Tunisie: Haro sur notre système éducatif!
Par Mohamed Habib Salamouna - Bien sûr il y a la Corona, Facebook, les jeux vidéo et les nombreuses sollicitations de l'image, mais l'écrit a aussi perdu du terrain dans les programmes et les méthodes...
Le ministère est plein de bonnes intentions. Son crédo depuis la énième Réforme de la réforme "Donner du sens" aux apprentissages! En lecture, il a adopté "l'approche globale": l'enfant partait d'un texte, apprenait des mots entiers et donnait vite l'illusion qu'il pouvait lire. Gros échecs, débats échevelés. Ladite méthode n'a pas été bannie pour autant. Quant à la vieille "syllabique", où l'on apprend ses lettres avant de les assembler, elle a été mise au placard, une fois pour toutes.
"On apprend à l'enfant à retenir la forme de certains mots, des prénoms, des jours de la semaine... Or, l'imagerie médicale révèle que le contours global des mots ne joue pratiquement aucun rôle dans la lecture experte. Habituer l'enfant à y prêter attention lui fait prendre de mauvaises habitudes", écrit Stanislas Dehaene, auteur et neuroscientifique français, dans son ouvrage titré Lire dans le cerveau, consacré aux ravages de la "méthode globale", abrogée en France par Gilles de Robien en 2006!
En Tunisie, "l’approche par compétences" a sonné le glas des exercices systématiques d'application, à la mémorisation, aux apports de vocabulaire, à la transmission ordonnée des connaissances... La hiérarchie des inspecteurs s'est chargée de faire appliquer le "nouvel évangile" sans états d'âme.
On se plaint ensuite de "l'extrême lenteur" de nos élèves... En fait, si maints d'entre eux sont lents, c'est parce que leurs acquisitions sont insuffisamment automatisées. En l'occurrence, ils butent en lecture car ils n'ont pas passé assez de temps sur les sons difficiles, comme le son "g" qui change selon les voyelles. Or, l'école leur demande d'apprendre de plus en plus vite!
Force nous est de constater que les nouvelles approches méthodologiques, importées à mauvais escient de Belgique ou de Finlande, fonctionnent surtout avec des élèves qui ont un niveau de langue satisfaisant. Elles conviennent sans doute moins à ceux qui sont mal assurés. Et ceux-là sont légion! L'écart continuera donc à se creuser entre les enfants dont les parents réactivent régulièrement ce qui a été fait en classe et ceux dont les parents ne le font pas.
A mon sens, l'école doit prévoir des moments pour mémoriser et s'entraîner. De fait, les apprenants ont besoin d'apprentissages méthodiques pour accéder à l'intelligence de la règle de grammaire. Ils sont pénalisés par le saut direct à l'abstraction. Avant de parler du "Groupe nominal sujet", il faut d'abord définir clairement les éléments de la phrase; le nom, le verbe, l'adjectif, etc.
Par ailleurs, l'écrêtage progressif de l'enveloppe globale allouée aux instituteurs pour traiter à la fois diverses matières réduit le temps d'apprentissage systématique de l'écriture, des règles de grammaire, des familles de mots... Ainsi les élèves apprennent-ils moins bien et moins vite.
"Moins une compétence est automatisée et plus elle nécessite d'attention et de place dans notre mémoire de travail", comme le souligne, à juste titre, Stanislas Dehaene, professeur de psychologie cognitive expérimentale au Collège de France. Du coup, si un élève fait un exercice simple, comme une dictée, l'orthographe résiste. Mais, si on lui demandait un exercice plus complexe, comme de rédiger un texte de son cru, il n'arrive pas à tout faire. D'où ces copies truffées de fautes!
Les très bons élèves se débrouillent. Mais pour les moyens, et a fortiori les plus fragiles, cette réduction des horaires équivaut au régime de double peine. Ils partent avec un handicap, et la politique ministérielle, en les privant d'une imprégnation suffisante, les précarise un peu plus. L'école tunisienne, qui se voulait démocratique, finit par être tout l'inverse!
Mohamed Habib Salamouna
Prof de français