Les troubles psychologiques en période de Covid-19: Facteurs de risques, effets et comment s’en prémunir
Par Dr Rym Ghachem - La pandémie de Covid-19 a mis l’humanité entière face à un danger commun, méconnu et qui n’est pas encore maîtrisable. Elle a en effet relancé le débat autour de l’incomplétude et la vulnérabilité de l’être. Comment faire face à l’incertitude et gérer le doute ont constitué un défi majeur. Et comment affronter une infinité de facteurs générateurs de stress ?
L'un des messages clés de la Lancet Commission on Global Mental Health and Sustainable Development (Columbia University, New Yrok) souligne l’ampleur des troubles à craindre. « De nombreuses personnes qui s’en sortaient bien auparavant sont aujourd’hui moins capables de faire face à la situation multifactorielle. Celles qui n’avaient connu auparavant que peu d’épisodes d’anxiété et de détresse risquent de voir s’augmenter le nombre et l’intensité de ces épisodes et même de développer un trouble mental. Quant à celles qui avaient déjà un problème de santé mentale, elles risquent de voir leur état s’aggraver et d’être moins opérationnelles. »
La survenue des troubles psychiatriques peut être expliquée par :
• L’inquiétude pour soi et pour ses proches,
• La pléthore d’informations souvent non concordantes,
• L’exposition à des situations traumatisantes,
• Le deuil,
• L’isolement social,
• La violence conjugale,
• L’augmentation des addictions survenues pendant le confinement,
• Les difficultés économiques et le chômage.
Sur le plan psychologique, 20% des personnes ayant été infectées par le Covid-19 auront des troubles psychologiques tels que le stress, la dépression et les troubles anxieux. La pandémie et ses conséquences morbides, relayées de façon permanente par les médias et les réseaux sociaux, ont contribué à leur apparition ou à leur aggravation.
Dans la population générale, porteuse ou non de toute pathologie psychiatrique, des facteurs de burn-out parental (BP) peuvent produire leur effet, comme l’a souligné Dr Jawhar Boudabous dans une récente publication relative au Covid-19. Les facteurs prédictifs du BP sont nombreux : chômage, insécurité financière, baisse du support social (famille, amis), réduction du temps pour les loisirs.
L’enquête menée a révélé que :
• 91% des adultes ont noté un changement dans leur vie depuis la pandémie
• 28% ont perdu leur emploi et 33% ont connu une réduction de revenus
• 53% n’arrivent plus à subvenir aux besoins essentiels de la vie
Aussi, des perturbations sont relevées dans les routines quotidiennes (garderies, écoles, centres de loisirs …) : 35% ont eu des difficultés à trouver une garde pour les enfants.
Sans oublier la perte de 165 mille emplois, selon l’Utica.
Si 38 % des parents ont pu échapper au burn-out, les 60% restants l’ont subi à des degrés variables.
Quelles en sont les conséquences sur le plan psychiatrique en Tunisie?
L’analyse des appels reçus par la cellule d’assistance psychologique (CAP) montre une prédominance d’appels émanant de femmes en détresse psychique, sociale et économique. La femme est bien au centre des effets produits, selon ces appels, ce qui se rapproche des indicateurs relevés en Tunisie et à l’étranger. Plusieurs données nationales et internationales indiquent en effet une nette augmentation des taux de violence faite aux femmes et aux enfants depuis le début de la flambée du Covid-19 et cela s’est aggravé au cours du confinement.
L’augmentation des cas de violence domestique est significative. En Tunisie, cette maltraitance qui habituellement touchait au moins une femme sur deux a été multipliée par 9 à la fin du confinement, selon les données du ministère de la Femme, de la Famille, de l’Enfance et des Seniors. De même, la violence sexuelle est à la hausse du fait du confinement, de la promiscuité et de l’interruption des services sanitaires.
Comment le Covid-19 accroît-il les risques de violence faite aux femmes?
De nombreux facteurs favorisent l’émergence de la violence :
• L’anxiété liée au stress du coronavirus,
• La promiscuité,
• Le bouleversement des rôles au sein de la famille avec le confinement,
• La consommation de drogue et la réactivation d’anciennes querelles personnelles,
• La recrudescence des violences intrafamiliales induit à elle seule des conséquences psychologiques néfastes et aggrave l’impact de la pandémie
D’autres éléments sont à prendre en considération:
• Les femmes peuvent avoir moins de contact avec leur famille et leurs amis en mesure de leur apporter un soutien et une protection contre la violence dont elles sont victimes ;
• La fermeture des écoles aggrave davantage le problème et leur impose un stress supplémentaire;
• La perturbation des moyens de subsistance et de la capacité à gagner sa vie, notamment pour les femmes, entraînera une réduction de l’accès aux besoins et aux services de base, ce qui augmentera le stress pesant sur les familles, et potentiellement aggravera les conflits et la violence.
• À mesure que les ressources se raréfient, les femmes sont exposées à un risque accru de subir des abus liés à leur dépendance économique de leur partenaire;
• Les auteurs d’abus pourraient utiliser les restrictions imposées dans le cadre du Covid-19 pour exercer un pouvoir et un contrôle sur leurs partenaires afin de réduire davantage l’accès aux services ;
• L’accès aux services essentiels de santé sexuelle et reproductive, notamment destinés aux femmes victimes de violence, deviendra probablement plus limité.
Diverses recherches conduites dans de nombreux pays fournissent à cet égard des indicateurs significatifs. C’est ainsi que le rapport Lancet publié en juillet dernier a tiré la sonnette d’alarme concernant les effets psychologiques du confinement. Les études rapportent un impact psychologique négatif du confinement marqué par:
• Un trouble stress post-traumatique
• Une confusion mentale
• De l’irritabilité.
Les facteurs de stress sont :
• La durée de la quarantaine,
• La peur de l’infection,
• La frustration,
• L’ennui,
• Les informations inadéquates,
• Une perte de ressources financières,
• Et la stigmatisation.
Des niveaux d’anxiété et de dépression plus élevés sont associés à des considérations personnelles:
1. le statut d’étudiant,
2. le fait d’être de sexe féminin
3. souffrir d’une maladie somatique antérieure
Comment s’en prémunir?
Des règles d’hygiène de vie sont à observer comme:
1. le respect des horaires de sommeil,
2. la pratique d’une activité physique régulière,
3. le maintien des liens sociaux.
Plus encore, il convient de:
• Utiliser des ressources numériques pour la pratique de thérapies psychosociales permettant de lutter contre les troubles anxieux.
• Se protéger et protéger les autres en respectant les mesures d’hygiène et de distanciation sociale. Rechercher des informations uniquement auprès de sources fiables, telles que l’OMS ou les autorités sanitaires nationales
• Maintenir une routine saine qui comprend suffisamment de repos, d’activités physiques et récréatives
• Entretenir les contacts sociaux tout en gardant une distance physique
• Compter sur ses valeurs et ses croyances spirituelles en tant que stratégies d’adaptation positives pour trouver la motivation
• Demander de l’aide en cas de besoin, et appeler la cellule d’assistance psychologique
• Revoir ses priorités dans la vie,
• Promouvoir son désir personnel et ne pas vivre dans le désir du paraître ou de l’autre,
• Le retour vers la nature.
Ce qu’il ne faut pas faire pour conserver sa santé mentale
1. Abuser des substances
2. Manger fréquemment de grandes quantités de produits de restauration rapide
3. Consacrer beaucoup de temps à d’activités en ligne (jeux, réseaux sociaux,)
4. Suivre longuement les informations
5. Se focaliser sur les aspects négatifs de la pandémie
6. Publier sur les réseaux sociaux des posts relatifs au Covid-19 sans discernement et partager de fausses nouvelles
7. Croire aux rumeurs
Un rôle crucial des autorités
Appliquer une approche globale au niveau de la société pour promouvoir, protéger et prendre en charge la santé mentale est une grande priorité nationale malheureusement minorée. Il s’agit de:
1. Intégrer la santé mentale et les considérations psychosociales dans les plans de riposte nationaux dans tous les secteurs concernés
2. Prendre les devants pour réduire les épreuves qui sont liées à la pandémie et dont on sait qu’elles nuisent à la santé mentale, par exemple la violence domestique, la précarité (mesures de protection financière et sociale).
3. Communiquer, via les canaux largement utilisés, en donnant des informations actualisées scientifiques et non contradictoires dans une langue simple et accessible qui soit comprise par toutes et tous.
4. Assurer une large disponibilité des services de santé mentale et de soutien psychosocial en situation d’urgence.
5. Soutenir le relèvement après le Covid-19 en mettant en place des services de santé mentale pour l’avenir (promotion des services de santé mentale communautaire).
6. Montrer l’exemple dans l’application des consignes de sécurité sanitaire.
7. Pour les soignants, toute une politique d’encouragement et de soutien est indispensable en faveur de cette catégorie si précieuse et vitale
Des troubles pouvant être graves et invalidants
L’impact de la crise du Covid-19 et de ses suites est extrêmement négatif sur la santé physique, mentale et le bien-être social. Les troubles psychologiques durant cette pandémie peuvent être graves et invalidants comme :
• État de stress post-traumatique dans la famille Covid
• Anxiété dans toutes ses formes
• Dépression chez les anciens patients
• Décompensation des patients due à une difficulté à se procurer les médicaments
La santé mentale constitue une urgence. La prise en charge doit obligatoirement comporter l’identification des troubles psychiatriques et des violences physiques et psychiques subies durant la période de la pandémie.
La crise du Covid-19 nous a permis de revoir nos priorités et parfois même de changer de vie. Pour certains patients qui ont été atteints du Covid, elle leur a montré l’importance de la vie et la futilité de l’être humain devant la mort. Elle les a obligés à s’adapter pendant un certain temps à l’incertitude de vivre. Elle leur a donc donné un nouveau goût à cette seconde vie si précieuse où ils vivront leurs propres désirs et plaisirs. La résilience prendra donc le dessus.
En plus de cette pandémie, le Tunisien est en butte à une véritable crise économique. En effet, l’heure est grave, beaucoup de désespoir fuse de tous les côtés ; les pauvres se sont davantage appauvris, les moins pauvres le sont devenus ; et les riches craignent pour leurs richesses devant l’éclosion de nouveaux riches en grand nombre.
Au niveau sociétal, cette crise pourrait nous conduire à être solidaires autour d’un but commun : sauver notre pays de la misère anarchique et dogmatique et œuvrer à l’émergence d’une société nouvelle basée sur des priorités du pays, à savoir améliorer les soins et réformer le système éducatif en s’ouvrant à d’autres nouveautés numériques et en innovant sans copier-coller d’autres pays.
Dr Rym Ghachem
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