La nébuleuse des vaccins anti-Covid : petite notice explicative
Par Azza Filali - Au cours des prochains mois, nous serons appelés à nous préoccuper des vaccins anti-Covid 19 et sans doute à décider de pratiquer ou non l’un de ces vaccins. Pour cela, nous devrions pouvoir naviguer dans cette nébuleuse que constituent les vaccins presque prêts, pour la plupart encore en essais cliniques dits de phase 3 (pour indiquer qu’ils sont effectués sur plusieurs milliers d’individus, en vue de déterminer l’efficacité vaccinale, et de rechercher d’éventuels effets secondaires).
Avant tout, il est bon de préciser ce dont on dispose à l’heure actuelle: huit vaccins sont en lice à travers le monde, engagés dans des essais cliniques de phase 3 : deux vaccins américains, celui du laboratoire Pfizer(associé à la firme allemande Biontech) et celui du laboratoire Moderna. Le troisième vaccin est britannique, mis au point par la firme Astra Zeneca. Deux vaccins russes sont également en phase terminale: le bien nommé Vaccin Spoutnik et un vaccin émanant d’une firme privée. En Chine, au moins deux vaccins sont en essai clinique de phase trois : l’un provenant de l’institut des produits biologiques de Wuhan et exploité par la société ‘Sinopharm’, l’autre produit par une société privée: ‘Sinovac biotech’.
Au plan structurel ces vaccins ne sont pas similaires : certains sont à base de virus inactivés (les deux vaccins chinois et celui d’Astra Zeneca, basé sur un adénovirus de chimpanzé). D’autres exploitent une technique inédite, jusque-là jamais pratiquée chez l’homme : celle des vaccins dit à ARN. Le vaccin lui-même est constitué d’un fragment d’ARN messager du virus. Ce morceau d’ARN constitue une espèce de leurre inoffensif, incapable de se multiplier, mais dont la présence suffit pour induire la production par ‘l’hôte’d’une protéine du virus, ce qui stimule les cellules immunitaires (les lymphocytes) d’où formation d’anticorps dirigés contre le fragmentd’ARN messager. Cette technique inédite des vaccins à ARN a été mise au point depuis les années 2000 et trouve aujourd’hui son application. Toutefois, cet ARN messager est fragile, ce qui impose de conserver le vaccin à très basse température(moins 80 degrés). Dès lors le transport et la conservation du vaccin exigent une logistique sophistiquée et coûteuse, incluant notamment l’acquisition de congélateurs à « moins 80 degrés ».
Les différentes firmes pharmaceutiques sont engagées dans une course pour obtenir de leurs institutions gouvernementales ce que l’on nomme une « autorisation de mise sur le marché (AMM) ». Certains vaccins, dont celui de Pfizer ont même déposé une demande d’AMM en urgence. Cette demande est, selon eux, justifiée, dans la mesure où le vaccin réunit efficacité, absence de risques, et garantie de production à large échelle par le laboratoire. D’autres firmes, (notamment celle ayant mis au point le vaccin russe ‘Spoutnik’) ont déjà commencé les vaccinations alors que l’essai de phase 3 n’était pas encore achevé.Ceci n’a pas empêché les russes de soumettre à l’OMS une demande de pré-qualification pour leur vaccin. Pour ce qui est des modalités pratiques,les vaccins à ARN sont administrés en deux doses successives, injectées par voie sous-cutanée, à vingt jours d’intervalle. Dès lors,l’efficacité du vaccin serait obtenue huit jours après l’injection de la deuxième dose.
Ces vaccins, en cours d’évaluation à travers le monde, et portant sur un nombre considérable de sujets(43.000 personnes pour Pfizer) donneraient des taux d’efficacité très élevés, avoisinant les 95% pour Pfizer, et Moderna. Ces taux, pour des vaccins aussi récents et dont la plupart n’ont pas achevé la phase 3 des essais cliniques, laissent dubitatif. Ainsi, un scepticisme est exprimé par certaines personnalités du monde médical, dont le professeur Raoult de Marseille au sujet de l’efficacité de ces nouveaux vaccins.
En fait, quel type d’efficacité annoncent les laboratoires ? Pour l’instant,ils ne parlent que de « protection » des patients, un terme assez flou.Selon le laboratoire Pfizer, le vaccin protège les patients contre l’infection à Covid, dès le septième jour après la seconde dose, soit 28 jours après le début de la vaccination. Toutefois, des inconnues demeurent au sujet de cette efficacité, cantonnée à la protection : celle-ci a été évaluée très précocement après le vaccin. On ignore la durée d’une telle protection, et en l’occurrence ce qu’elle devient 3 mois ou un an après la fin de la vaccination, surtout si, entretemps, le virus a muté.
De plus, contre quoi le vaccin protège-t-il effectivement ? Contre toute infection à Covid ? Ou bien contre la survenue de formes graves ? Ou encore contre la contagiosité du patient ? D’autre part, ce vaccin est-il aussi efficace chez les sujets dits à haut risque d’infection ? (sujets âgés, ou atteints de maladies chroniques tel un diabète ou une HTA). Personne ne peut actuellement répondre à ces questions. Seule une efficacité parcellaire et à court terme est affirmée. L’essai clinique entrepris par Pfizer sur un total de 43.000 personnes (provenant de 150 régions du monde) est censé durer 2 ans. Même chose pour celui entrepris par la firme ‘Moderna’ sur 30.000 individus. D’ici là une meilleure appréciation de l’efficacité sera obtenue. Mais aucun pays n’est disposé à attendre deux ans avant d’entreprendre une vaccination à large échelle de sa population. Dès lors, les vaccins qui seront administrés en 2021 seront entachées de multiples zones d’ombre.
Parmi ces zones d’ombre figurent les effets indésirables éventuels des vaccins : ceux-ci possèdent-ils des effets secondaires ? Même si certains médecins ont déjà averti de possibles effets secondaires « difficiles » de ces vaccins, rien n’a encore été rapporté avec certitude. Avec les vaccins de Pfizer et de Moderna, seuls des effets indésirables à type de fatigue (3,8 % des cas) et de maux de tête (2% des cas) ont, pour l’instant, été rapportés.
Les firmes pharmaceutiques attelées à la production des vaccins anti-Covid, se sont engagées dans la fabrication d’un nombre impressionnant de doses. Ainsi, Pfizer annonce la production de 50 millions de doses d’ici la fin de 2020 et de 1,3 milliards de doses au cours de l’année 2021.
En Tunisie et selon l’institut Pasteur de Tunis, les premiers lots de vaccin sont attendus aux mois d’avril ou de mai 2021. Un premier stock devra comporter 4 millions de doses et, aux dernières nouvelles, le vaccin serait gratuit. La Tunisie a rejoint l’initiative « Covax » lancée par l’OMS et la Banque Mondiale, et visant à aider les pays à faible revenu à obtenir le vaccin. Il semble aussi que 4000 volontaires Tunisiens seraient enrôlés dans une étude visant à évaluer l’efficacité du vaccin.
Les doses impressionnantes de vaccin, prévues par les différents laboratoires, vont leur permettred’engranger des sommes considérables. Là on aborde la nébuleuse des tractations financières. Si on prend l’exemple le plus marquant, celui des USA, le gouvernement Trump a arrêté son financement à l’OMS, détournant une partie des montants alloués à l’organisation vers les laboratoires américains pour les aider dans leur fabrication du plus grand nombre de doses vaccinales. En ceci se rejoignent à la fois, l’action de santé publique et le gain financier. De plus, Pfizer et Moderna ont déjà entrepris de distribuer leur vaccin dans 4 états américains ; charité bien ordonnée commence par soi-même…
Il est certain que le point crucial réside dans une interrogation à réponse variable : qui faut-il vacciner ? Selon le Pr Hechmi Louzir, directeur de l’institut Pasteur, le vaccin serait destiné aux « catégories vulnérables » de la population, à savoir les sujets âgés, fragiles, ou les personnes placées en première ligne, au contact des malades infectés, entre autres les professionnels de santé.
Mais ces indications de bon sens, n’empêchent pas les personnes en bon état général et sans facteurs de risque particuliers, de se demander s’il est souhaitable pour elles de se faire vacciner ou non, sachant les inconnues qui planent encore au sujet de l’efficacité précise du vaccin, tout comme sur le type d’effets secondaires qu’il est susceptible d’induire à moyen et/ ou long terme. En l’absence d’arguments scientifiques, résultant d’études sérieuses, il est difficile de trancher. Ainsi, il est fort à parier que la « sensibilité individuelle », la crainte plus ou moins avérée à l’égard de la maladie, deviennent alors les éléments décisifs pour prendre une décision de vaccination ou d’abstention…
Azza Filali
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