Dr Abdelwahed El Abassi: La mort du Dr Badreddine Alaoui ne doit pas être un drame de plus et que rien d’important ne change!
Par Dr Abdelwahed El Abassi - La mort accidentelle et horrible du jeune médecin, survenue à l’hôpital régional de Jendouba pour cause de dysfonctionnement des ascenseurs, rappelle la crise grave et chronique des hôpitaux publics dont le fonctionnement et la maintenance connaissent depuis longtemps des déficiences majeures connues de tous.
Le colmatage et ou la stratégie des boucs émissaires, bien ancrés dans la pratique de réponse à ce genre de situations, ne sont pas et ne seront pas la solution pour un secteur public de la santé sinistré. Ils laisseront la voie ouverte pour d’autres drames à venir, ceux dont on entendra parler car survenant à l’hôpital, et d’autres, plus nombreux encore et moins visibles, affecteront les personnes et les familles qui n’ont pas eu l’accès aux soins de qualité promis par notre nouvelle constitution.
L’élan extraordinaire qui a suivi cette mort tragique devrait servir à mettre effectivement sur les rails le train d’une réforme nécessaire et vitale du système de santé et plus particulièrement la réhabilitation de l’hôpital public. Quel autre meilleur hommage pouvions-nous rendre au Dr Badreddine Alaoui (paix à son âme)?
Dans cette perspective chaque acteur doit apporter sa propre contribution à l’effort et à la redevabilité exigés de tous, en premier lieu du gouvernement.
Des questions exigeant réponses
Ceux qui dirigent le pays mais aussi ceux qui participent aux décisions ou indécisions qui affectent le secteur public de la santé, doivent apporter des réponses concrètes au moins à ces trois questions pour amorcer un processus de réhabilitation effective du secteur public de la santé:
1. Quand sera-t-il mis fin à l’utilisation de l’argent de l’assurance maladie (CNAM) pour combler le déficit des caisses sociales?
Continuer à utiliser la santé comme variable d’ajustement pour honorer les pensions de retraite, c’est déshabiller Slah pour habiller Ali avec les conséquences gravissimes pour la population et ou les situations qui ont besoin d’un secteur public accessible, efficace, efficient et réactif. La pandémie de la Covid-19 a bien mis à nu le niveau d’impréparation, de déficiences du système de soin! Une réponse positive et effective à cette question permettra d’enlever la corde du cou du secteur public et ravivera l’espoir.
2. Quand apportera-t-on des solutions effectives à la problématique de la double appartenance publique et privé de certains professionnels de la santé?
Tout le monde sait que cette double appartenance, mal régulée, représente une porte d’entrée majeure pour la corruption dans le secteur public de santé, y affecte négativement le professionnalisme et menace gravement la formation des futurs médecins. Ne pas amorcer des réponses claires et décisives à cette question c’est laisser le vers dans le fruit. La primauté clamée de l’hôpital public pour assurer un accès équitable à des soins de qualité pour tous, résonnera alors juste comme un slogan vide de contenu.
3. Les professionnels de la santé sont-ils prêts à donner autant d’importance à leur professionnalisme qu’à leurs revendications légitimes?
Certes nombreux sont ceux qui le font au prix de leur santé et de leur vie familiale parfois (de vrais militants de la santé publique), mais le ‘’laisser aller’’ a eu prise sur une bonne partie et des comportements ‘’rentiers’’ ont pris de l’ampleur avec à titre d’exemple les heures de sommeil dépassent parfois les heures de travail chez certains professionnels durant services de nuit. Dans les centres de santé de base urbains et périurbains on trouve souvent un sureffectif le matin avec souvent plus de trois ou quatre médecins mais personne l’après-midi avec des centres fermés au public. Ceci contribue à surcharger les urgences des hôpitaux ou à faire payer les plus démunis pour consulter en privé... Construire sur les bons comportements professionnels tout en revendiquant légitimement ses droits est la voie qui conduit à la réhabilitation du secteur public de la santé. Sans la mobilisation de ses professionnels, il sera difficile de sauver le secteur public de la santé et personne ne sera à l’abri quand viendra le temps de l’effondrement.
Réformer le système de santé est devenu une nécessité vitale
Ce sont trois questions parmi d’autres, plus spécifiques et non moins importantes, mais qui soulignent la dimension devenue sociétale de la grave crise de l’hôpital public. Les approches étroites et ou corporatistes seront le contraire d’un levier puissant et pourraient même devenir contre productives.
La crise nécessite des réponses structurelles de fond, exigeant de chaque partie concernée, le gouvernement en premier, mais aussi tous les autres acteurs, d’agir dans la même direction et de faire l’effort de s’approprier une même vision pour donner toutes ses chances à une réforme vitale du système de santé.
Nous ne partirons pas de rien. Un grand travail a été fait dans le cadre du Dialogue Sociétal sur la santé avec l’adoption d’un projet de Politique Nationale pour la santé (www.hiwarsaha.tn ) au mois de juin 2019. Cette dernière comprend une vision avec la couverture santé pour tous en 2030. Elle décline des choix stratégiques et structurants ainsi que des clefs pour la réussite de la réforme. Un des choix stratégiques, intimement lié aux autres choix est de donner au secteur public les moyens pour (i) assurer l’équité dans l’accès à des soins de qualité (ii) la formation des cadres (iii) le développement de la recherche.
Qu’attendons-nous pour aller de l’avant, s’approprier et enrichir, durant le processus de mise en œuvre, ce projet de Politique Nationale de Santé pour rendre notre système de santé plus équitable et plus performant? Essayons d’éviter les interminables réinventions de roues et agissons dans la bonne direction pour sauver le secteur public de la santé, pour faire vivre l’espoir de la couverture santé universelle et rendre ainsi le meilleur des hommages au Dr Badreddine Alaoui.
Dr Abdelwahed El Abassi
Médecin retraité, ancien haut cadre international de l’UNICEF et de l’OMS