Abderrahmen Fendri: Menez votre révolution Monsieur le Chef du Gouvernement
Par Abderrahmen Fendri - La situation électrique en Tunisie augure d'une révolte populaire dont les conséquences ne peuvent être évaluées à l'heure actuelle. En effet, le contrôle de la situation risque d'échapper aux Gouvernants, voire même aux nombreuses parties qui sont derrière ces mouvements.
Quoique les revendications des protestataires sont le plus souvent légitimes, leur toile de fond, caractérisée par le corporatisme, le régionalisme et le populisme, les rendent peu objectives voire irresponsables.
Cependant, le manque de communication sur la situation réelle de l'économie et des finances publiques ne fait qu'aggraver la situation.
Face à ce constat et à l'incapacité,avérée, de l'État à répondre favorablement à ces revendications ou du moins à les contenir, quelles sont les différents scénarii possibles que ce bouillonnement explosif pourra produire et quelles sont, surtout, les actions à entreprendre pour éviter la catastrophe ?
Pédagogiquement parlant, ces mouvements de rue, qui se propagent dans de plus en plus de régions,ne pourront être contenues que selon l’un des scénarï suivants :
1. Le scénario de la pédagogie et du dialogue,
2. Le scénario du retour à la dictature,
3. Le scénario du chao,
4. Le scénario recommandé.
1. Le scénario de la pédagogie et du dialogue
Pour convaincre les protestataires de se montrer compréhensifs des difficultés actuelles et de l'impossibilité de résoudre tous les problèmes sociaux et économiques, à la fois, il serait impératif, selon ce scénario, d'expliquer à toutes les parties prenantes que:
• Le Gouvernement comprend la légitimité des revendications sociales, s'engage à réunir toutes les conditions nécessaires à un retour à la croissance.
• L'État n'est pas, économiquement et financièrement, en mesure de répondre à toutes les revendications qui exigent des moyens hors de portée.
• Sans investissements, il n'y a pas de croissance et que la situation tendue actuelle est loin d'être favorable à la relance de l'investissement.
Des plans réels et réalistes seront mis en œuvre pour que la loi soit strictement appliquée en vue de l'institution d'une justice fiscale, et donc sociale,d’un retour à un état de droit, un retour à un pays où toutes les forces productives œuvrent collectivement à la création de valeur et à une redistribution équitable de la richesse.
Cette option, qualifiée de pédagogique, a très peu de chance d'aboutir étant donné le climat de défiance qui imprègne les rapports entre gouvernements et gouvernés. En effet, le paysage politique est loin de militer en faveur d'un discours crédible et audible par les citoyens déçus par les promesses électorales, non tenues, faites par les élus lors de leurs campagnes électorales et par la qualité de leurs discours vides, sans effets réels et peu crédibles après les élections.
2. Le scénario du retour à la dictature
Ce scénario revient à renoncer aux quelques acquis des dix dernières années et à échanger tous les sacrifices consentis contre, tout juste, un retour à la situation d'avant 2011.
Ensuite, y-a-t-il réellement moyen d'un retour à la dictature sans bavures et sans effusion de sang ?
Enfin, quand la dictature, partout dans le monde, a-t-elle procuré le bien-être aux peuples ?
Ce scénario, même s'il est probable, demeure non désiré.
3. Le scénario du chao
Nous y sommes presque. Mais, il reste encore un minimum de sécurité, un minimum d’Etat, un minimum de service public, un minimum d'espoir d'un lendemain meilleur.
Cependant, au rythme observé, la Tunisie n'est pas très loin du chaos.
Il est vrai que le chaos équivaut à un rappel à l'ordre, à une prise de conscience des dangers de l’égoïsme et du" revendicalisme", à un appel aux parties prenantes de se montrer plus raisonnables et de trouver les voies et moyens de mettre la main dans la main pour travailler ensemble sur un projet commun de sauvetage du pays.
Le chaos, comme scénario radical et non désiré, aboutira à amener les protestataires à revoir à la baisse leurs revendications, les profiteurs à reconsidérer leurs agissements et les gouvernants (ou ceux qui en resteront) à développer de nouvelles approches qui rompent avec le passé.
Fort heureusement, ce scénario, périlleux, peut encore être évité.
4. Le scénario recommandé
Le scénario recommandé est celui d'une Révolution.
Une révolution signifie une rupture avec l'existant ; un changement de paradigmes.
Ce qui s'est passé depuis 2011 ne remplit pas les conditions d'une vraie révolution.
Dix ans après le départ de Ben Ali, avons-nous réduit le chômage, avons-nous résolu le problème réel de la pauvreté et de la précarité, avons-nous limité les écarts criards entre le niveau de développement des régions, avons-nous institué la justice fiscale, avons-nous éradiqué ou au moins réduit la corruption, avons-nous limité la part du secteur informel dans notre économie, avons-nous réuni les conditions favorables à retourner à la croissance, à moderniser notre Administration, à améliorer la qualité du Service Public ?
Toutes les réponses à ces questions, ainsi qu'aux autres attentes du peuple, depuis dix ans, sont, hélas, négatives.
Bien au contraire, les raisons pour lesquelles le peuple s'est soulevé pour chasser l'ancien régime persistent toujours et la plupart d'entre elles se sont amplifiées.
Partant de la règle qui dit que les mêmes causes produisent les mêmes effets, une nouvelle révolte semble se préparer.
Celle-là risque, cette fois-ci, de mener le pays vers une dérive que personne ne maîtrisera les conséquences et la fin.
Pour éviter au pays un tel scénario, il est encore possible d'inverser la tendance par le Chef du Gouvernement à qui il incomberait de leader (de guider) cette révolution.
À vous, Monsieur le Chef du Gouvernement, vu que votre passé ne souffre d'aucune implication dans ce qui a donné lieu à cette situation, de provoquer, avec le soutien de la population, des forces vives du pays et de l'élite indépendante, une vraie révolution.
À vous, Monsieur le Chef du Gouvernement, de vous montrer transparent envers le peuple en lui présentant la situation économique du pays et celle des finances publiques.
À vous, Monsieur le Chef du Gouvernement, de proposer au peuple un plan complet et cohérent de sauvetage du pays.
À vous, Monsieur le Chef du Gouvernement, de vous engager à mener les vraies réformes que nécessite la Tunisie.
À vous, Monsieur le Chef du Gouvernement, d'annoncer au peuple qu'il y a encore moyen de sauver ce qui reste de la Tunisie.
À vous, Monsieur le Chef du Gouvernement, de mobiliser, par un discours transparent et crédible, la population pour un retour au travail, pour un engagement réel de s'interdire tout mouvement bloquant la production.
À vous, Monsieur le Chef du Gouvernement, de solliciter l’élite du pays pour mener une réflexion profonde et indépendante pour définir un plan de sauvetage de la Nation.
À vous, Monsieur le Chef du Gouvernement, de changer de paradigmes et de rompre avec la politique de replâtrage jusqu’ici adoptée.
À vous, Monsieur le Chef du Gouvernement, de vous adresser à la justice pour l'appeler à la célérité et l'indépendance des jugements.
À vous, Monsieur le Chef du Gouvernement, de convaincreles hommes d'affaires, de la nécessité de soutenir les efforts du Gouvernement pour un retour à l'investissement, pour plus de transparence fiscale, pour plus de sacrifices dans l'intérêt de tout le monde, eux en premier lieu.
À vous, Monsieur le Chef du Gouvernement, de mettre la classe politique devant ses responsabilités historiques en l’invitant à mettre de côté les égos, les intérêts personnels et en privilégiant l'intérêt suprême de la nation.
À vous, Monsieur le Chef du Gouvernement, de menacer clairement les récalcitrants par le recours à la justice à chaque que le moindre dépassement, écart de comportement ou abus de pouvoir est observé.
Bref, c’est à vous, Monsieur el Chef du Gouvernement, d’annoncer aux tunisiens un plan de transformation de la Tunisie, réaliste mais convainquant, intégré et complet.
C’est à vous, Monsieur le Chef du Gouvernement, d’adopter une stratégie de communication avec les tunisiens avec plus de pédagogie et moins de démagogie.
En un mot, c’est à vous Monsieur le Chef du Gouvernement de montrer de l’empathie envers vos citoyens et surtout de vous engager à conduire le pays d’une manière différente de ce qui a prévalu depuis 2011.
C'est la seule voie du salut. Menez Monsieur le Chef du Gouvernement, votre révolution. Vous êtes le seul, de par votre statut et votre background, à être en mesure de sauver la Tunisie.
Abderrahmen Fendri