Les Tunisiens à l’épreuve du vieillissement
Par Dr Lotfi Gaha - Les personnes âgées sont classées en tête des cibles vulnérables à l’infection au Covid-19. La comorbidité sous forme de divers facteurs de risque (diabète, hypertension artérielle, obésité, addictions, difficultés respiratoires, maladies cardiovasculaires, etc.) concerne différentes tranches d’âge, y compris les jeunes, mais affecte particulièrement les séniors. L’analyse du Dr Lotfi Gaha est instructive.
Le vieillissement de la population constitue un problème de santé publique universel en ce début de troisième millénaire, compte tenu des besoins spécifiques de prise en charge de cette population vulnérable sur le plan physique, psychique et social. Il constitue un enjeu majeur et représente un facteur de modification des équilibres sociaux dans les pays en voie de développement pour les prochaines années.
L’examen des données démographiques concernant la société tunisienne permet de constater qu’elle a pris le chemin du vieillissement. Selon les données de l’Institut national de la statistique (INS), l’espérance de vie à la naissance en Tunisie, actuellement de 76 ans, s’accroîtra de 3 ans d’ici 2030 et le nombre des sujets âgés continuera à augmenter dans les 25 ans à venir. À partir de 2030, la classe d’âge des plus de 60 ans devrait représenter près de 18% de la population tunisienne.
Le vieillissement est donc d’actualité avec des changements qui s’expliquent par une double transition : démographique avec baisse de la natalité, baisse de la mortalité, augmentation de l’espérance de vie et une transition épidémiologique avec baisse de la pathologie infectieuse et augmentation de la pathologie chronique.
La conséquence majeure du vieillissement progressif de la population est le risque d’installation d’une dépendance, voire d’une perte d’autonomie, déterminée par l’intrication de plusieurs facteurs: bio-psycho-sociaux et notamment organiques.
La dépendance, définie comme une impossibilité partielle ou totale pour une personne d’effectuer sans aide les activités de la vie, qu’elles soient physiques, psychiques ou sociales, et de s’adapter à son environnement, constitue une source d’inquiétude sur le plan individuel et collectif. Elle est estimée à 10 % par l’INS et nécessite un programme d’aide adapté au contexte local.
Considérant le volet sanitaire et médicosocial, les particularités des troubles du troisième âge, la souffrance des malades et de leurs proches, le poids de la prise en charge, l’absence de traitement curatif et de structures adéquates, l’importance des besoins en soins des personnes malades, le caractère polymorphe et culturellement dépendant de l’aide médicale, psycho-sociale, juridique et financière, une organisation spécifique et la mise en place d’un dispositif adapté de soins sont nécessaires en faveur des séniors.
Le challenge primordial en Tunisie est :
• d’encourager le« vieillissement réussi» et de lutter contre la perte d’autonomie par l’éviction des maladies, le maintien à la fois d’une fonction cognitive et physique élevée, d’un engagement et d’un intérêt dans la vie.
• d’appuyer la solidarité collective par le biais des prestations médico-sociales
• de promouvoir la solidarité familiale à travers l’aide des proches.
Il est légitime de se demander si la famille tunisienne reste encore le cadre social adéquat de soutien des sujets âgés et le garant de la préservation des valeurs traditionnelles de la solidarité, compte tenu de la tendance vers la nucléarisation, de la plus grande mobilité de ses membres, du morcellement du patrimoine, et de l’émergence de l’individu avec l’émancipation et le travail de la femme.
En conclusion, le vieillissement progressif de la population tunisienne est un enjeu majeur pour l’avenir du système sanitaire et social et représente un défi de société, un problème de santé publique et un challenge pour le monde médical et le pouvoir politique. Les modifications des indicateurs démographiques et les restructurations vécues par la famille tunisienne ces dernières années appellent un réaménagement de l’approche de la personne âgée pour s’adapter aux nouvelles exigences.
Notre société et son système de santé doivent se préparer à faire face aux besoins des personnes âgées par certaines mesures comme :
• la création de structures de soins gériatriques et psycho-gériatriques adaptées aux besoins.
• la promotion des soins à domicile pour les sujets âgés dépendants.
• la formation des aidants et des accompagnants
Dr Lotfi Gaha
Professeur hospitalo-universitaire
Chef du service de psychiatrie au CHU de Monastir
Président de la Stphu (Société tunisienne de psychiatrie hospitalo-universitaire)
Co-directeur du projet conjoint de recherche intitulé «Evaluation et prise en charge de la dépendance
et de la perte d’autonomie chez les sujets âgés » dans le cadre de la coopération tuniso-belge.
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