficile pour les différentes composantes du Mouvement national algérien. Des risques de divisions et de ruptures menaçaient l’indispensable unité nationale face à la puissance coloniale, mais aussi pour le lendemain de l’indépendance. Mesurant l’ampleur de ses dangers à ses dépens, Messali Hadj s’adressera en ultime recours à Bourguiba. Il rédigera cette lettre qu’il fera remettre à l’ambassade de Tunisie à Paris pour transmission au président Bourguiba. A cette date, les relations entre la Tunisie et la France étaient encore marquées par le bombardement de Sakiet Sidi Youssef. En signe de protestation, la Tunisie avait rappelé son ambassadeur en France, Mohamed Masmoudi, et désigné Mokhtar Maaref en qualité de chargé d’affaires. C’est lui qui enverra la lettre par valise diplomatique à la Kasbah.
Traduction (non officielle)
Gouvieux, le 16 chaoual 1380
Au nom de Dieu Clément et Miséricordieux,
De Messali Hadj, chef du Mouvement national algérien
A Son Excellence Monsieur Habib Bourguiba, président de la République Tunisienne, que Dieu le préserve
Excellence,
Au nom du Mouvement national algérien et en mon nom personnel, je adresse cette lettre à votre auguste personne implorant votre gentillesse d’user de votre noble ascendant et de votre bonne réputation pour réconcilier notre Mouvement national avec le Front de libération, afin de mettre fin à l’effusion du sang entre les enfants d’une même patrie, en lutte pour une même cause.
Ce rapprochement entre tous les Algériens est devenu aujourd’hui nécessaire, surtout en ces temps particuliers alors que nous sommes à la veille de l’ouverture des négociations pour l’indépendance de notre pays.
Si notre objectif est l’indépendance de l’Algérie, la réconciliation entre tous les Algériens s’impose indispensablement pour édifier l’Etat algérien sur des bases solides et des fondements précieux, mais aussi renforcer la sécurité et la paix dans l’ensemble du Maghreb arabe.
Nous n’avons cessé d’œuvrer auprès de nos frères parmi les dirigeants du Front de libération par divers moyens et de multiples appels afin de réaliser ces vœux pieux.
Mais, il nous paraît qu’il est de notre devoir de vous solliciter, encore une fois, afin d’atteindre ce noble objectif, dans l’intérêt de l’Algérie et celui des Algériens, afin de prémunir notre peuple contre les épreuves et la discorde, et de le protéger des incidents qui déchirent le peuple congolais.
Nous vous présentons nos vifs remerciements et vous souhaitons longue vie et au peuple tunisien frère, fierté, dignité, prospérité et bonheur.
Veuillez agréer, Excellence, notre haute considération et nos vives salutations.
Signé, Messali Hadj
Encore, un symbole fort d’une fraternité tuniso-algérienne. Indéfectible.