Un Maltais à Bab El Khadra dans le Tunis des années 1950
« Je t’offre un voyage dans mes souvenirs de jeunesse. Une leçon de tolérance et de fraternité. » Ainsi, me dédicaçait Claude Rizzo son dernier livre Le Maltais de Bab El Khadra. Une véritable immersion dans le Tunis des années 1950 où le quartier de Bab El Khadra était ponctué par la vie animée des Maltais de Tunis, conducteurs de calèches, maréchaux-ferrands et commerçants en tout genres survivant de ces petits métiers dans une Tunisie cosmopolite et ouverte sur le monde.
A cette époque là où les chants du Muezzin alternaient avec le son des cloches des églises, le jeune Gaëtan Vella, orphelin de mère se préparait à un avenir tout tracé, celui de Cocher. Mais c’est sans compter sur l’intrusion des taxis-bébés qui envahissaient la ville avec leurs klaxons retentissants, signant la mort des vieilles calèches conduites par les Maltais de Tunis depuis des générations.
L’instruction devenait alors la seule alternative pour Gaëtan qui eut la chance d’être éduqué par une tante, vieille fille acariâtre qui ne s’était jamais remise de la mort d’un fiancé disparu dans une guerre oubliée aux Balkans . La vieille tante, seule et désœuvrée, l’initie alors aux joies de la lecture mais également à l’Histoire des peuples qui cohabitent dans cette Tunisie du milieu du XXème siècle, Français, juifs, Maltais, musulmans, Italiens, etc. A sa mort, Gaëtan dira : « je me suis senti orphelin pour la deuxième fois ».
Mais la vie à Bab El Khadra est également pleine d’insouciance. Claude Rizzo nous y raconte les matchs des jeudis après-midi où le clan de la Petite Sicile venait défendre ses couleurs face aux Maltais de la place Bab El Khadra, les projections de films sur grand écran des dimanches à l’ABC, au Colisée et surtout au Palmarium où les jeunes se bousculaient pour suivre les aventures d’un Tarzan ou d’un Ivanhoé. Pour ce grand divertissement, ils se préparaient toute la semaine alternant les petits boulots pour réunir la somme nécessaire ne pouvant compter sur leurs familles dont les revenus suffisaient à peine pour la survie de fratries souvent nombreuses.
Le livre est ainsi ponctué d’anecdotes où le joyeux alterne avec le nostalgique mettant en scène une richesse culturelle de notre pays dont les livres d’histoire ont gardé si peu de traces comme la vie cosmopolite de cette ville du Nord, Ferryville (Menzel Bourguiba), la ville du Fer qui a connu ses heures de gloire en cette période.
Les petites histoires se mêlent à la grande et Claude Rizzo évoque dans son livre la montée du nationalisme tunisien, les manifestations, les arrestations et les grèves générales vues par la communauté des Maltais de Tunisie qui ne comprend pas qui est ce Bourguiba dont on crie le nom dans les rues de Tunis, devenues soudain moins accueillantes …
C’est la fin d’une époque et le début d’une autre pour Gaëtan, le jeune orphelin devenu lettré et pour la Tunisie, ancien protectorat français, devenue autonome puis indépendante !
Un livre qui se lit avec le sourire nostalgique de ceux qui ont eu la chance de connaître la vie dans cette Tunisie multiculturelle d’avant l’indépendance et la curiosité de ceux qui la découvrent.
Anissa BEN HASSINE
Le Maltais de Bab El Khadra
aux Editions Michel Lafon dans toutes les bonnes librairies tunisiennes