News - 17.12.2020

Lutter contre l’érosion fiscale et le blanchiment par le numérique

Lutter contre l’érosion fiscale et le blanchiment par le numérique

Par Néjib Belhabib - L'objet de cet article est de mieux appréhender le phénomène de globalisation des échanges automatiques de données financières et fiscales pour lutter contre la fraude, le crime et les paradis fiscaux.

Au XIXe siècle les États étaient peu désireux de partager les renseignements fiscaux et financiers.

La crise bancaire et financière à la fin de l'été 2008 et les divers scandales de fraudes fiscales off-shore ont bouleversé les esprits. Pour le groupe G20 et dès 2009, il est devenu vital de réfléchir pour réglementer les échanges de données à l’échelle internationale.

Les organisations internationales, telles que le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale et les Nations Unies, la commission européenne, l’OCDE se sont préoccupés de l’initiative du  G20.

Plusieurs articles ont été publiés par des chercheurs universitaires et des experts.

Comment échanger, scruter et analyser les bases de données géantes à travers des plates-formes de Business Intelligence de la finance et des affaires ?.

Pour améliorer le climat des affaires par la transparence fiscale et la lutte contre l’économie illicite, la fraude et l’évasion, le conseil de l’OCDE en juillet 2014 a développé la Norme Commune de Déclaration NCD appelée également CRS (Common Reporting Standard).

Le Groupe d’action financière (GAFI) a aussi élaboré une série de recommandations  en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive.

Les agences mondiales de notation financière ont intégré la conformité des pays aux normes recommandées pour le classement.

L'amélioration du système de collecte des taxes pour lutter contre la fraude est l'un des problèmes les plus critiques pour la mobilisation des recettes nationales dans les pays en développement.

L’application des mesures préconisées par les organisations internationales passe par des modifications de la législation, des pratiques nationales et par le développement d’un écosystème technologique basé sur une harmonisation des échanges normalisés:

Codification normalisée des produits, biens et services,

Identification des personnes physiques et morales

Sécurisation par le cryptage 

Certification des échanges

Connectivité par les télécommunications

Bases de données géantes «Big-data»

Analyse de données Business Intelligence (BI) ou informatique décisionnelle

Intelligence Artificielle.   

Selon une étude réalisée par la Banque Mondiale, l’économie parallèle en Tunisie attire 41,5% de la population active.

L'économie informelle illégale coûte à l'Etat tunisien une perte de 16,5 milliards de dinars.

L’instauration de l’identifiant unique pour toute personne physique ou morale est le pivot de ces reformes numériques en utilisant les nouvelles technologies : carte intelligente systèmes intelligents comme la blockchain qui peut être assimilé à l’ADN numérique des personnes.

L'improvisation hâtive hors des normes et des expériences établies est le plus court chemin à l'échec dans ce domaine.  

L’économie numérique génère  de plus en plus des défis en matière de collectes de taxes, notamment lorsque des particuliers acquièrent des produits, des services ou des biens virtuels ou immatériels sur internet  auprès de fournisseurs étrangers ou locaux.

Les questions de l’érosion et l’égalité fiscale à l’heure  de la virtualisation des échanges économiques  sont  aujourd’hui plus que jamais au cœur des préoccupations des pouvoirs publics dans le monde et particulièrement dans les pays en développement.

En règle générale, la justification de l’imposition de taxes dans n'importe quel pays découle de la responsabilité de l’état à fournir des services sociaux et économiques par la redistribution des revenus et des richesses pour le bien-être social et économique.

La mission première d'une administration fiscale est de collecter les taxes des contribuables. Une administration fiscale efficiente et efficace se traduit par une optimisation des collectes fiscales potentielles.

La politique fiscale se doit de répondre aux impératifs d’équité, mais aussi d’efficacité du prélèvement.

Un impôt simple, lisible et efficace est générateur  d'économies pour l'administration et de confort pour le contribuable.

Dans ce contexte, la question qui se pose est la suivante : l’attractivité fiscale d’un pays peut-elle être optimisée par le numérique, l’intelligence artificielle et le Revenu Management  « Yield Management » ? En proposant une segmentation ciblée sur le profil du contribuable, par les variables « prix » , « produit fiscal » et « coût de collecte ».

C’est un des premiers algorithmes d’intelligences artificielles qui repose sur les bases de données géantes de la consommation, utilsant les outils statistiques, probabilités et modèles mathématiques pour calculer au plus proche de la réalité le profil du client ciblé.

Ce concept  connu également sous les appellations de tarification flexible,  et qui été  utilisé en 1984 par la compagnie aérienne Delta Airlines à la suite de la dérégulation du secteur aérien aux Etats-Unis et généralisé par la suite aux secteurs du transport, du tourisme, des Télécoms et même de l'attractivité des investissements directs étrangers.

Un des premiers et simples systèmes  technologiques utilisés dans le monde pour l’optimisation de la collecte fiscale sont les dispositifs fiscaux électroniques

Les «EFD  Electronic Fiscal Device » ont été introduits pour la première fois en 1983 en Italie : ce sont des dispositifs qui capturent, mémorisent et sécurisent les informations fiscales.

L'agence fiscale grecque a été la deuxième administration fiscale à adopter les dispositifs fiscaux en 1988, la Corée du Sud a généralisé la portée des EFD à toutes les entreprises en 2017.

En Chine seule l'administration fiscale est en mesure d'imprimer des factures ou des reçus de paiement: c’est le fapiao.

Le terme fapiao est un mot chinois qui désigne reçu  juridique validant l’achat de biens et de services.

Il existe deux catégories de fapiao : la fapiao générale et la fapiao de taxe sur la valeur ajoutée spéciale (TVA).

La fapiao TVA contient des informations de traçabilité fiscale et utilisée à des fins de déduction fiscale.

L’Administration Fiscale en Chine a introduit en 2016 la fapiao  électronique générale  et en 2020 la fapiao électronique spéciale.

En juin 2018, le service fiscal de la municipalité de Guangzhou a lancé le premier système de facturation fiscale basé sur la blockchain en Chine.

Lors de l’épidémie de Covid-19 en Chine l’administration fiscale a lancé la e-fapiao sans contact.

En France la loi de finances pour 2020 instaure l’obligation de facturation électronique pour toutes les entreprises assujetties à la TVA entre le 1er janvier 2023 et le 1er janvier 2025.

La technologie EFD facilite l'authentification, la réception et le stockage de ces données fiscales en utilisant le SDC « Sales Data Controller », le GPRS  «General Packet Radio Service» et le CIS «Certified Invoicing System» 

Le contrôleur des données de vente (SDC) ou Sales Data Controller surveille, enregistre, signe, garde une trace de toutes les transactions fiscales.

Le GPRS est une norme de communication radio GSM bas débit.

le CIS « Certified Invoicing System » est  un système ou logiciel de facturation certifié (CIS) installé sur des terminaux de caisses enregistreuses et ordinateurs. Le CIS conserve de manière irrévocable, cryptée et sécurisée toutes les données pertinentes des transactions du système de facturation.

Vue d'ensemble du déploiement des EFD dans le monde

Première génération des EFD

Pays

Année

Type of  EFD

Domaine

Greece

1988

SDC

All VAT registered

Bulgaria

1993

SDC

All VAT registered

Moldova

1993

SDC

All VAT registered

Brazil (State level)

1994

SDC

All Sales Tax registered

Argentina

1995

SDC

All VAT registered

Romania

2000

SDC

All VAT registered

Mexico

2000

SDC

All VAT registered

Montenegro

2001

SDC

All VAT registered

Deuxième génération des EFD

Pays

Année

Type  EFD

Domaine

South Korea

2005

SDC + GPRS

All businesses

Paraguay

2008

SDC + GPRS

Sector VAT registered

Sweden

2010

SDC + GPRS

All  VAT  registered

Troisième  génération des EFD

Chile

2003

SDC + GPRS + CIS

All VAT registered

Kenya

2005

SDC + GPRS + CIS

All VAT registered

Ethiopia

2008

SDC + GPRS + CIS

All VAT registered

Dominican Republic

2009

SDC + GPRS + CIS

All VAT registered

Tanzania

2010

SDC + GPRS + CIS

All VAT registered

Kosovo

2012

SDC + GPRS + CIS

All VAT registered

Panama

2012

SDC + GPRS + CIS

All VAT registered

Rwanda

2013

SDC + GPRS + CIS

All VAT registered

Hungary

2014

SDC + GPRS + CIS

All VAT registered

Malawi

2015

SDC + GPRS + CIS

All VAT registered


La condition préalable pour le paiement e-Tax c’est l’instauration de l’identifiant unique pour toute personne physique ou morale.

Le contribuable, personne physique ou morale doit avoir en plus d’une carte de paiement électronique, une clé électronique ou une carte intelligente fiscale compatible aux systèmes monétiques des banques.

L’absence de système d’informations voire d’internet dans l’entreprise n’entrave pas le fonctionnement des machines électroniques certifiées.

Il s’agit des appareils de très haute technologie, qui permettent une application de traçabilité  juste et équitable de la loi fiscale.   

Le système EFD est de nature à soulager les contribuables qui n’auront plus de préoccupation à se faire pour contrôler la régularité comptable de leurs entreprises.

La stratégie prioritaire pour notre pays est de bien rebâtir les équilibres financiers et de gagner la confiance des investisseurs étrangers et les instances internationales.

Il conviendrait en conséquence  d'envisager la mise en place d'une transformation numérique audacieuse et globale de notre économie.

La Tunisie à travers son histoire a été précurseur dans la région en technologies de l’information et de la communication au début des années 1975  par la création du « CNI » Centre National Informatique, de « l’IRSIT »  Institut Régional des Sciences Informatiques et des Télécommunications, et d’un réseau d’établissements d’enseignement supérieur en Informatique. 

La douane Tunisienne avec le soutien du  CNI a introduit le système SINDA « Système d’Information Douanier Automatisé) en 1982 avec une nomenclature tarifaire locale, qui a évolué vers un système harmonisé et une nomenclature internationale.

En 1992 sur l’initiative des promoteurs des supermarchés a été crée l’organisation Tunicode par l’adhésion à l'association internationale de codification à Bruxelles GS1 (ex GENCOD).

La Tunisie a élaboré depuis juillet 1996 une nomenclature des activités conformes à l’international (l'O.N.U et la C.E.E).

Cette nomenclature  a été élaborée principalement en vue de faciliter l'organisation de l'information économique et sociale, car l’adoption de nomenclatures spécifiques est un frein au développement économique et social.

En février 2000 la création de Tunisie Trade Net, un réseau informatique avec un système harmonisé  qui relie les différents intervenants. (Banques, Administrations, Douanes, Autorités portuaires, …).

En ce qui concerne l’instauration de l’identifiant unique des personnes physiques, la Tunisie a une prédisposition incontestable sur les pays de la région en instaurant l’état civil en 1908 par un décret beylical, modernisé  par la loi 30 juillet  1957 et par la loi du 4 février 1976.

La Tunisie a été  aussi un des premiers pays au monde à légiférer sur  la signature électronique   par la loi 2000-83 du 9 Aout 2000 relative aux échanges et au commerce électronique et le décret n°2000-2331 du 10 octobre 2000  créant l’agence nationale de certification électronique.

Sur la base des travaux du Professeur Ahmed Friaa sur les hyper cubes en 2000 breveté en 2004, deux chercheurs de Sup’Com, encadrés par le Professeur Adel Bouhoula, ont mis au point un équipement électronique hardware de cryptographie et de sécurité numérique empêchant toute personne non autorisée de copier, de transférer  ou de modifier les fichiers sécurisés.

La loi relative à la promotion des startup, adoptée en 2018 par l’ARP est considérée comme une révolution du cadre réglementaire du numérique.

Mais dans la pratique, nous accusons en Tunisie un retard de plus de 15 ans.

L’objet de la création du registre national des entreprises en 2019 est d’améliorer la transparence des transactions économiques et sociales.

Ainsi l’identifiant unique du registre national des entreprises devrait être basé sur la norme de la nomenclature des activités et non sur l’identifiant fiscal qui est  lui-même non-conforme à cette nomenclature.

Ainsi, à mon  avis, il est important de reconnaître l'effort consenti par le RNE en dépit du manque de ressources pour installer la plateforme numérique en un temps record, il n'en demeure pas moins que l’identifiant n'offre pas une conformité à la nomenclature des activités pour s’intégrer dans un système harmonisé international.

Il est opportun de normaliser l’identifiant actuel en intégrant le code de l’activité (5 chiffres précédé par le code ISO 3166-2 TN sur 2 chiffres (localisation) ce qui le rend plus lisible et compatible en échange de données avec la Norme Commune de Déclaration (NCD/CRS).

Il est aussi indispensable de légiférer rapidement sur l’identifiant unique des personnes physiques pour gagner en efficacité en matière de redistribution sociale. 

A travers Startups ACT il est propice de réfléchir sur l’opportunité de créer un écosystème de recherche et de veille en normalisation des technologies financières, échanges de données électroniques et études stratégiques pour baliser la route des jeunes créateurs d’entreprises dans ce secteur en les associant aux marchés de l’administration publique.

Les recommandations de l’OCDE, du G20 et des  organisations mondiales susciteront une augmentation spectaculaire de la demande de fourniture des Dispositifs Electroniques fiscaux ,des  plateformes numériques et des Systèmes d’informations pour la collecte et la gestion des données fiscales et financières dans les pays en développement.

Notre pays est pleinement préparé pour l’accélération des ces transformations  technologiques, l’enjeu est de développer nos capacités numériques intérieures avec un écosystème juridique, administratif et technologique afin de gagner des marchés en Afrique et dans le monde.

Néjib Belhabib
Fondateur du groupe universitaire  SUPTECH
Expert, Consultant en Télécommunication
Vice président de l’association ADRI: Association pour le développement de la recherche et de l'innovation
Membre fondateur de la Fédération Euro-méditerranéenne de l’enseignement et de la recherche Femer
Membre fondateur de QAAS «Quality Autority Accreditation Supervisor»
Membre fondateur de GDAA «Global Development Alliance for Asia and Africa»