Dr Farhat Hached: Tunisie, transition démocratique compliquée mais résistante
Le départ précipité du Président en exercice, feu Zine el-Abidine Ben Ali, le 14 Janvier 2011, a fait que la révolte des laissés pour compte entamée après l’immolation de feu Bouazizi se transforme en véritable révolution.
Le parti au pouvoir (le RCD) est dissous. L’armée, de formation républicaine, a déclaré son soutien à la révolution et l’élection d’une constituante décidée.
Le pays a organisé ses premières élections démocratiques et pour beaucoup la désillusion était très importante. Les partis progressistes de part leurs divisions étaient reléguées au second plan. Ennahda a eu 39% des voix, une représentation qui lui permettait d’occuper les devants de la scène mais pas d’imposer sa vision de la constitution.
A la suite de ce scrutin du 23 octobre 2011, une troïka a été formée pour diriger le pays. Tout de suite, les positions se radicalisent, une forte polarisation s’est installée. La violence verbale était notre quotidien, à laquelle s’est ajoutée une violence physique qui a envenimé le paysage politique, elle a atteint son paroxysme avec l’assassinat de feu Chokri Belaid.
Le chef du gouvernement démissionne et un deuxième gouvernement de la troïka a vu le jour avec l’obligation de nommer des indépendants aux ministères de l'intérieur, de la justice et de la défense.
Ceci n’a pas calmé les esprits, la dangereuse polarisation continuait à sévir et un deuxième assassinat politique a eu lieu feu Mohamed Brahmi. Pour la deuxième fois en 6 mois, une grève générale fût décrétée.
La constituante est mise en congé et un dialogue national est annoncé sous l’égide d’un quartet : UGTT, UTICA, LTDH et l’Ordre des avocats. Une feuille de route est mise en place, comprenant la nomination d’un gouvernement de technocrates pour un an, la limitation des prérogatives de la constituante à la rédaction de la constitution et l’obligation d’organiser des élections avant fin 2014.
Cela a donné des résultats positifs. La constitution était votée dès le 26 Janvier 2014. L’interdiction aux anciens RCD de se présenter aux élections est levée et l’âge maximal de se présenter aux élections présidentielles est supprimé. Entre temps la situation économique se dégradait et aucune réponse n’a été apportée aux plus démunis.
Les élections ont vu le jour et BCE qui a réussi à rassembler le camp des «modernistes», élu à la présidence. Son parti Nida Tounes est arrivé premier avec 38% des suffrages exprimés talonné par Ennahdha 30%. Les autres partis présents lors du premier scrutin furent plus ou moins laminés.
Après ces élections, les deux lignes parallèles ont laissé la place à deux «ailes» pour permettre à la Tunisie de prendre son envol.Malgré une majorité de plus de 70% des voix, la cours constitutionnelle n’a pas vu le jour. Le consensus n’a pu se faire.Nous étions partis pour cinq ans de stagnation.
Entretemps, le terrorisme a frappé très fort par trois fois et le tourisme en a particulièrement souffert. La production de phosphate était au plus bas.La masse salariale des fonctionnaires est multipliée par trois à cause des augmentations des salaires et des recrutements antérieurs.Ceux qui travaillaient déjà, ont tout pris ne laissant rien à ceux qui n’avaient rien.
Sur le plan politique, Nida (le pouvoir ancien plus une partie de la gauche) avait l’occasion de bâtir un parti démocratique capable d’équilibrer le paysage politique et d’initier les réformes attendues.Malheureusement ceci n’a pas eu lieu et Nida a fini par se disloquer.
Enfin, le conflit entre le Président et le chef du gouvernement soutenu par Ennahdha et une partie de Nida a réchauffé le débat de l’identité juste avant les élections de 2019.Ce nouveau scrutin a confirmé la laminassions de la gauche et montré l’émiettement de Nida. Ennahdha bien que premier a aussi laissé des plumes.
Aujourd’hui, l’élection d’un Président indépendant des partis et d’un chef de gouvernement sans majorité et sans stratégie visible met à mal la politique du pays.
Une partie de la jeunesse manifeste sa colère et parfois d’une manière violente. La réponse sécuritaire, nécessaire pour protéger les biens publics et privés, ne peut résoudre le problème. Des réformes sont attendues dans tous les secteurs, et pour les mener à bien, le consensus le plus large est nécessaire. Les dirigeants devraient aussi montrer plus de responsabilité et de sagesse.
D’un autre côté, alors que certains veulent ramener la dangereuse polarisation, il est urgent pour équilibrer le paysage politique du pays de penser à la création d’un grand parti progressiste.Il serait intéressant que Qalb-Tounes, Tahya-Tounes, Nida-Tounes, Afek-Tounes, Albadil-Ettounsi, etc... se réunissent dans un même parti et qui sera ouvert à tous ceux qui se retrouvent dans ce courant.
De même, il est temps qu’on arrête de se servir de Tounes qui doit rester à tous pour mieux servir la Tunisie. Exactement comme la religion doit être totalement à Dieu.
Dr Farhat Hached
Chirurgien dentiste, libre pratique
Ex attaché à la faculté de Monastir