Valery Giscard d’Estaing et la question palestinienne
«La politique est le produit le plus dangereux que la chimie de l’intellect ait élaboré.» (Valéry)
Par Mohamed Larbi Bouguerra - Président de 1974 à 1981, Valéry Giscard d’Estaing (VGE) est mort le 2 décembre 2020 à l’âge de 94 ans. Emmanuel Macron avait décrété le mercredi 9 décembre jour de deuil national en hommage à l’ancien locataire de l’Elysée, "figure centrale de l'histoire de notre République" et plus jeune président (48 ans) de la Vème République, « admirateur du style décontracté de John Kennedy. » Il se considérait comme un homme politique « conceptuel » alors qu’il jugeait son rival, Jacques Chirac, comme un homme politique « aventurier ». (Le Point, 4 décembre 2020, p. 51)
Les médias se sont longuement penchés sur l’action, sept ans durant, de cet ancien polytechnicien-énarque mais rares sont ceux qui ont évoqué son action au Moyen-Orient et singulièrement s’agissant de celle concernant la Palestine. VGE avait été élu six mois après la guerre d’Octobre 1973 et la destruction de la ligne Bar-Lev par l’armée égyptienne.
Bien entendu, VGE est un homme de droite et sa politique au Moyen-Orient ne répond ni aux impératifs de justice ni à l’admiration de la culture arabo-musulmane. Son ressort, ce sont d’abord les intérêts de la France et sa position dans le concert des nations.
Le coup d’éclat
Pour évoquer sur le plan politique ce septennat, commençons par la Tunisie. Le journaliste et ancien ambassadeur israélien en Mauritanie**, Freddy Eytan- un natif de Tunis dont le père, Ouzy, collaborait avec les services secrets israéliens du Mossad le- Aliya Bet (Wikipédia)-, affirme que VGE lui a confié « qu’il avait évité en novembre 1975 une guerre entre la Tunisie et la Libye et avait même envoyé deux escadrilles de Mirage F-1 pour déjouer toute tentative de coup de force contre le président Bourguiba. » (Centre des Affaires publiques et de l’Etat CAPE de Jérusalem, 12/03/2020).
Le 12 mars 1980, en conclusion du Conseil des Ministres, VGE publie une déclaration concernant l’autodétermination du peuple palestinien au retour de son séjour dans les pays du Golfe et en Jordanie qui va faire du bruit : « Le peuple palestinien, qui aspire à exister et à s'organiser en tant que tel, doit pouvoir exercer son droit à l'autodétermination, dans le cadre du règlement de paix.
- telles sont les deux conditions de la paix au Proche-Orient. Leur mise en œuvre exige l'adhésion et le concours de toutes les parties intéressées. aussi faut-il que toutes les parties soient associées, sur ces bases, à la négociation, et notamment le peuple palestinien, ce qui implique la participation de l'Organisation de Libération de la Palestine OLP.»
D’où une réaction d’Israël « qui déplore la reconnaissance par le président Valéry Giscard d’Estaing du droit du peuple palestinien à l’autodétermination et de l’OLP comme « interlocuteur qualifié » dans les négociations de paix.
Freddy Eytan est plein de fiel à l’encontre de VGE : son ministre des Affaires Etrangères Jean Sauvagnargues rencontrant Mahmoud Riad, Secrétaire Général de la Ligue arabe « lui fait part des bonnes intentions de la France concernant le problème palestinien. » Pire ! Grâce à la France, l’OLP est admise à l’ONU avec le statut d’observateur et Yasser Arafat, « l’ennemi numéro 1 d’Israël est légitimement acclamé par l’écrasante majorité des Etats du monde grâce au concours de la France et la connivence d’Abdelaziz Bouteflika, le ministre algérien, qui préside les travaux de cette session plénière. » A Jérusalem, continue ce journaliste, « le Premier ministre Rabin est rouge de colère » et fait appel au paratonnerre habituel, le président américain Gérald Ford, qui n’arrive pas à faire modifier la résolution 242 datant de novembre 1967 qui ne parle que de « réfugiés palestiniens » et interdisait toute « acquisition territoriale par la force » donc sans entente entre les belligérants.
De plus, Eytan s’étrangle, car par cette résolution, la France de de Gaulle avait condamné Israël pour avoir déclenché les hostilités malgré ses avertissements et lui demande d'évacuer les « territoires occupés ». VGE invite en outre à Yasser Arafat à participer aux négociations de paix et autorise l’ouverture à Paris d’un bureau diplomatique palestinien… « malgré les avertissements du Mossad » qui voyait dans ce bureau une « base terroriste » et « des armes et des explosifs » dans la valise diplomatique des Palestiniens ! Eytan note cependant l’audace du geste de VGE : « C’est la première fois qu’un représentant officiel du monde occidental accepte de serrer la main du chef de l’OLP, considéré par Israël, les E.U et la majorité des pays européens comme le chef d’une organisation terroriste. »
Pour le quotidien israélien Haaretz, la présidence de VGE a inauguré une longue période de politique française « exagérément pro-arabe » (14/7/2001) et de révéler que VGE avait « une attitude humiliante vis-à-vis d’Israël même quand il n’y avait aucune justification à ce comportement » (Haaretz, 06/12/2001). Ce que confirment les rédacteurs de « Histoire de l’Etat d’Israël » (sous la direction de Bernhard Blumenkraz et Joseph Klatzmann, Editions Privat, Toulouse, 1982, p. 366) qui citent nommément VGE. Ainsi, visitant Israël dix ans après son élection à la charge suprême, il s’exprimait ainsi : « J’ai cru qu’Israël était un véritable pays occidental, la Suisse ou Monte-Carlo, je m’aperçois qu’il est bien oriental.»
Freddy Eytan s’étonne de cette politique pro-arabe alors qu’au sein du gouvernement, note-t-il, on trouve plusieurs ministres « très proches d’Israël » et même des ministres juifs « comme Simone Veil et Lionel Stoleru.» Explication : la politique étrangère est « un domaine réservé » de l’Elysée. VGE tient en main ce domaine en accord avec son Premier Ministre. C’est ainsi qu’il libérera le Palestinien Mohamed Daoud Odeh arrivé en France avec un faux passeport irakien malgré les demandes du Mossad. L’espionnage israélien accuse Odeh d’être l’instigateur du massacre, par l’organisation palestinienne Septembre Noir, de onze Israéliens aux Jeux Olympiques de Munich en septembre 1972. Ce qui aboutit au rappel de l’ambassadeur d’Israël en France. De plus, la libération d’Odeh par VGE ne tient aucun compte de la demande d’extradition formulée par l’Allemagne.
Abou Daoud disait « Nous n'avons pas visé de civils israéliens. Certains d'entre eux avaient participé aux guerres et avaient tué beaucoup de Palestiniens. Un pianiste ou un athlète, n'importe quel Israélien est un soldat. » (Wikipédia)
Condamnations en série d’Israël
Les archives révèlent que le président français confiait à Margaret Thatcher, alors premier ministre anglais, que M. Begin, [premier ministre israélien] qu’il n’avait jamais rencontré, était un fanatique et avait une approche irréaliste des problèmes. » (Haaretz, 30/12/2010). Lors de la visite d’Itzhak Shamir en France, rapporte Eytan, Giscard lui demande qui il a vu à Paris. Réponse de Shamir : « Les dirigeants de « notre » communauté et VGE de répliquer : « « Votre » communauté ? Ce n’est pas la vôtre, c’est « la nôtre » ». Mais, si VGE reste de marbre lors de l’attentat de la synagogue de la rue Copernic à Paris en octobre 1980, son Premier Ministre, Raymond Barre, crée le malaise en déclarant à TF1 au sujet de ce drame : « Cet attentat odieux a voulu frapper les Israéliens qui se rendaient à la synagogue, il a frappé des Français innocents dans la rue Copernic. » Ce qui rappelle ces propos de Donald Trump le 20 août 2019 : « Tout juif qui vote pour un démocrate montre soit un manque total de connaissances, soit une grande déloyauté » précisant le lendemain que de tels électeurs seraient « déloyaux envers le peuple juif et très déloyaux envers Israël. » (« Gilles Paris, « L’utilisation périlleuse d’Israël par Donald Trump », Le Monde, 30 août 2019, p. 24).
Giscard d’Estaing condamne l’intervention israélienne sur l’aéroport Entebbe (Ouganda) en juillet 1976 pour violation du territoire et de la souveraineté de l’Etat ougandais, membre de l’ONU, quand des fédayins du FLP détournent un avion d’Air France. Notons qu’au cours de ce raid israélien, le frère aîné de Benyamin Netanyahou est tué. De même, il condamnera le bombardement israélien de Tuwaitah (à 18 km de Bagdad) du réacteur irakien de recherche Osirak de fabrication française en juin 1981. Ce réacteur à eau légère était incapable de fournir du plutonium pour faire une bombe atomique, certifie le Pr Richard Wilson dans une publication du 31 mars 1983 dans le célèbre journal scientifique « Nature ». L’attaque israélienne était d’autant plus injustifiée que l’Irak avait signé le traité de non-prolifération des armes nucléaires (NPT en anglais) alors qu’Israël ne l’avait pas fait bien qu’ayant acheté à la France le réacteur Osiris installé à Dimona. (Voir le livre de mon regretté ami le Pr Richard Wilson du département de physique de l’Université Harvard « Physics is fun. Memoirs of life in physics » p.292-293). Jacques Chirac déclarera au sujet de l’attaque israélienne de Tuwaitah que « Begin a commis une opération terroriste extrêmement grave. »
Quand l’histoire bégaie
A l’heure où le roi du Maroc, émir des Croyants et président du Comité al Qods, va échanger des ambassadeurs avec l’occupant sioniste, il est bon de rappeler ce que disait le père de l’actuel occupant du trône alaouite suite à la déclaration de VGE sur la Palestine en 1980 : (Le Monde, 13 mars 1980):
« À Marrakech, le roi du Maroc et M. Abou Mayzar, porte-parole de l'O.L.P., ont rendu hommage mardi à M. Giscard d'Estaing, en ouvrant les travaux du Comité d'Al-Gods (Jérusalem). Le souverain a dit : " C'est la première fois que le monde entend un chef d'État d'Europe occidentale confirmer le droit à l'autodétermination du peuple palestinien, dont l'O.L.P. est le représentant et l'interlocuteur. Bien que cette déclaration française soit en deçà des résolutions du sommet arabe de Rabat, proclamant l'O.L.P. unique et légitime représentant du peuple palestinien, il n'en demeure pas moins que cette prise de position constitue un pas considérable, dont nous espérons des retombées au sein des pays de la Communauté européenne. " Le roi a adressé au nom du Comité : " Nos remerciements sincères à notre cher frère et ami le président Valéry Giscard d'Estaing, pour le courage et la clairvoyance dont il a fait preuve. "
Albert Camus disait : « La société politique contemporaine : une machine à désespérer les hommes. »
Mais les partisans de la justice et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ne désespéreront jamais ! La Palestine n’est-elle pas le seul pays occupé militairement du monde au XXIème siècle ?
Mohamed Larbi Bouguerra
** Relations gelées depuis 2009 entre les deux pays suite à l’agression de Gaza (2008-2009)